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  Qui se soucie de la santé des plus pauvres parmi les pauvres ?

jeudi 3 février 2011, par François-Xavier Barandiaran

En souhaitant les vœux pour la Nouvelle Année, il est coutume d’ajouter : « et surtout la santé ». La santé, physique et morale, est l’un des biens le plus précieux pour chacun d’entre nous, et la couverture des risques concernant la santé, l’un des fondements de notre système social. Pendant longtemps on a considéré que notre Sécurité Sociale était la plus performante du monde, mais voilà que, dans la période de bouleversements que nous vivons, elle manifeste des césures et des failles, remplit de moins en moins bien sa fonction protectrice pour tous et se voit attaquée par tous ceux qui rêvent d’une privatisation généralisée des services.

Son point faible vient de son coût croissant et des difficultés à la financer. Les Gouvernements successifs, prétendant responsabiliser les malades que nous sommes ou que nous serons demain, nous demandent de mettre la main à la poche pour diminuer « le trou » de la Sécurité sociale. Le coût de la santé s’envole : nous le constatons en permanence depuis quelques années, du fait des déremboursements continus, de l’augmentation des forfaits et des franchises fixés par l’État et, conséquemment, de la hausse des cotisations des mutuelles complémentaires. Sans oublier les dépassements d’honoraires qui tendent à se multiplier.

En fait, nous sommes entrés dans une voie propédeutique qui nous mène à une santé à deux vitesses, une façon de préparer les esprits à la privatisation de notre système de santé. Si pour le français moyen ces nouvelles dépenses, qui rognent encore un peu plus son pouvoir d’achat, sont supportables, pour un bon tiers de nos concitoyens jetés dans la précarité, elles les privent progressivement de soins fondamentaux créant une santé inégalitaire : une enquête Ipsos pour le Secours populaire montrait que 39% des français ont retardé ou renoncé à des soins en raison de leur coût. Par ailleurs, on sait que 5 millions de français ne peuvent pas se payer une complémentaire santé et que l’INSEE recense huit millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Quant à ceux qui appartiennent au quart monde, qui connaissent la misère quotidienne, le surendettement, le manque de logement, la vie à la rue… la santé arrive bien après les efforts pour se nourrir et se maintenir en état de survie !

Qui, dans notre société pour nantis, se soucie de la santé des plus pauvres ? Heureusement des bénévoles existent pour ne pas laisser ces personnes dans l’abandon et la déréliction totale. Ainsi, Act Up, qui vient en aide aux malades du sida, ou Médecins du monde Europe qui milite pour « un égal accès aux soins des personnes résidant sur le territoire européen, quel que soit leur statut administratif ». Ainsi, les grandes associations généralistes d’aide, comme le Secours Populaire et le Secours Catholique, et tous ceux qui militent pour les droits de toute personne et le respect de sa dignité. Je citerai, parmi elles, ATD Quart monde, qui côtoie les familles et les enfants condamnés à vivre dans la misère : « enfants vivant à la rue avec leurs parents, enfants ballotés d’hôtel en hôtel, enfants vivant dans des taudis, enfants sans cesse chassés et obligés de fuir avec leurs parents, enfants vivant dans des cités délabrées… »

C’est parce qu’elles connaissent bien toutes ces personnes qui n’osent pas aller chez le médecin, le dentiste, l’ophtalmologue…ou qui renoncent aux soins pour des raisons financières. Parce qu’elles soutiennent ces étrangers en situation irrégulière –dont beaucoup travaillent et payent des impôts !- qui ne peuvent pas se faire soigner. C’est parce qu’elles se déclarent porte-parole des sans-droits, que ces associations ont milité et continuent d’agir pour que des lois soient votées stipulant le droit de tous à la santé. Cela s’est passé -ce n’est pas inutile de le rappeler à ceux qui prétendent que la gauche n’a rien fait- sous le Gouvernement de Lionel Jospin.

La première est la loi d’orientation de juillet 1998 contre les exclusions et pour l’accès de tous aux droits fondamentaux : parmi eux, celui à la santé. C’est une loi cadre qui définit que la lutte contre les exclusions doit être « une priorité nationale ». Qui s’en souvient ? Elle prévoit la prise en charge des plus démunis à travers la création dans des hôpitaux, publics et privés, « des permanences d’accès aux soins de santé » ? Ce sont les PASS : il y en a actuellement environ 400 à travers tout le territoire. A Toulouse, ce dernier refuge pour malades désargentés se trouve à l’hôpital de la Grave.

