Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
Accueil du site > Les rencontres 2025 > X 134 Trump va-t-il désintégrer l'Occident ? > L'Europe peut-elle et doit-elle devenir impériale ?
  • Article

  L’Europe peut-elle et doit-elle devenir impériale ?

jeudi 6 mars 2025, par François Saint Pierre

Depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, l’impression qui domine est celle de vivre un séisme politique. Les équilibres géopolitiques construits après la deuxième guerre mondiale et actualisés par la fin de l’URSS sont en train de se disloquer les uns après les autres. La Chine est devenue une superpuissance, la Russie a retrouvé sa capacité industrielle, les Etats-Unis à l’avant-garde du numérique, mais en difficulté économique, oublient ses anciennes alliances et font preuve d’une surprenante agressivité territoriale et commerciale. Israël, insensible aux appels à la raison, accentue son impitoyable politique coloniale. Les musulmans se vivent comme appartenant à un peuple humilié et accumulent haine et rancœur. Le reste du monde s’autonomise de la puissance occidentale, sans pour autant être capable de marginaliser le dollar et d’imposer une alternative à la régulation obsolète de l’ONU. Ce contexte géopolitique désastreux ne permet pas d’envisager de prendre des mesures efficaces pour contrer la perte de biodiversité et le dérèglement climatique et encore moins de lutter contre les inégalités sociales.

L’histoire de l’humanité peut être modélisée comme la tectonique des plaques, le monde évolue en profondeur, les tensions s’accumulent et brusquement l’histoire accélère, des personnages émergent, des guerres éclatent, de nouvelles idéologies remplacent les anciennes. Xi Jinping, Poutine ou Trump sont des acteurs de l’histoire, mais le scénario a été préparé bien en avant dans les profondeurs des sociétés. Il y a soixante ans, c’était le conflit entre une vision capitaliste-libérale et une idéologie communiste-autoritaire qui structurait un monde qui avait du mal à tourner la page des colonies. À cette époque, le productivisme était partout dominant, la nature nous avait envoyé peu de signaux de détresse et les ressources semblaient inépuisables, Dix ans plus tard, les hippies et les scientifiques avaient déjà pointé les contradictions de notre société de consommation. Trente plus tard le communisme-autoritaire avait fait sa mue en capitalisme étatique ou oligarchique contrôlé de la même manière autoritaire, mais la conscience de la finitude de la planète n’était pas encore montée aux cerveaux des élites politiques. La numérisation du monde ouvrait à l’époque des perspectives nouvelles, les progrès dans les déplacements facilitaient les échanges commerciaux et culturels et laissaient espérer une société d’abondance dans le cadre d’une mondialisation heureuse. Le GIEC créé en 1988 était encore aussi inaudible que le rapport Meadows, pourtant réactualisé en 1992. Par contre, l’Occident, dopé par la dissolution en décembre 1991 de l’URSS croyait vraiment que le modèle des démocraties libérales, qui venait de prouver sa supériorité économique à satisfaire les désirs des consommateurs, allait s’imposer au monde entier.

En 2007 éclate la crise financière des subprimes qui a montré les dangers des dérégulations néolibérales. Si après la grande crise de 1929 le capitalisme s’est orienté vers l’État providence, via une forte régulation publique, on aurait pu espérer que cette crise orienterait le capitalisme vers des régulations adaptées aux défis écologiques, tout en conservant sa composante sociale. Inquiets de la montée de la puissance de la Chine, le choix de la majorité des électeurs américains n’a pas été celui-là. Anticipant les pénuries futures et refusant catégoriquement de remettre en cause la société de consommation, ils ont opté pour un capitalisme de prédation, autoritaire et soutenu par ce qu’il reste de la puissance nationale américaine. Trump entouré de sa clique de milliardaires avec Elon Musk comme chef d’orchestre est revenu au pouvoir. Les élections sont devenues tellement biaisées par l’argent que les Etats-Unis n’ont plus rien à voir avec l’idéal démocratique basé sur l’égalité de tous les citoyens à participer à la définition de l’intérêt général.

La dette historique qu’à l’Europe avec les Etats-Unis nous a rendu trop indulgents avec un pays dont l’histoire démontre son choix pour la domination sociales des élites économiques et par sa politique étrangère impériale, (génocides des population autochtones, racisme d’État contre les noirs, multiples guerres mal justifiées et soutien inconditionnel aux bombardements à Gaza). Indulgence accentuée par la montée de l’extrême droite dans beaucoup de pays, qui se traduit par la naissance de régimes illibéraux au sein de l’Union Européenne. Trump nous surprend par ses excès et notamment par son désengagement du conflit entre Russes et Ukrainiens, mais sa boussole est devenue la concurrence avec l’impérialisme chinois. On est bien dans la suite logique d’une évolution d’un monde qui est incapable de trouver des réponses communes aux grands enjeux écologiques et sociaux du moment et dans lequel chacun cherche par la force à défendre ses intérêts.

Si les politiques font des déclarations fracassantes sur la rupture avec les Etats-Unis, c’est certainement du côté de nos milliardaires qu’il faut regarder pour voir l’orientation future des pays européens. Bernard Arnault présent à l’investiture de Trump et Vincent Bolloré le catholique traditionaliste ne sont certainement pas si loin de la trajectoire de Trump qui a réussi à faire la synthèse entre les géants de la tech et les religieux les plus illuminés. Avant de créer une Europe de la défense, nécessaire pour entrer dans le club fermé des empires, il faudrait construire une politique étrangère commune. Entre ceux qui restent convaincus qu’il faut acheter des F35 pour avoir droit au parapluie américain et ceux qui veulent vendre leurs rafales ou leurs chars léopards, l’entente sera difficile. En 2005, lors des débats autour du traité constitutionnel, l’Europe a voulu garder l’OTAN, avec le recul c’est une erreur historique. A cause des choix de Trump on risque de s’en débarrasser, mais c’est peut-être un peu tard pour avoir plus qu’un strapontin au banquet des empires.

Que peut faire le démocrate de base de l’Union européenne dans une situation géopolitique aussi aberrante ? Pousser à la guerre contre la Russie au nom du respect des frontières ? Essayer de chercher à dynamiser des instances internationales défaillantes pour réguler un monde qui s’emballe, plutôt que de régler les difficiles enjeux écologiques ? Ou tout simplement attendre patiemment que les bombes arrêtent de pleuvoir sur l’Ukraine et sur la Palestine, en espérant que les chinois auront le bon goût de ne pas ajouter trop d’huile sur le feu ? Les français sont d’après les sondages favorables à la fermeté guerrière, mais à condition de trouver les 5% du PIB, qu’il faut au minimum pour aller vers une politique européenne impériale, dans la poche des autres. Avec 40 h de travail par semaine et la retraite à 70 ans, le MEDEF pense que c’est possible, sans augmenter la pression fiscale ! Pas de stratégies miracles en vue. Dans ce moment de séisme historique il est nécessaire de s’informer et de débattre entre citoyens avec conviction, mais aussi avec réalisme et lucidité.