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  Est-il possible de construire un peuple européen ?

vendredi 18 octobre 2024, par François Saint Pierre

Article publié le 22/05/2024. Republié le 18/10/2024 suite à des problèmes sur le site

La démocratie n’est pas qu’un système de délégation de pouvoirs, elle n’a de sens qu’en référence au peuple souverain. C’est l’histoire commune qui fait le peuple. Langues, us et coutumes, institutions participent à la mise en lumière de valeurs communément acceptées et l’écriture d’une constitution crée une nation qui coïncide en général avec un État qui peut revendiquer sa souveraineté nationale. Un État fédéral ne peut se construire que si chacun des États fédérés abandonne une grande partie de sa souveraineté. L’Europe pour l’instant n’a pas choisi cette voie et reste une union régie par des traités. Dans cette logique, malgré une histoire et des valeurs communes, le peuple européen n’existe pas. L’élection du parlement européen est bien un acte démocratique, mais la citoyenneté européenne reste bien trop embryonnaire pour passer au fédéralisme.

Chaque individu peut avoir de multiples appartenances : ethniques, religieuses, sociales ou institutionnelles, identifier le peuple et la nation est un abus de langage. De même la souveraineté nationale est une illusion car cette souveraineté est bornée par des contraintes géopolitiques institutionnelles et des dominations économiques ou militaires. L’émergence de problèmes environnementaux planétaire et la nécessaire régulation des droits humains, montrent la nécessité de progresser dans la conception d’un peuple humain et d’une citoyenneté mondiale.

A l’heure du changement climatique, d’Internet, de l’intelligence artificielle et des guerres en cours ou en préparation, l’organisation de l’humanité en États-Nations souverains montre ses limites. Un principe de subsidiarité avec plus de local, plus de mondial et moins de national semble une utopie raisonnable. L’exemple de l’attachement à l’appartenance communale montre bien que le gouvernement de la nation ne peut-être, même localement, l’alpha et l’oméga de la politique. De même l’incapacité de l’humanité à respecter les accords climatiques démontrent le manque de gouvernance mondiale. L’ONU et les grandes institutions mondiales construits plus sur des logiques de puissances que sur des valeurs démocratiques montrent trop souvent leur inefficacité.

L’Union européenne pourrait s’inscrire dans cette démarche d’une nouvelle organisation de la gouvernance mondiale. Mais pour l’instant c’est plus un espace où vivent des consommateurs que des citoyens. Les normes pour le système productif ou Erasmus pour la mobilité des étudiants participent à faire un peuple européen, mais peut-être, en raison d’une croissance trop rapide nous n’avons pas suffisamment approfondi les valeurs communes, ni transformer cette grande zone de libre-échange en un espace de solidarité capable de se faire entendre au niveau mondial. Depuis le traité de Lisbonne les valeurs de l’Europe sont "respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, État de droit, respect des droits de l’homme" (art. 2 TUE), mais c’est plus la liberté qui dans la pratique est mise en avant que l’égalité ou la participation des citoyens à la vie démocratique. La citoyenneté européenne se résume trop à des droits théoriques que chaque nation peut interpréter. Le récent vote du pacte migratoire ou l’accent mis sur la sécurité et l’identité peut même faire douter de l’universalisme des valeurs européennes. Plus inquiétant, l’inflation récente en Europe du nombre de personnes incarcérées semble en contradiction avec l’affirmation constante de la liberté comme clé de voûte du projet européen.

Dans cette campagne électorale, l’impression qui domine c’est que ceux qui défendent l’Europe actuelle se recrutent parmi les gagnants de ces traités de coopération et appartiennent généralement à des catégories sociales diplômées et plutôt aisées. Les classes populaires ont surtout vu dans cette Europe l’ouverture à une concurrence, qu’ils jugent déloyales et l’affaiblissement de la protection sociale. Proposer "une autre Europe" plus soucieuse des conditions de vie, ce n’est pas être eurosceptique, mais simplement ne pas apprécier l’orientation néolibérale actuelle.

La création de l’euro, qui avait semblé à beaucoup un progrès, notamment en créant un peu de solidarité financière, s’est avérée problématique. En effet, les déséquilibres importants dans la productivité économique n’ont plus été compensés par la possibilité de dévaluer les monnaies nationales. Situation qui a accentué les tensions entre le nord et le sud de l’Europe et qui ne pourrait se résoudre que par une plus grande solidarité entre les nations.

La question posée aux électeurs n’est pas pour ou contre l’Europe, mais jusqu’où voulons-nous se sentir solidaire des peuples qui constituent l’Union Européenne. Ceux qui revendiquent haut et fort leur soutien à l’Europe défendent trop souvent le modèle économique de la "concurrence libre et non faussée" plutôt que de défendre les valeurs d’égalité et de solidarité. Le peuple européen se construira petit à petit si les institutions européennes, dans le respect des valeurs communes, ajoutent de la citoyenneté et de la justice sociale, sans supprimer les acquis sociaux de chacune des nations. Dans un monde politiquement instable, l’Europe peut devenir une puissance d’équilibre géopolitique et une force de proposition sur les enjeux écologiques.

Balma le 22/05/2024