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  Économie : l’heure de la décentralisation

samedi 3 janvier 2015, par François Saint Pierre

État des lieux

La France s’est construite dans une longue l’histoire sur un modèle fortement jacobin. Paris avec 12 millions d’habitants dans son aire urbaine est une des grandes mégapoles d’Europe, mais les métropoles régionales sont dans le bas du classement des grandes villes européennes (Lyon 25ème). Les premières lois de décentralisation ont donné aux régions quelques possibilités d’action économique, mais là aussi la comparaison avec d’autres pays européens montre que ce premier pas est bien modeste, car le budget régional est inférieur à 1,5% du PIB (environ 8 fois moins que pour un land allemand). Cette forte centralisation totalement compatible avec l’Europe des nations, l’est de moins en moins avec la volonté d’aller vers une plus forte intégration des politiques économiques de la zone euro. La forte croissance de l’habitat urbain et la globalisation de l’économie se traduit un peu partout par l’émergence de grands centres urbains qui assurent, sans être toujours capitale nationale, l’essentiel des fonctions économiques. Si certaines de ces métropoles ont des difficultés à gérer l’afflux de populations attirées par le dynamisme économique, d’autres ont démontré une bien meilleure capacité que les États à s’adapter aux mutations en cours, comme la révolution numérique ou la transition écologique. La crise économique commencée en 2008 ne semble pas s’inscrire dans un cycle économique classique et traduit des difficultés d’adaptation de notre système économique. Période qui s’avère donc favorable à un radical changement de cap. La volonté politique actuelle de décentraliser l’économie, malgré de nombreuses réticences idéologiques et quelques farouches oppositions locales, va dans le sens de cette évolution.

L’État français a toujours eu des services déconcentrés et il s’est toujours donné des moyens d’accompagner les territoires dans leur développement. Système qui a l’avantage, sauf pour Paris qui a souvent droit à un traitement à part en tant que capitale, de maintenir un peu d’égalité entre les territoires et parfois d’éviter les dérives mégalomaniaques de certains barons locaux. Dans les années 70/80 l’État a délocalisé certains de ses services, cela a souvent donné une impulsion positive aux territoires bénéficiaires. Cette démarche volontariste a été présentée comme un cadeau fait par la capitale aux territoires concernés, alors que c’est tout à fait normal de répartir sur le territoire national les services de l’État. Mais jusqu’à présent l’État stratège ou financeur a toujours gardé la main sur le développement économique et Paris, lieu central du pouvoir politique et administratif, a toujours attiré les sièges des grands groupes industriels et l’essentiel des capacités de financiarisation de l’économie. Notre économie concentre la richesse sur des catégories sociales trop restreintes et très mal réparties sur le territoire. Les inégalités induites par ce centralisme sont contreproductives et la décentralisation de l’économie peut entrainer une meilleure efficacité, tant dans l’accompagnement du secteur productif que dans l’organisation de l’économie résidentielle.

Les nouvelles règles du jeu

L’attractivité définie comme la capacité d’un territoire à capter des ressources extérieures dépend beaucoup de la qualité de l’économie résidentielle. Les territoires européens les plus dynamiques économiquement sont aussi souvent ceux qui n’ont pas peur d’investir dans la culture et la qualité de vie. Le maintien d’une bonne qualité de l’air, la création de circuits courts et de grande qualité biologique pour nourrir les habitants, un environnement urbain et périurbain qui n’a pas sacrifié la nature au développement industriel sont des atouts importants. Les fameuses classes créatives, mises en avant par Richard Florida (http://www.creativeclass.com/richar... ) sont, comme les citoyens ordinaires, plus attirées par des conditions de vie agréables et par la capacité de trouver sur place un enseignement de qualité pour ses enfants que par la présence d’infrastructure spécifique. (voir : Denis Eckert & Michel Grossetti & Hélène Martin http://www.laviedesidees.fr/La-clas...).

Il ne faut pas pour autant sous évaluer l’accompagnement du secteur productif. L’exemple bavarois est très significatif : pour s’en convaincre il suffit de lire la publicité faite par le gouvernement de Bavière : "L’Agence pour les investissements Invest in Bavaria soutient vos projets d’implantation ou d’élargissement en Bavière. Nous vous proposons des informations individualisées, nous vous aidons à identifier le site idéal dans notre région et nous vous fournissons les contacts dont vous avez besoin : les administrations, les associations ainsi que les réseaux commerciaux sur place. Nos prestations sont entièrement gratuites et nous traitons vos demandes sous le signe de la confidentialité."

