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  Le président Hollande, entre l’austérité et l’écologie

mercredi 3 octobre 2012, par François-Xavier Barandiaran

De la fin du printemps 2012 au début de l’été deux événements mondiaux de première magnitude ont été concomitants de l’élection, en France, de F.Hollande : d’une part, le paroxysme de la crise de la dette et de la menace d’éclatement de la zone euro avec la possible sortie de la Grèce, et, d’autre part, la Conférence internationale de Rio sur le développement durable, vingt ans après la première de 1992. Si nous sommes toujours sous le poids du premier, qui se souvient encore du second ? « Rio + 20 » s’est rapidement effacé de nos mémoires, et certains seraient tentés, par cynisme, de dire tant mieux !, parce que ce fut un véritable échec. Pourtant, ce 20 juin 2012, quatre-vingt-huit chefs d’État et de Gouvernement étaient présents : parmi eux, F.Hollande, mais ceux de la plupart des grands pays, anciens ou émergents, n’avaient pas fait le déplacement. Peut-être, à la différence des autres, voulait-il prendre date, comme Mitterrand vingt ans plus tôt ? Peut-être voulait-il manifester, tout récemment élu, l’intérêt qu’il accorde à ces questions ? L’avenir nous le dira. Comme on l’a déjà dit, pour les représentants des peuples – ceux qui ont le plus à souffrir du changement climatique – et pour les ONG le résultat de cette Conférence a été désastreux : aucun calendrier pour la suite, aucun engagement contraignant, aucune réponse aux déplacés climatiques du Pacifique ou aux affamés du Sahel. L’Europe, qui avait marqué la route lors des négociations précédentes, y a perdu son leadership et les pays riches qui ont le plus contribué à la pollution de la planète ont fait machine arrière par rapport aux engagements pris de transfert de technologies aux pays qui n’ont pas décollé : ils n’ont plus d’argent à mettre dans la corbeille, à cause de la crise ! Venant après les échecs des négociations sur le climat à Copenhague, en 2009, et de Durban, en 2011, on a des soucis à se faire pour la suite à donner aux accords de Kyoto. On a l’impression, qu’aussi bien devant les modifications du climat induites par l’action de l’homme que devant l’austérité qu’on impose actuellement à certains pays européens, on sait que la catastrophe doit se produire, mais on fait comme si de rien n’était ! D’ailleurs, - soit dit en passant- cette atonie qui frôle l’indifférence, face à l’urgence climatique, explique, en grand partie, les résultats médiocres obtenus par E.Joly et EE-LV lors des élections dernières, outre leurs mauvaises campagnes dont les journaux ont tant parlé.

Là-dessus, l’été est arrivé et d’autres mauvaises nouvelles sont venues obscurcir le ciel de l’écologie pendant que les français – tout au moins ceux qui ont la chance de partir – bénéficiaient de leurs vacances, froides en juillet et torrides en août : 1) on apprenait par la presse qu’un petit chinois émet dorénavant autant de CO2 qu’un européen, faisant ainsi de la Chine le pays le plus pollueur avec 29%, suivi par les USA avec 16% et l’Union Européenne avec 11% ; 2) les USA, qui étaient déjà autonomes pour le gaz, après le boom des gaz de schiste, sont sur le point de le devenir pour les carburants, à cause de l’augmentation rapide de la production des pétroles dits « non conventionnels » : le Dakota du Nord va devenir la nouvelle Arabie ! ; 3) la banquise arctique a fondu cet été dans des proportions bien supérieures à celles pronostiquées par les chercheurs du GIEC, et pourrait disparaître vers 2020.

