Étienne Fieux est Maître de conférences en mathématiques à l’université de Toulouse
samedi 5 janvier 2013, par Etienne Fieux
Les IDEX ou initiatives d’excellence font partie des différents appels d’offres mis en place dans le cadre des « investissements d’avenir », suite à l’annonce du grand emprunt en décembre 2009. Huit projets ont été sélectionnés sur le territoire national (3 en juillet 2011, 5 en février 2012) dont 4 en Île-de-France et 4 en province : Bordeaux, Strasbourg, Marseille et Toulouse. L’excellence est le slogan décliné ad nauseam ; après les EQUIPEX (équipements d’excellence) et LABEX (laboratoires d’excellence), les IDEX sont le dernier étage d’un dispositif dont l’ambition est clairement affichée : « L’appel à projets « Initiatives d’excellence », doté de 7,7 Mds €, doit permettre de faire émerger en France 5 à 10 pôles pluridisciplinaires d’excellence d’enseignement supérieur et de recherche de rang mondial. L’objectif est de créer des pôles capables de rivaliser avec les plus grandes universités du monde » (selon la présentation de l’ANR). Mais les sommes faramineuses que l’on fait miroiter ne doivent pas faire illusion. Ainsi, la dotation pour l’IDEX toulousain de 750 M€ (millions d’euros) correspond à des sommes placées dont seuls les intérêts (à 3,413%) seront perçus ; pour le site toulousain, cela devrait apporter environ 25 M€ par an, pour un budget total qui avoisine le milliard d’euros. Par ailleurs, il avait été annoncé dès la création du grand emprunt que ces sommes seraient « compensées par une réduction des dépenses courantes ». Les IDEX ne témoignent donc absolument pas d’un effort pour soutenir l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) et s’inscrivent bien au contraire dans une logique de déstructuration du système public de l’ESR, déjà bien entamée via une multiplication des appels d’offres au détriment de financements pérennes des UFR et laboratoires.
Plus que des projets scientifiques, les IDEX sont des projets politiques. L’objectif « de rivaliser avec les plus grandes universités du monde » vient en écho à la volonté affichée il y a déjà plus de 10 ans de faire de l’Europe la zone leader sur le marché mondial de « l’économie de la connaissance ». Evidemment, cela implique un renversement : la transmission des savoirs et le développement des connaissances ne valent plus comme des objectifs en soi mais comme de simples marchandises. Pour rendre effectif ce renversement, l’appel à « l’excellence » permet d’organiser la mise en compétition des établissements, laboratoires et/ou équipes dans la course à l’obtention de financements. Mais cela ne suffit pas. Il faut également se débarrasser des « lourdeurs » d’un système public pas assez en adéquation avec le marché « émergent » de la connaissance... C’est pour cela que les IDEX sont déclinés sous le double registre de l’excellence et de la gouvernance. L’excellence (avec la carotte de financements spécifiques) est là pour l’affichage, le discours « il faut qu’on soit les meilleurs » passe facilement auprès du grand public mais aussi (et malheureusement) auprès de certains universitaires et politiques en mal de grandeur. La gouvernance est là pour « piloter » (entendez : contrôler) le processus.
Le premier projet d’Idex toulousain (vague 1, printemps 2011) proposait une UFT, une université fédérale de Toulouse, et il a été refusé pour « l’insuffisance » du mode de gouvernance qu’il préconisait. L’appréciation du jury (faite de A, B et C sur différents aspects du projet) mentionnait seulement deux C et ils concernaient tous les deux la gouvernance (intitulés : « crédibilité et efficacité de la gouvernance », « Gouvernance : ambition, identité, transformation et structuration »). Il faut donc comprendre à quel point cette question de la gouvernance est centrale, primordiale, essentielle. Il faut un pilotage étroit et qui échappe le plus possible aux personnels (on voit alors fleurir « l’argument » selon lequel le fait d’avoir des membres extérieurs au site, voire au monde ESR, nommés ou cooptés, constituerait un facteur d’objectivité et d’indépendance !!). Nos stratèges locaux ont bien saisi le message et ont livré un second projet (vague 2, décembre 2011) dans lequel la fédération était remplacée par une fusion. Un calendrier en trois temps dont le dernier (2016-2018) prévoyait la fin de l’autonomie juridique de tous les établissements appartenant au PRES, les universités devenant en particulier des collèges au sein d’un établissement piloté par un Conseil de Surveillance (ne laissant qu’un représentant pour les étudiants, un pour les EC et un pour les BIATOSS - sur 12 membres) et un chef de l’exécutif présenté comme le seul « maître à bord ». Ce modèle délirant a visiblement plu au jury et a valu au projet toulousain de faire partie des heureux élus, début février 2012. Tous les ingrédients avaient été mis dans ce second projet (appelé UNITI) pour satisfaire les exigences du jury : d’un côté, une gouvernance ressérée, autoritaire et échappant à toute forme de collégialité (il est bien connu que cette manie des universitaires de travailler au travers de conseils formés de représentants du personnel élus est une plaie et un grand facteur « d’inefficacité »...) et d’un autre côté, un périmètre d’excellence bien délimité, autant pour les personnels (2000 chercheurs et enseignants chercheurs sur 6520) que pour les étudiants (20 000 sur 94 000), instaurant un système à deux vitesses.