La concurrence entre les territoires semble inévitable et les diverses péréquations qui permettent de rééquilibrer les territoires doivent absolument être repensées au niveau national si on ne veut pas suivre le mauvais exemple européen. En effet, le partage actuel entre une Europe productive et des zones qui se contentent d’une économie résidentielle capable de récupérer de la richesse via le tourisme avec trop peu de mécanismes de redistribution, a entraîné un différentiel de revenus, source de tensions sur l’euro et sur toute la politique européenne.

Quelques pistes de réflexions

Redonner la main au local ne peut se résumer à un transfert de quelques compétences de l’État aux régions ou aux intercommunalités, il s’agit de créer des instances reconnues et ayant des moyens financiers pour établir des synergies entre le tissu économique local, les services déconcentrés de l’État, les diverses agences régionales ou métropolitaines. Le rôle de la société civile qui détient de l’expertise dans ce domaine (universitaires, syndicalistes, acteurs associatifs, etc.) est essentiel dans l’élaboration des stratégies les plus pertinentes. Si le local veut avoir des responsabilités, il faut développer des moyens locaux d’appréhender les enjeux économiques, comme le font au niveau national le Commissariat général à l’égalité des territoires et le Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Cela est nécessaire pour aider les acteurs à disposer d’une information fiable sur les mutations locales en cours. Confronter les tendances locales aux contraintes de l’économie mondiales et aux grands choix globaux imposés par la transition écologique est nécessaire pour ne pas se lancer sur de fausses pistes. La coordination de l’ensemble des acteurs locaux est à inventer car le nombre d’acteurs est très important. Profiter de la réforme territoriale pour inventer une instance de coordination économique est nécessaire. Le rapport de Jean-Pierre AUBERT ( http://www.syndex.fr/eZ-Publish/act...) propose de créer pour cela des d’Espaces d’Initiatives Territoriales (EIT) dans la logique de la Conférence Territoriale qui est en charge de la coordination politique de l’ensemble du territoire. Donner à tous les acteurs concernés par le développement économique la possibilité de se coordonner peut non seulement améliorer la capacité d’initiative, mais produit une acceptation sociétale des mutations bien plus efficace que dans les propositions top/down habituelles. Les mutations technologiques, ne doivent pas être vues uniquement sous l’aspect de la défense de l’emploi, mais plutôt sous l’aspect anticipation des emplois de demain, tant au niveau des individus que des entreprises, c’est cet état d’esprit qui doit être le socle des prises de décision, car même les filières les plus puissantes ne sont pas forcément à l’abri des turbulences économiques et des nécessaires mutations technologiques.

Comme le souligne Gabriel Colletis dans le rapport sur les mutations technologiques, l’expérience du club d’analyse économique dans le cadre du dispositif DRIME ((Dispositif Régional d’Information sur les Mutations Économiques, piloté par l’agence de développement Midi-Pyrénées) a rempli sa mission d’expertise croisée. Ces lieux de réflexions et d’analyse, s’ils doivent être bien coordonnés avec les autres dispositifs d’accompagnement de l’économie, ont le mérite, grâce à leur autonomie, de pouvoir produire des réflexions anticipatrices. Une structure similaire, permettant la rencontre des principaux acteurs locaux concernés par la dynamique économique, est aussi à construire au niveau des métropoles, vu leur importance dans le développement économique régional.

La spécialisation des territoires est souvent un atout, mais en dessous d’un certain seuil de diversité les capacités d’adaptation du système productif local, en cas de crise spécifique à une filière, sont trop souvent dépassées, ne laissant aux acteurs locaux que la possibilité d’amortir les dégâts sociaux. L’accompagnement individuel est important, le rôle traditionnel du pôle emploi doit être amélioré en articulant les pratiques habituelles d’accompagnement des demandeurs d’emploi avec les choix stratégiques de la politique économique territoriale. Les Maisons de l’emploi Ancrées doivent participer à la prise en compte des spécificités de chaque bassin d’emploi. La formation continue qui permet l’adaptation des personnes à l’emploi doit tenir compte des besoins et des évolutions en cours de l’offre d’emploi. Les formations par apprentissage ont souvent fait la preuve de leur capacité à harmoniser l’offre et la demande d’emploi. Il faut cependant éviter un excès de spécialisation qui peut à court terme satisfaire les filières locales, mais qui peut s’avérer totalement contreproductif en période de crise et de mutations technologiques.

