mercredi 15 septembre 2004, par François Saint Pierre
Septembre : rentrée des classes et des politiques…. Les feuilles mortes qui commencent à tomber nous rappellent qu’il y a de la permanence dans notre monde. Pourtant flotte dans l’air un sentiment diffus que bien des anciennes certitudes ont profité lâchement des vacances pour se dissoudre un peu plus dans le scepticisme généralisé. La toile de fond devient de plus en plus incertaine. Le prix du baril de pétrole qui a frisé les 50 dollars et la confirmation au niveau mondial que le réchauffement planétaire n’est pas une lubie de scientifiques mettent en cause profondément la durabilité de nos modes de vie. De même l’adoption le 6 août, avec 5 ans de retard, de la révision des lois de bioéthique de 1994 n’a pas éliminé les inquiétudes que l’on peut avoir à long terme sur la capacité de l’humanité à ne pas se laisser emporter dans des délires plus faustiens que prométhéens.
Mais en cette rentrée, ce n’est pas l’arrière plan qui occupe l’essentiel du débat public. Notre modèle démocratique occidental est confronté aux doutes. Fait d’un mélange plus ou moins variable, suivant les endroits, de libéralisme, de socialisme, de progrès techno-scientifiques, de droits de l’homme et d’universalisme il a donné à un milliard d’hommes un demi-siècle d’âge d’or. Les années 1950/2000, nous ont fait croire que le libéralisme social, bien assaisonné de droits de l’homme constituait un ensemble de valeurs universalisables et garantissant à tous la prospérité, l’égalité et la liberté. Si la fraternité vieux concept républicain était un peu oubliée, la compassion version Abbé Pierre ou mère Teresa était là pour nous pousser à organiser un minimum de redistribution charitable. L’été a vu la confirmation des dérégulations en cours, l’ère de la compétition mondiale est arrivée. Les frontières existent toujours, cruellement parfois pour le clandestin qui se fait attraper mais n’existent plus pour les capitaux qui doivent circuler librement et vite vers les zones de plus haute rentabilité. La croissance mondiale est plus forte que jamais, tant pis si le Français moyen est du côté des perdants, il n’a qu’à se former, travailler 40h payées 35, augmenter sa productivité en acceptant des baisses de salaires etc.
Pour l’Occident il ne s’agit pas de faiblir, après avoir vaincu "l’hérésie communisme", il a trouvé un nouvel adversaire : l’Islam. Ce monde islamique ne semble pas avoir été convaincu par notre réussite. Dans la version dure, ce n’est qu’un monde archaïque qui n’a pas su profiter de la modernité à cause de leurs classes dirigeantes : aristocraties corrompues ou cliques de tyrans plus ou moins sanguinaires. De gré ou de force on va leur apprendre la démocratie ! Dans la version politiquement correcte ce monde Islamique est respectable mais il faut l’aider et lui laisser le temps pour qu’il évolue par lui-même vers nos valeurs. L’occident fait semblant de croire que Ben Laden est un illuminé qui a inventé le terrorisme. " Terroriser les populations civiles pour peser sur les politiques" est pourtant une vieille stratégie, Dresde, Hiroshima, Nagasaki partaient de ce même principe…. La fin qui justifie les moyens n’est pas une invention récente. Pas question de justifier quoique ce soit, mais plutôt l’impression désagréable d’être dans une situation ambiguë, comme un "bon chrétien" à l’époque où l’Église persécutait les hérétiques et les sorcières.
L’Europe paraissait un possible havre de paix dans ce monde de brutes et de misères….avec des réussites : l’euro, Airbus, Erasmus, etc….Puissance raisonnable qui a priori semblait capable de faire la synthèse entre un capitalisme régulé (le capitalisme rhénan, ou l’étatisme français avec ses services publics) et le libéralisme dynamique à l’anglaise. Équilibre entre la vieille civilisation méditerranéenne, la richesse des traditions des Mers du Nord et les cultures d’Europe Centrale. Les conflits entres catholiques, protestants et orthodoxes apaisés, le ciel semblait serein. L’habile VGE avait usé de tout son talent pour que la majorité libérale propose une constitution acceptable par les responsables politiques de centre-gauche.
Mais le néo-libéralisme qui détricote rapidement toute les régulations sociales montre de plus en plus son vrai visage : délocalisations et recul social généralisé. S’il est de bon ton de dire que l’on n’a rien contre les Turcs, les réticences sont nombreuses…Que voulons nous faire et avec qui de cette Europe ? Comment dire ses inquiétudes autrement que par un "NON" au référendum ? Évidemment, comme d’habitudes les électeurs ne répondront pas à la question que l’on va leur poser….. Ils s’exprimeront soit en traînant les pieds soit en répondant à côté. Les dirigeants politiques et les médias font semblant de croire que les débats actuels ne sont qu’une minable guerre de petits chefs à l’intérieur du PS. Hélas, c’est bien plus profond et bien plus inquiétant : un doute profond s’est installé sur la capacité de l’Europe à porter le fardeau de nos espérances.
La droite, toute surprise d’avoir trouvé aussi facilement un accord tactique entre les sarkosiens et les chiraquiens, fait semblant de ne pas être concernée par le référendum et les délocalisations. Borloo est là pour rapiécer le tissu social qui part en lambeau, Sarkosy pour la sécurité, Ernest-Antoine pour les profits et Raffarin pour les guignols de l’info. Les gaullistes survivants (Dupont Aignan) et les idéalistes chrétiens (Christine Boutin) ont juste le droit de faire de la figuration. Mais les temps sont durs et je ne pense pas que la droite pourra garder cet attelage caricatural, y compris son médiatique cocher, jusqu’à l’élection présidentielle de 2007..
L’histoire semble, une fois de plus, nous conduire vers un scénario catastrophe. Comment vivre harmonieusement ensemble dans ce monde incertain ? Certes les vieilles utopies ne doivent pas être jetées trop vite dans les poubelles de l’histoire…. Mais, même en recyclant les anciennes illusions, il y a du travail pour inventer un avenir souriant.