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  Les réformes : réussite gouvernementale ou victoire à la Pyrrhus ?

dimanche 15 juin 2003, par François Saint Pierre

Les réformes : réussite gouvernementale ou victoire à la Pyrrhus ?

Mi-juin 2003, le gouvernement semble avoir gagné la partie. La réforme des retraites est devant l’Assemblée Nationale où siège une large majorité de députés UMP, les examens ne sont perturbés qu’à la marge, le bac aura lieu, les vacances approchent… Mieux ; à gauche il y a du flottement, la bourse à pris 10% pendant ces deux mois, les syndicats sont divisés, la décentralisation est un concept en vogue et l’équité, moteur officiel de la réforme des retraites, est en passe de remplacer l’ancienne égalité républicaine. Après la victoire médiatique de Sarkozy sur la sécurité et ce premier train de réformes, le gouvernement va donc pouvoir reprendre quelques forces avant d’attaquer son prochain travail herculéen : la réforme de la sécurité sociale et du système de soin.

Les dernières élections présidentielles, bon gré mal gré, ont laissé croire aux Français que le clivage important se trouvait entre la République incarnée par Chirac et l’extrême droite incarnée par Le Pen. Les justifications républicaines à des lois sécuritaires ambiguës et l’opposition de Dominique de Villepin à la volonté de l’administration Bush de manipuler l’ONU, pour justifier son intervention en Irak, a laissé penser que le second mandat de J. Chirac serait un retour à une politique gaulliste. Objectif apparent : un État fort et républicain qui, tout en acceptant les grands principes du libéralisme économique, obligerait les principaux acteurs du capitalisme à composer avec le peuple et la nation. Pas trop de différences au premier abord avec la politique social-libérale du précédent gouvernement.

Une campagne médiatique bien menée sur les privilèges exorbitants des fonctionnaires, sur la révolution démographique sans précédent, et sur la proximité, a réussi à réitérer le syndrome de la "pensée unique". Leitmotiv : Il faut réformer et il n’y a qu’une seule réforme possible à quelques détails près. La négociation consiste à expliquer aux représentants syndicaux pourquoi il n’y a pas le choix, à charge pour eux de convaincre la base.

En mai les Français découvrent que, pour la première fois depuis bien longtemps, on est en face d’une profonde régression sociale, le sens de l’histoire semble s’inverser. Confirmant la réforme Balladur, les retraites ont vocations à baisser inexorablement, ceux qui voudront se garantir une retraite honorable n’auront qu’à utiliser les fonds de pensions qui sont discrètement encouragés. L’Éducation Nationale, grande institution républicaine et bien public par excellence, qui permettait, imparfaitement il est vrai, de relancer les dés de la justice sociale générations après générations, semble de plus en plus mise en cause.

Lecture paranoïaque des réformes proposées, peut-être mais depuis deux mois nombres d’économistes compétents ont expliqué qu’il y avait bien d’autres stratégies possibles sur les retraites. S’il est impératif de garantir le paiement des pensions le choix du gouvernement s’inscrit dans une logique économique : favoriser l’intérêt du capital financier plutôt que celui des travailleurs. La motivation des enseignants a surpris l’opinion publique. Un peu de déconcentration aurait permis que les décisions ne soient plus prises à Paris, sans altérer la cohérence de la mise en œuvre d’une politique éducative nationale. Au lieu de cela, la décentralisation proposée apparaît comme étant essentiellement un moyen de désengagement de l’État. La baisse volontaire des effectifs en personnels (suppression des emplois jeunes, surveillants, etc….) et la fragilisation des statuts, sont des indices de la volonté manifeste de préparer le terrain à une évolution conforme aux souhaits exprimés dans l’AGCS. Comment ne pas avoir envie de mettre 2000 milliards d’Euros par an, au niveau mondial, sur le libre marché économique, quitte à passer par des phases de transitions. Il reste d’autres marchés : la santé, la recherche, l’énergie,….. et d’autres réformes qui se profilent à l’horizon ! Les promesses et les professions de foi républicaines de nos gouvernants seraient plus crédibles si cette évolution ne s’inscrivait pas dans une logique européenne et mondiale.

Trop long ici pour détailler et justifier cette position critique sur le réformisme du gouvernement. Deux mois de lutte syndicale et politique qui ne donneront que des améliorations marginales, nous sommes plus proches de l’humiliation que de la négociation. Après la phase du capitalisme sauvage tant critiquée par Karl Marx et après l’époque du "fordisme" où l’ouvrier exploité avait quand même droit à vivre sainement et à s’acheter une Ford T, pour faire tourner l’économie, on assiste à la mise en place d’un modèle nèo-libéralisme impérial. Réforme après réforme, guerre après guerre, l’intérêt de la finance prend le pas sur l’intérêt de l’entreprise. S’il est "malin" ou doué, l’individu peut en accumulant du capital économique, culturel et symbolique, tirer son épingle du jeu. Les autres auront droit à l’assistance, version moderne de la charité. La fraternité, principal moteur de la résistance, pendant plus d’un siècle, à la puissance du "capital", est devenue une vertu obsolète remplacée par l’individualisme. Les citoyens, sujet de droits et de devoirs, sont en train de disparaître. Une révolution !….. Oui mais dans le sens rétrograde, c’est pourquoi, je souhaite à ce gouvernement une victoire à la Pyrrhus et des lendemains qu déchantent.

François Saint Pierre