Pour remonter le moral des pessimistes retenons, quand-même, deux bonnes nouvelles : la première c’est qu’une majorité de japonais, ayant ouvert les yeux après tous les mensonges qu’on leur avait fait gober à la suite de la catastrophe de Fukushima, est favorable à l’abandon de l’énergie nucléaire, ce que le parti au pouvoir – non sans quelques hésitations – a entériné à l’horizon de 2030 ; la deuxième nous concerne de plus près, puisqu’il s’agit du discours prononcé par F.Hollande à l’ouverture de la Conférence environnementale, le 14 septembre dernier : tout le monde – sauf la CGT pour ce qui concerne la fermeture de Fessenheim - à commencer par les ONG de défense de l’environnement a salué sa fermeté de ton qui annonce une volonté de transition énergétique. Il en a même étonné par sa vigueur, puisque non seulement il a repris ses propositions de campagne, mais il est allé plus loin en déclarant le moratoire de cinq ans pour les permis de recherche de gaz de schiste par procédés hydrauliques. Bien sûr, les militants locaux dans les départements concernés restent vigilants, l’arme au pied, comme ils l’ont montré lors des manifestations du 22 septembre, à cause des dizaines de permis qui avaient été accordés par le gouvernement précédent. Après les paroles on attend les actes (tout le monde se souvient des mirages, dans ce domaine, après le Grenelle de l’environnement) ! Ainsi les militants d’EE-LV attendent le prochain débat sur la loi de finances 2013 pour connaître le calendrier de réalisation des promesses et les moyens qui seront mis en œuvre.

C’est dans ce contexte que les écologistes et les socialistes entament la nouvelle mandature, après l’accord de gouvernement signé entre eux. EE-LV se trouve assis entre deux chaises : portant une « muselière » - comme a déclaré C.Duflot – et devant se montrer solidaires du gouvernement, surtout en ce qui concerne leurs deux ministres. Mais le parti et les deux groupes parlementaires doivent garder la liberté de parole et d’action pour défendre toujours l’essentiel de leur programme. C’est la condition « sine qua non » pour maintenir la confiance (qui s’est pas mal distendue pendant les récentes campagnes électorales) des citoyens sensibles à l’avenir de la planète et surtout de toutes les associations de la société civile qui défendent les intérêts multiples et variés de la biodiversité, de la santé, du climat et, en un mot, de la défense d’une planète vivable, tout cela n’étant pas compatible avec une croissance productiviste, bien évidemment. Un résultat contraire signerait pour longtemps l’échec de l’écologie politique : s’il y a un point sur lequel les écologistes associatifs et les écologistes politiques sont d’accord, c’est pour affirmer que la crise économique et la crise écologique sont totalement imbriquées et que, par conséquent, il ne peut y avoir de solution séparée. Mis à part quelques pas de clerc de part et d’autre : course aux strapontins, changement de titulaire du ministre de l’écologie un mois après sa nomination et quelques provocations plus ou moins calculées dans les déclarations de certains ministres, l’accord tient et commence à donner des fruits. Mais le plus difficile reste à venir, comme le montre, ces jours-ci, le tangage provoqué par la décision très majoritaire du Conseil fédéral d’EE-LV contre la signature du nouveau traité européen. Il reste à voir comment les parlementaires écologistes vont appliquer cette décision lors du vote à l’Assemblée et au Sénat. Mais, au-delà de ces vicissitudes, la question importante est la suivante : est-ce que, sous la présidence de F.Hollande, va se dessiner un nouveau modèle de développement économique ? Un nouveau projet de société ou de « civilisation », comme dit E.Morin ? Au-delà des escarmouches ponctuelles, c’est un débat stratégique qui doit s’instaurer entre socialistes et écologistes, sans oublier la part que pourront y prendre la gauche de la gauche et les forces sociales intéressées par un changement de société. Quels choix énergétiques faudra-t-il faire, sachant que quelle que soit la source – nucléaire, fossile ou renouvelable – l’énergie va être de plus en plus chère ? Comment l’économiser dans les transports et dans le chauffage domestique, en aidant les couches sociales les plus basses, dont l’habitat est souvent le plus mal isolé ? Comment garantir la cohésion sociale par une fiscalité adéquate quand les prix des énergies deviendront insupportables pour les plus pauvres ? Quel modèle de croissance doit se substituer à celui qui nous amène contre le mur ? Arrêter le réchauffement climatique –autant que faire se pourra -, pour transmettre aux générations à venir un climat vivable, planter les jalons pour garantir demain une cohabitation apaisée entre les classes sociales, modifier dans nos têtes l’imaginaire du « bien vivre », voilà le « new deal » pour les politiques et les citoyens de notre génération.