Ce projet a au moins eu le mérite de sortir la communauté universitaire (enfin, un petit peu...) de sa torpeur. Dans différents établissements (INSA, UT2-Mirail, UT3-Rangueil, INP, ...) une réaction s’est progressivement organisée ; motions votées dans différents conseils et pression des syndicats sont venues perturber le lancement de cette belle machine. Nous sommes en février 2012 et la proximité des élections présidentielles au niveau national pousse le gouvernement à mettre en place au plus vite les projets d’IDEX sélectionnés, via la signature d’une convention atttributive avant la fin avril. Mais la situation a évolué entre temps, des élections à l’UT2, à l’UT3 et l’INP ont mis en place de nouvelles équipes qui ont fait de la révison de cet IDEX un thème de campagne. Début avril, l’équilibre au sein du bureau du PRES (formé des présidents des 6 établissements fondateurs) se trouve modifié et le PRES de Toulouse ne pourra pas signer la convention attributive. Le président du PRES tentera néanmoins de « rattraper la situation », en signant (entre les deux tours de l’élection présidentielle !) une convention de pré-financement afin de financer des LABEX et de continuer à travailler à la mise en place de l’IDEX ; cette signature est intervenue sans l’accord du CA du PRES et un recours au tribunal administratif a été déposé en juin 2012 par les syndicats SNCS-FSU et SUD-Recherche EPST pour dénoncer cet abus de pouvoir. Fin avril 2012, au niveau national, l’IDEX Sorbonne Paris Cité est le seul autre IDEX à ne pas encore avoir signé sa convention attributive.
Concrètement, la course à l’excellence, au travers de la rédaction des projets d’IDEX, que ce soit à Toulouse ou sur les autres sites, a surtout révélé beaucoup de médiocrité : opacité, absence d’information, contournements des conseils d’élus, illégalité... caractérisent le montage des dossiers IDEX dans tous les établissements et dans tous les sites (voir le texte http://www.solidaires-ups.org/spip.php ?article39 pour des illustrations détaillées et diverses références sur le sujet). L’opacité est telle que l’on ne sait pas qui sont les rédacteurs des textes qui paraissent, ni de qui sont composés les groupes qui préparent ces textes. Les CA des établissements sont amenés à se prononcer sur la base d’une présentation très sommaire du projet, occultant tous les points qui engagent et contraignent. Les personnels ne pourront connaître le projet UNITI dans la version française que quelques jours avant qu’il soit soutenu devant le jury et uniquement parce que des syndicats sont intervenus avec insistance pour l’obtenir. Le plus désarmant est de constater combien l’esprit de compétition a si facilement frayé son chemin comme si « être les meilleurs » pouvait faire figure de programme scientifique. Chacun reprenant à son compte les slogans creux de la propagande officielle (excellence, compétitivité, innovation, visibilité, attractivité...), en début 2012 avec UNITI, on arrive à la situation où les promoteurs du projet disent, oralement, le contraire de ce qu’ils ont écrit. L’argument (si on peut appeler cela ainsi) est tout bonnement : on a écrit cela pour faire plaisir au jury mais, ne vous inquiétez pas, on ne va pas l’appliquer ! Cette situation délétère explique que l’opposition au projet ait pu parvenir à en empêcher la signature mais traduit également des situations très disparates suivant les établissements et, tout simplement, suivant les personnes. Prenant acte de ces dissensions, la nouvelle équipe dirigeante du PRES (emmenée par les présidents d’université élus au mois de mars) va alors s’efforcer, à partir du mois de mai, de réconcilier la « communauté » en mettant en place un comité de concertation et deux groupes de travail, l’un sur la gouvernance, l’autre sur les financements.
