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  Gilets jaunes et réchauffement climatique

vendredi 21 décembre 2018, par François Saint Pierre

La pénalisation par le gouvernement de l’usage de la voiture a provoqué une réaction très forte et inattendue des "gilets jaunes". Télescopage entre deux préoccupations légitimes, celle du pouvoir d’achat et celle de long terme d’une évolution inquiétante du climat et de notre environnement. Ce conflit historique a créé une abstraction : le GJ, incarné par des hommes et des femmes que l’on ne peut réduire à l’appartenance à une classe sociale ou au soutien à une idéologie politique. Les oubliés de notre système économique et médiatique ont investi les ronds-points pour rappeler qu’en démocratie ils avaient, eux aussi, droit à participer aux décisions qui nous concernent tous. Comprendre ce qui se joue dans l’émergence de ce nouvel acteur de l’histoire nécessite des analyses transversales complexes. Crise environnementale et économique, faiblesses de nos institutions démocratiques, erreurs politiques, émergence des réseaux sociaux, etc. Ce moment ne peut pas se résumer à une seule grille de lecture.

Ce GJ souvent considéré comme quasi apolitique, a réussi à se mobiliser plusieurs semaines avec une intensité que l’on ne retrouve que dans les grands conflits sociaux. Plus surprenant, si le pouvoir politique, enfermé comme souvent dans sa tour d’ivoire a attendu très longtemps pour comprendre les événements, la majorité des français à vite senti la légitimité de cette révolte citoyenne.

Le GJ a remis la question sociale à l’ordre du jour et il a très vite fait comprendre que, quand la vie devient dure, le long terme est rejeté à l’horizon. Changer de mode de vie pour sauver la planète ? peut-être, mais il faut d’abord gérer les fins de mois difficiles ! Le GJ a donc refusé d’endosser les habits du réactionnaire qui ne croit pas au changement climatique ou à la pollution, ainsi que celui du mendiant qui réclame des aides pour vivre. Moderne le GJ a accepté le principe de la mobilité qui passe par la voiture individuelle, hormis dans certains centres de métropoles, et il s’est adapté aux réseaux sociaux. Il travaille souvent durement et gagne sa vie modestement et, depuis quelques années, ses dépenses contraintes augmentent plus vite que ses revenus. Auto entrepreneur, cdd, artisan, petit commerçant ou salarié ont vu depuis la crise de 2008 leur situation se rapprocher dangereusement de celle des pauvres, qui survivent grâce à l’assistanat. Dans le même temps avec des arguments d’économies budgétaires les services publics se sont affaiblis dans les territoires éloignés des centres urbains, laissant de vastes zones rurales ou périurbaines en souffrance. Pour beaucoup l’affaiblissement des services publics fait perdre du temps et induit des coûts supplémentaires. Plus profondément, l’ascenseur social basé sur le système éducatif, qui avait bien fonctionné après-guerre, est en panne et la mobilité sociale, au cœur du contrat social républicain, est devenue très faible.

Le GJ ne croit plus beaucoup à notre démocratie libérale représentative, qui ne le représente pas. Souvent il ne vote pas et quand il vote c’est plutôt pour des partis contestataires. Lucidement il ne croit plus beaucoup à l’efficacité des corps intermédiaires que la verticalité du pouvoir a fini par affaiblir, mais Les rencontres sur les ronds-points lui ont permis de retrouver le sens de l’action collective. La réponse policière parfois excessive et la réponse sociale désordonnée du pouvoir lui ont fait comprendre que le système n’était pas aussi verrouillé qu’il le croyait. En effet, malgré des cohortes de policiers et gendarmes armés et casqués, des médias sociologiquement proches des classes dominantes et des institutions beaucoup trop rigides, le pouvoir a été très fortement ébranlé.

L’idéologie néo-libérale progressiste, née dans les années 80 aux États-Unis, a réussi à imposer la vision d’un monde qui s’auto-organiserait par les lois du marché avec un État faiblement régulateur en charge de la sécurité, des questions sociétales et de la grande pauvreté. L’État s’est affaibli et la souveraineté nationale s’est dissoute dans l’Union Européenne et la mondialisation. Les riches, gagnants objectifs de cette évolution, ont pris le contrôle de la parole publique via les médias. Notre système électoral s’est retrouvé de fait dans les mains de ceux qui ont les moyens économiques ou culturels de trouver profit à la mondialisation.