L’autre événement qui a accompagné l’élection de F.Hollande, c’est la question de la dette. Dans un dialogue avec E.Morin, publié par le Monde le cinq mai, veille de son élection, F.Hollande disait : « ma responsabilité est d’être le président de la sortie de crise ». Il faudra y repenser à la fin de son mandat. Pour le moment nous y sommes englués, et le prochain chapitre ce sera la ratification par la France de l’accord signé par son prédécesseur, le 2 mars, le Pacte budgétaire européen. Parmi les milliers de pages écrites sur son contenu et ses conséquences, j’invite le lecteur à consulter le document d’ATTAC, clair, concis et complet : « Les dix raisons de dire non ». Le casse-tête pour Hollande – d’autres diront la volte-face -, c’est de ratifier ce traité de discipline budgétaire et la loi organique qui oblige à mettre en œuvre « la règle d’or » encore plus contraignante (0,5% de « déficit structurel » - terme assez abscons pour beaucoup de citoyens et sujet à débat -, au lieu des 3 % déjà actés par les traités en vigueur), après avoir affirmé pendant la campagne qu’il ne le signerait pas en l’état, et s’être fait fort d’amener Merkel à le renégocier. Il est vrai qu’il avait réussi peu après son élection à faire accepter par les zélateurs de l’urgence à marche forcée d’accorder le délai supplémentaire d’un an à l’Italie et à l’Espagne (délai qui vient d’être étendu au Portugal, et l’idée de desserrer l’étau commence à faire du chemin) et à créer un Pacte de croissance, pour le moment dans les limbes de l’économie et dont beaucoup craignent qu’il ne s’agisse, en quelque sorte, de la fausse monnaie ! La vérité, c’est que les plus forts ont gagné et ce sont les promoteurs du libéralisme à outrance : l’Allemagne, les Pays Bas et la Finlande. Donc, par réalisme politique F.Hollande a dû s’incliner et a adopté une conduite pragmatique, tout en affirmant que son combat pour changer l’Europe continue. De telle sorte que le Gouvernement, très paradoxalement, nous explique que ce traité n’est pas bon et qu’il reste fort à faire pour l’améliorer, raison pour laquelle il faut le signer pour pouvoir être partie prenante des modifications à lui apporter ! Réorienter l’Europe, voilà l’argument fort de ceux qui disent que la ratification par la France donnera à F.Hollande, un des seuls dirigeants de gauche, l’autorité pour poursuivre la réorientation de la construction européenne. Mais, pour les partisans du non – je laisse de côté le FN et autres souverainistes – ce sophisme a déjà été utilisé maintes fois, quand on nous a fait accepter une Europe de marchands, en promettant pour plus tard l’Europe sociale ; ensuite, ce fut l’arrivée de l’euro qui devait garantir nos emplois contre le risque de chômage ; et, dernier en date, le traité constitutionnel instituant la « concurrence libre et non faussée », qui, au lieu de protéger les états membres contre les dérèglements des marchés, a contribué au marasme dans lequel nous nous trouvons. Et tout cela sans vraiment consulter les citoyens européens et sans consolider le fonctionnement démocratique du Parlement de Strasbourg. Comment s’étonner, dès lors, qu’un peu partout se manifestent le désenchantement et la méfiance des citoyens, frôlant la défiance totale vis-à-vis du projet-Europe ? Il est vrai qu’on en est à un point où les pays de l’euro-zone devront faire des pas vers plus d’intégration politique, mais s’agira-t-il encore d’un fédéralisme imprégné d’idéologie néolibérale ? Beaucoup d’économistes augurent d’une sortie de crise très lente, qui pourrait provoquer des bouleversements politiques (en Grèce, le parti néo-nazi « Aube dorée » monte en puissance et sa rhétorique raciste se développe, en même temps que des ratonnades contre des immigrés !) et des révoltes chez les pays qu’on martyrise par une récession insupportable (Jusqu’où ira la patience des « indignés » d’Athènes, Madrid et Lisbonne ?). Ceux qui militent pour « une autre Europe » pourront-ils compter sur les forces sociales nécessaires tant que ce qui reste des partis sociaux-démocrates, auxquels on doit l’invention, le siècle dernier, de l’État-providence, n’aura pris ses distances par rapport à l’idéologie néolibérale ? Mais l’espoir est mince, quand on voit que le plus important, le SPD allemand, vient de choisir comme tête de liste pour les élections de septembre 2013 un représentant de son aile droite !