Notre enseignement supérieur ne produit pas assez de scientifiques et d’ingénieurs. L’orientation dépend essentiellement des choix individuels, mais depuis quelques années l’inadéquation, entre les débouchés et la formation initiale des jeunes, s’accroit. Les formations supérieures de haut niveau jouent un rôle moteur dans les dynamiques métropolitaines. En effet, elles attirent les entreprises qui comptent sur une jeunesse bien formée. Les responsables locaux doivent tout faire pour que se développe sur leur territoire des formations de haut niveau en lien avec une recherche de niveau international et cela en harmonie avec les choix économiques du territoire. Le rôle dans le développement des filières industrielles des laboratoires d’État chargés d’élaborer ou de contrôler les normes de fabrication est essentiel. Les élus locaux doivent tout faire pour que Paris et Bruxelles ne soient pas les seuls lieux de la maîtrise des normes. Si Toulouse a pu devenir une capitale de l’aéronautique, c’est aussi car y était implanté la Direction Générale de l’Aviation Techniques aéronautiques (ex Centre Essais Aéronautiques de Toulouse)

L’innovation est souvent mise en avant comme un projet économique régional. La création de pépinières d’entreprise a eu une certaine efficacité. Au-delà de la valorisation symbolique et de l’accompagnement des start-up les plus performantes il faut se poser la question d’un accompagnement qui ne soit pas qu’une aide au démarrage. Le rôle de la commande publique pour aider les jeunes entreprises à s’insérer dans le tissu économique existant, notamment dans les secteurs en mutations technologiques, est à repenser. Cela est d’ailleurs valable pour les entreprises qui sans être à la pointe de l’innovation n’ont pas encore atteint un régime de croisière suffisant pour affronter la concurrence internationale.

Une métropole ne doit pas se contenter d’être une technopole, c’est tout le tissu économique qui doit pouvoir trouver des conditions adaptées à son développement. Les entreprises de tailles intermédiaires, comme les petites entreprises qui représentent beaucoup d’emplois, méritent toutes un soutien : lequel ? est une question à explorer. La transition écologique nécessite beaucoup de compétences nouvelles et de nouveaux modes d’organisation du travail, que peut faire la Métropole pour que l’adaptation des travailleurs et des entreprises aux nouvelles pratiques ne se traduise pas par un affaiblissement de l’emploi local ? (importer des panneaux solaires chinois ne s’est pas avéré très profitable à la dynamique industrielle française, importer des maisons écologiques de pays nordiques, montées ensuite par des travailleurs venant de l’est de l’Europe, n’est pas le modèle optimal pour les emplois dans le BTP)

Les projets structurants nécessitant des budgets publics importants ne peuvent se développer sans un fort consensus de l’ensemble du corps social. Les exemples de Notre Dame des Landes, du barrage de Sivens ou du Center Park de Roybon.... montrent que la démocratie représentative locale peut se fourvoyer car elle ne prend pas assez en compte des enjeux nationaux, européens ou planétaires. Les référendums locaux ne peuvent être une solution, car dans ces projets le local capte de l’argent public à son profit et ne voit que les avantages directs, notamment sur le développement de l’économie locale. L’autonomie ne peut se développer positivement que si les niveaux supérieurs laissent des marges de manœuvres, tout en fixant quelques lignes claires et prescriptives qui délimitent l’intérêt général global. La prise en compte des études d’impacts, des avis des experts et celui des enquêtes publiques doit être précisée lors de la réforme territoriale, si on ne veut pas aller vers une généralisation de ces situations conflictuelles. Trop souvent les avis négatifs ne sont pas pris en compte par les autorités administratives ou politiques qui s’appuient pour cela sur une conception faiblement démocratique de l’intérêt général.

Le local est bien mieux placé que l’échelon national pour favoriser le développement d’une économie collaborative et pour soutenir la création d’emploi dans l’économie sociale. L’innovation sociale qui s’articule souvent avec l’innovation technologique peut permettre non seulement de créer de l’emploi, mais aussi d’augmenter la qualité de vie de tous.

Le sens de l’histoire

L’heure de la décentralisation économique est bien arrivée, à nos élus de faire en sorte que le rendez-vous ne soit pas subi mais maîtrisé. L’autonomie des métropoles et des nouvelles grandes régions pour piloter le développement économique local ne sera une réussite que si la concurrence entre les territoires est largement tempérée par une forte volonté de créer des mécanismes de coopération et de solidarité qui compense les inégalités. Une économie en croissance présente l’avantage de régler beaucoup de problèmes sociaux, notamment de régler la douloureuse question de l’augmentation du chômage ; pour autant la croissance entraînée par la libéralisation des marchés ne tient pas compte des enjeux environnementaux de long terme. Une économie moins prédatrice et socialement plus juste reste à inventer, la solution tiendra obligatoirement compte des enjeux globaux, mais devra être construite localement.