Elle a été suivie par la loi de juillet 1999 « portant création d’une couverture maladie universelle » (CMU de base), mise en place effectivement le premier janvier 2000. Elle prévoit deux types de situations : 1) Les personnes de nationalité française ou les résidents réguliers en France depuis plus de trois mois et qui n’ont pas droit à l’assurance maladie à un autre titre doivent bénéficier de la couverture maladie de base. Sont éligibles à la CMU, par exemple, les chômeurs non indemnisés –actuellement plus d’un million et demi-, les jeunes sans activité salariée, certaines personnes séparées de leur conjoint, etc. En juin 2002 on va ajouter la complémentaire (CMU-C) sous condition de ressources : par exemple, le plafond pour une personne seule est de 635 euros. Elle concerne 4,5 millions de personnes, leur offrant la prise en charge du ticket modérateur, du forfait journalier hospitalier, l’avance de frais chez le médecin…. 2) Pour les autres, en situation irrégulière et les sans-papiers, est créée l’Aide Médicale d’État (AME), qui –pour fixer les idées- a bénéficiée en 2009 à 215.000 personnes.

L’objectif de tous ces textes –on l’a bien compris- est d’offrir à tous une médecine de qualité et de maintenir un certain niveau d’égalité devant les risques de la santé. Mais, par les temps qui courent cela en était trop ! Pour preuve, la modification que le Gouvernement vient d’introduire à propos de l’AME : après le vote définitif du Sénat le budget pour 2011 a instauré un ticket d’entrée pour bénéficier de l’AME de 30 euros. Ce forfait, qui pénalise les sans-papiers, a été unanimement condamné par toutes les associations en contact avec ces personnes comme « financièrement inadapté…et porteur de risques sanitaires » pour l’ensemble de la population. En effet, pour réaliser des économies de bout de chandelle on risque de laisser propager des maladies infectieuses qui à terme coûteront beaucoup plus cher à la collectivité. Pour rendre encore plus inhumaine la situation de ces irréguliers, si la LOPPSI 2 actuellement en débat au Sénat est adoptée, des étrangers malades ne seront plus soignés, ce qu’ont dénoncé vigoureusement 50 organismes chrétiens qui ont signé l’appel « Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger ».

Mais, ce qu’il faut dénoncer de façon générale, c’est l’inégalité croissante des citoyens vis-à-vis de la maladie, et la discrimination scandaleuse faite aux pauvres. Soyons concrets. Il est déontologiquement évident que les professionnels de la santé doivent traiter les malades qui s’adressent à eux, quel que soit leur statut social, comme n’importe quel autre assuré social. Pourtant, de multiples témoignages collectés par les associations et confirmés par des opérations « testing » ont mis en évidence des comportements discriminants à l’égard des gens bénéficiant de la CMU-C. Les motifs invoqués sont multiples et variés : les pauvres sont sales, sentent mauvais et détonnent dans les salles d’attente ; le paiement des actes médicaux est effectué par la Caisse, en différé ; ils sont irréguliers aux rendez-vous ; les spécialistes –c’est la raison la plus largement invoquée- ne peuvent pas appliquer le dépassement de tarifs ... Ainsi, une enquête de 2009 en région parisienne, commandée par le Fonds de financement de la CMU a montré que 25% des médecins –toute catégorie confondue- refusent les patients CMU. Ceux qui arrivent en tête, ce sont les dentistes - 39% -, suivis par les gynécologues – 38% - et les spécialistes du secteur II, et seulement 9% ( !!!) des généralistes du secteur 1 (sans dépassement d’honoraires).

L’Ordre des médecins condamne, évidemment, de telles pratiques contraires au serment d’Hippocrate, mais les propositions concrètes de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) pour en finir, restent toujours lettre morte !

Si vous ne voyez pas comment agir pour stopper le grignotage de notre système de protection sociale, il vous reste, au moins, la possibilité de vous indigner, en suivant l’appel de S.Hessel, qui dans un entretien au Monde daté du 15 janvier 2011, déclarait : « La première responsabilité des États est de veiller à ce que les plus défavorisés ne soient pas laissés dans la misère »