Difficile d’être optimiste en pensant à notre avenir proche. Pour le moment, ce que l’on peut craindre pour la France et la plupart des pays de la zone euro, c’est de s’enfoncer dans la rigueur qui nous amènera à une récession générale, ce que Stiglitz appelle « le suicide économique de la zone euro ». Ce que l’on peut constater déjà c’est une augmentation générale du chômage : dix mois consécutifs en France et plus de 11% de moyenne en Europe. Des pays s’enfoncent :

- On estime qu’en Grèce le recul du PIB pour 2012 sera de 6% (en cumul depuis 5 ans cela fait -25%)

- Le Portugal reculera de -3,3%, l’Italie de -2,5% et l’Espagne de -1,7% (10% en cumul depuis cinq ans)

- Pour la France, ce sera 0% et guère beaucoup plus pour l’année prochaine (le gouvernement table sur 0,8% !!)

- L’Irlande, qu’on veut nous présenter comme modèle, aura une récession de -1,1% après cinq ans de recul, et ceci malgré la présence des multinationales qui y sont domiciliées pour bénéficier du très avantageux taux d’imposition sur les bénéfices de 12,5% !

Pas étonnant qu’on ait comparé les « docteurs de l’Europe » aux médecins de Molière qui tuent le malade qu’ils prétendent soigner à force de lui appliquer des saignées. Pour ma part, je m’inscris dans le courant de ceux qui pensent qu’il s’agit d’une véritable bataille idéologique contre l’État-providence, contre l’État tout court et contre toute idée de régulation de l’économie. La Grande-Bretagne, le Japon et les USA ont des déficits bien plus grands que les pays européens, mais ils ne sont pas attaqués par les marchés ! A lire, à ce propos, l’entretien paru dans le supplément du Monde « cultures et idées » du 22 septembre, de l’économiste keynésien Paul Krugman, où il parle de la crise « provoquée par le secteur financier et les marchés », de l’influence sur les « think tanks » et les médias, aux États-Unis, du « mouvement conservateur relayé par les grandes fortunes », de leur volonté de réduire la protection sociale… (On sait que ce néolibéralisme a traversé l’Atlantique et largement contaminé l’Europe !). P.Krugman revient, aussi, sur la psychose allemande de lutter contre l’inflation et sur le fantasme qui hante ce pays depuis l’hyperinflation de 1923 qui a précédé la prise du pouvoir par Hitler. C’est, d’ailleurs, pourquoi la BCE depuis sa création a comme seule mission de défendre la monnaie : ce fut la condition de l’Allemagne pour créer l’euro. Et, dans le n° 1219 de Politis, Francis Wurtz du PCF, en parlant des conséquences du Traité, n’hésite pas à dire qu’il s’agit de « la restauration de l’ordre social qui existait avant les trente glorieuses » et cite Mario Draghi dans une interview au Wall Street Journal : « ce traité n’est qu’un début…le modèle social européen est mort ». On ne peut pas être plus clair ! A chaque fois que la troïka aide un pays, elle réclame, en contrepartie, la réforme structurelle du droit du travail, la marchandisation des services publics et la disparition à terme de ce grand système de protection sociale que l’Europe avait réussi à bâtir au siècle dernier.

Malgré les dizaines de milliers de manifestants à Paris dimanche dernier – baroud d’honneur ou prémices des combats à venir ? – le traité sera ratifié par le Parlement, cependant que la cote d’opinions favorables au Président dégringole. A ceux qui le lui rappellent F.Hollande répond que ce ne sont les opinions versatiles qui l’importent, mais le bilan qu’on fera à la fin de son mandat. On prend date.