En France notre constitution, dont l’idée de fond était de mettre l’exécutif à l’abri des remous parlementaires ou citoyens, a évolué vers un régime présidentiel quasiment hors de tout contrôle démocratique pendant les 5 ans du mandat. La politique suivie n’a été que l’accentuation des politiques précédentes et, malgré une embellie mondiale sur la croissance, la France n’a pas su résorber son chômage, augmenter le pouvoir d’achat, amorcer le remboursement de la dette et encore moins mettre en route la nécessaire transition écologique. Malgré cet échec flagrant, d’après les légitimistes, il aurait fallu attendre trois ans et demi pour réinterroger, via les élections, le cap choisi par le président. Les classes moyennes en souffrance, grâce aux réseaux sociaux, ont réussi à bousculer l’agenda politique. Dans une société qui évolue très vite et qui demande à tous d’être adaptatifs et réactifs. C’est plutôt une bonne nouvelle.

Les GJ motivés au départ par des raisons économiques et sociales ont rapidement mis à l’agenda la question institutionnelle et posé la question de la légitimité du président à maintenir son cap. Si au sein du mouvement la critique sociale est unanime, le progressisme cosmopolite qui est un point d’accord entre la gauche et beaucoup de libéraux, ne fait pas l’unanimité. Nombre de GJ sont plutôt dans une culture conservatrice et identitaire, voire réactionnaire. Instaurer un libéralisme contrôlé par l’état pour garantir un peu de justice sociale, sur un fond idéologique plutôt conservateur, semble la tendance dominante. Cependant une minorité assez importante des GJ fait le constat que le système économique s’est mondialisé, que les enjeux environnementaux et climatiques ne sont pas que franco-français et nombre de GJ pensent que les évolutions actuelles de notre modèle anthropologique sont positives. Cette tension, même si elle n’est pas clairement formulée par les acteurs, freinera l’émergence d’un parti GJ ou même d’une liste consensuelle aux élections européennes. Le gilet jaune est plus le symbole de la volonté de rendre visible l’appartenance à une catégorie sociale que le signe d’un accord à une idéologie. Des intérêts communs légitimes à défendre, mais pas une vision politique commune.

De manière indirecte cette tension fracture encore un peu plus la gauche qui se divise sur son rapport aux manifestations des GJ. Situation qui paradoxalement favorise la stratégie électorale du gouvernement en place, car il fait tout pour qu’il n’y ait qu’une alternative à sa politique : celle de l’extrême droite alliée à la droite extrême.

Pour éteindre cette révolte sociale le gouvernement a lâché des milliards et, pour calmer le jeu politique, il lance un grand débat. Il a même accepté de discuter du référendum d’initiative citoyenne. Emmanuel Macron a donc acté l’échec de ses 18 premiers mois, invoquant des erreurs et des maladresses. Pour autant, soutenu par les catégories sociales les plus aisées, il n’a pas remis en cause les fondements idéologiques de son cap politique. Pour lui le programme est simple, aider les plus pauvres à supporter les inégalités, reporter à demain les grands enjeux environnementaux, ralentir les évolutions sociétales et aménager à la marge les institutions. Aucune remise en cause de la croyance au néo-libéralisme, juste un petit recul sur le progressisme affiché dans sa campagne électorale, en accord avec son virage à droite amorcé dès le début de son quinquennat.

Si sur la forme, la gauche a pu se réjouir des difficultés du pouvoir, sur le fond le risque est important qu’elle soit la grande perdante de cette séquence politique. Très divisée dans son analyse politique elle est naturellement divisée dans son organisation. La place de la propriété privée et du marché dans l’économie n’est pas consensuelle, ceux qui sont proches des centristes libéraux veulent simplement un peu plus de redistribution, pendant que d’autres sont partisans de réguler fortement le marché, de développer les biens communs et de pénaliser les patrimoines importants. Si sur le plan sociétal les écarts idéologiques sont assez faibles, l’accord sur les institutions, sur la politique européenne et internationale, sur les questions environnementales et climatiques reste à construire.

L’analyse classique de la lutte des classes, causée par le partage du profit entre les travailleurs et les patrons, n’est pas tombée dans les poubelles de l’histoire, mais elle n’est plus suffisante pour répondre aux enjeux du moment. Définir à gauche un socle commun, qui permettrait de construire des alliances électorales efficaces et qui surtout donnerait une crédibilité à un projet alternatif est une urgence. Cette période d’instabilité et de débat est certainement propice à ce nécessaire aggiornamento.