Où en est-on alors aujourd’hui et cela ne signifie-t-il pas que le projet UNITI est abandonné ? Même si la convention attributive n’a pas encore signée, on peut déjà dire que la réponse est très clairement NON. Suite à la concertation de cet été, un « protocole d’accord » a été présenté à la mi-octobre, puis une note dite « delta » au début de mois de décembre. Ces deux textes précisent les points du projet UNITI qui doivent être modifiés ou abandonnés (les modifications les plus marquantes étant : abandon de la fusion des établissements toulousains et retour au modèle fédéral, une gouvernance plus collégiale avec l’élection d’un CA par l’ensemble des personnels, les chaires séniors davantage contrôlées avec interdiction de sursalaires, de primes et d’achat de dispenses d’enseignement, la suppression des chaires juniors ou tenure-tracks, les licences étoilées transformées en parcours innovants) ; l’ensemble de ces trois textes doivent former l’annexe 1 de la convention attributive et doivent faire l’objet d’une signature avec l’Etat. On a appris en effet début décembre que, contrairement au calendrier annoncé ces derniers mois, la signature de la convention attributive ne pourrait pas intervenir d’ici la fin de l’année et était reportée à fin février 2013. Ce report n’est pas surprenant si l’on tient compte de l’extrême confusion qui règne. Aujourd’hui, le texte d’UNITI reste le document de base du projet d’IDEX toulousain (il est de fait celui qui a été présenté devant le jury, fin janvier), les modifications apportées par le protocole d’accord et la note delta ne sont certes pas négligeables mais cette situation contredit le message distillé depuis la rentrée selon lequel la nouvelle mouture serait en rupture radicale avec le projet UNITI. Si tel était le cas, il ne serait pas possible de conserver le texte du projet UNITI comme base du nouveau projet. On ne s’étonnera donc pas que les autres annexes de la convention ne soient pas prêtes, notamment l’annexe financière. Le projet UNITI donnait avec précision les contributions des établissements et des organismes de recherche au développement de l’IDEX ; on aura compris que ce sont ces contributions qui doivent faire vivre l’IDEX et qui permettent de comprendre sa véritable nature : l’apport de l’appel d’offres « IDEX », autour de 25 M€, est à comparer aux plus de 500 M€ que mobiliserait le projet ; à titre d’exemple, dans UNITI, l’UPS s’engageait à verser plus de 100 M€ par an (près de 30 % de son budget) et le CNRS s’engageait pour près de 120 M€ par an (plus de 40 % de son budget régional). Nous ne savons toujours rien sur le maintien de ces chiffres, ni sur les engagements qui vont être contractés dans le restant des annexes (l’annexe 4 de la convention s’intitule : « Objectifs d’organisation et de gouvernance, trajectoire, jalons, cibles et indicateurs de l’IDEX »).
Les discours continuent d’être en décalage avec la réalité. Ici, à Toulouse, on nous expliquait au printemps dernier qu’on ne parlait plus d’IDEX, pour se tourner vers la construction d’une UT (université de Toulouse). Mais on voit bien que la primauté reste à la volonté de signer la convention coûte que coûte, même si les contours restent très flous et quitte à travailler à l’envers, en subordonnant la construction de l’UT à la mise en place de l’IDEX ! Idem au niveau national ; la tenue des Assises de l’ESR cet automne et l’annonce d’une nouvelle loi en remplacement de la LRU auraient justifié de ne reconsidérer les projets IDEX qu’à l’aune de ces nouvelles directions. Mais c’est l’inverse qui est fait : on s’empresse de « boucler » le dossier. Les IDEX, dans leur principe, sont néfastes pour l’avenir du secteur public ESR et ils ne sont pas réformables. Seule leur suppression serait le signe d’une nouvelle politique volontariste, confiante dans le dynamisme de la recherche publique et convaincue de son utilité et de la nécessité d’assurer son indépendance.
Notes :
Plus d’informations spécifique à l’IDEX toulousain sur le site de Sud UPS : http://www.solidaires-ups.org/
L’Université de Toulouse existe déjà (on peut consulter son site : http://www.univ-toulouse.fr ) ; elle existe sous la forme d’un PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) constitué sous la forme d’un EPCS (établissement public de coopération scientifique) et regroupant 14 établissements dont les 6 établissements fondateurs : les 3 universités (UT1, UT2, UT3), l’INSA, l’INPT et l’ISAE.
UT : université de Toulouse
UT1 : université Toulouse 1 Capitole
UT2 : université Toulouse 2 - Le Mirail
UT3 : université Toulouse 3 ou UPS université Paul Sabatier
INSA : Institut National des Sciences Appliquées
INP : Institut National Polytechnique de Toulouse
ISAE : Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace
PRES : pôle de recherche et d’enseignement supérieur
ESR : enseignement supérieur et recherche
ANR : agence nationale de la recherche ; organisme chargé du suivi des projets IDEX
EC : enseignant-chercheur
BIATOSS : désigne l’ensemble des personnels : Bibliothèques, Ingénieurs, Administratifs, Techniques, Ouvriers, Sociaux et de Santé. Depuis peu de temps, le « O » de « Ouvriers » a disparu et on ne parle des BIATSS.