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  La croissance est-elle compatible avec la sobriété ?

mercredi 21 septembre 2022, par François Saint Pierre

Il y a inflation quand l’offre n’est pas capable de satisfaire la demande. Cela ne veut pas dire qu’en temps normal les classes populaires peuvent acheter tout ce qu’elles veulent, mais qu’il y a un équilibre entre les possibilités financières des consommateurs et les capacités du système productif à satisfaire le marché. La loi de l’offre et de la demande régule les prix des divers produits et le système est considéré comme satisfaisant lorsque les prix augmentent en moyenne entre 1 et 2% par an.

L’utopie libérale c’est de croire à l’auto-régulation des marchés, mais dans le réel les banques centrales sont chargées de contrôler la masse monétaire en circulation. Lorsqu’il y a un risque d’emballement inflationniste, elles peuvent augmenter le taux des crédits, ce qui réduit l’argent disponible pour les échanges commerciaux. Si le taux est trop élevé cela peut réduire l’activité productive et entraîner une récession du PIB. Cette stratégie de ralentissement de la demande a été suivie par la banque fédérale américaine qui était convaincue que le plan de relance initié par Biden, suite à l’épidémie de coronavirus, était surdimensionné.

La banque centrale européenne a suivi en augmentant à son tour le taux de base du crédit. Sans trop de succès jusqu’à présent. En effet la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et à la faiblesse de l’économie chinoise provoquée par la politique du zéro Covid mettent en difficulté les capacités du système mondialisé de production. Dans cette situation le ralentissement de l’activité industrielle provoqué par l’augmentation des taux du crédit n’augmentera pas la quantité d’énergie disponible, par contre cela pourra baisser le dynamisme des entreprises et la récession induite ralentira la demande en énergie.

Pour relancer l’offre il faudrait être capable d’augmenter l’énergie disponible et une politique industrielle qui nous rend moins dépendante de l’étranger. Mais sur le fond, c’est notre système libéral de production-consommation et l’organisation du monde en États souverains concurrents qui est confronté à ses limites et à ses contradictions.

Depuis peu le discours politique accepte de dire que notre avenir passe par la sobriété, mais sans renoncer à la croissance du PIB. Essentiellement sobriété énergétique pour, à court terme, pallier à la marginalisation des énergies fossiles venant de Russie et dans un deuxième temps pour réduire notre production de gaz à effet de serre.

L’hypothèse implicite dans cette posture, c’est que nous avons les moyens, grâce à la technologie et à l’adaptation de nos modes de vie, de réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles, sans mettre en cause la croissance économique.

Même si nous avons des capacités d’augmenter l’efficacité du système productif par rapport à l’énergie, la consommation énergétique dépend aussi beaucoup de nos modes de vie qui ont beaucoup d’inertie, notamment pour la mobilité. Le discours politique semble plus être un vœu qu’une approche réaliste. Si certains pays annoncent des temps difficiles à leurs concitoyens, en France nous avons décidé d’être optimistes et d’atténuer au maximum le choc inflationniste par des aides de l’État. Si la croissance revient malgré les difficultés environnementales et géostratégiques, cela peut-être un bon choix. Abandonner les idées ultra-libérales pour un étatisme tempéré peut se justifier, mais à condition que les choix collectifs proposés par les autorités soient réalistes.

Est-ce bien raisonnable de subventionner par des dizaines de milliards d’euros la consommation de carburants automobiles ? Est-ce bien raisonnable, après l’échec de l’EPR, de dire que l’énergie nucléaire nous permettra de produire rapidement et en sécurité de l’énergie décarbonée en totale indépendance ? Est-ce bien raisonnable de faire croire que les véhicules électriques vont très rapidement nous rendre les mêmes services que les voitures thermiques ? etc. Pour un individu la sobriété est en contradiction avec la consommation. Pour une société, la sobriété ne peut que freiner la croissance du système de consommation-production. Les marges de manœuvre, qui résident dans les innovations technologiques sont faibles et ce sera difficile d’empêcher la décroissance du PIB. Si cela chagrine les gagnants du système économique actuel, cela n’est peut-être pas si grave. L’important est plutôt l’augmentation de la production des biens essentiels et l’amélioration des services publics de base comme l’éducation ou la santé.

La mauvaise blague de l’entraîneur du PSG sur les déplacements en char à voile des joueurs, a mis en lumière que les classes aisées ne se sentent pas vraiment concernées par la sobriété. Dans leur inconscient la sobriété c’est pour les classes moyennes, la croissance pour les classes aisées. On aura donc bien les deux ! Les pauvres sont déjà hors-jeu et depuis quelques années la décroissance du pouvoir d’achat ne les concerne pas, pourquoi ne pas continuer en serrant un peu plus la ceinture des classes moyennes. Réforme du chômage, réforme des retraites sont déjà dans les tuyaux, remplacer la vieille voiture thermique par un vélo électrique pour continuer à se déplacer dans les grandes villes aussi, par contre taxer les superprofits a du mal à passer car cela ne serait pas conforme au dogme libéral.

Sur le long terme la solution passe évidemment par la sobriété, la croissance du PIB n’est plus un objectif raisonnable, par contre améliorer la qualité de vie de la population en tenant compte des contraintes environnementales est une nécessité absolue. L’inflation est plus un symptôme qu’un problème en soi, notre société doit affronter deux crises majeures. Celle de son organisation en 200 États souverains qui sont dans l’incapacité de coopérer pour résoudre les enjeux environnementaux majeurs et celle de son addiction à la domination sur les autres et sur la nature. L’humanité doit aller vers plus de coopération si elle veut survivre et changer d’idéal. Détacher la notion de progrès de la croissance du PIB est une urgence, mais il faut aussi arrêter de valoriser la compétition et la concurrence comme étant les moteurs principaux de la réussite.

Dans l’immédiat, il ne faut pas prendre pour argent comptant les promesses des puissants. Il faut profiter de la situation pour interroger en profondeur l’ensemble de nos pratiques et ne pas hésiter à remettre en question nos imaginaires trop imprégnés de conquêtes. Réduire toutes les formes de domination et construire une société moins hiérarchique est plus important que la volonté de maintenir la croissance à tout prix.