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  CRISE PAR CI, CRISE PAR LA !!!

lundi 19 juillet 2010, par Pierre Ranjeva

Le Monde vit un cauchemar !

De quelque côté que l’on se tourne, on entend que jérémiades, pleurs et grincements de dents : la Grèce est en faillite, l’Espagne est menacée, la France prend ses dispositions pour ne pas subir une décote dans le jugement des agences de notation, … même le Japon, longtemps considéré comme le Samouraï conquérant et dominateur brandit, d’après le Figaro du 12 JUIN, « la menace d’une faillite d’état ». Indiscutablement le monde assiste au naufrage du dogme de la « main invisible » et du libéralisme, prôné par Milton Friedman et son École de Chicago, par Hayek et autres « oracles »… et, peut être, verrons-nous bientôt une révision générale des paradigmes économiques de ces dernières décennies.

Apparemment la thèse soutenue par Fukuyama, sur « la fin de l’Histoire »par le triomphe définitif du libéralisme, ne coïncide plus avec les réalités sordides de la conjoncture internationale. Car aucun pouvoir à ce jour, malgré réunions et colloques multiples du G8, du G20 et tutti quanti, n’a trouvé la panacée et les remèdes proposés, partiels, partiaux et uniformes, ne se caractérisent pas par leur originalité mais s’apparentent plutôt à un cautère sur une jambe de bois.

Passons donc cursivement en revue les remèdes proposés : Dans les pays développés : Austérité c’est le cri unanime des gouvernants. Il faut réduire la dette publique

Et pour ce faire, économiser c’est à dire dans un premier temps, procéder à des coupes claires dans les dépenses publiques en annulant, par exemple en France, la « garden party » de l’Elysée supprimer des postes dans la Fonction publique et dans les cabinets ministériels et on ne remplace pas les agents partis à la retraite . remettre en cause les acquis sociaux en reculant l’âge de la retraite

Augmenter taxes et autres ressources de l’Etat.

Et c’est ainsi qu’a été reculé partout l’âge de la retraite, révisé à la hausse les taux de la TVA…

On ne procédera pas à une recension de toutes les mesures prises tant elles sont nombreuses, parcellaires et s’apparentent plutôt à un « inventaire à la Prévert » qu’à une politique, ainsi définie par le général de Gaulle dans se « Mémoires de guerre » : « un ensemble de desseins continus, de décisions mûries, de mesures menées à leur terme… ». Et cette impuissance ne doit guère étonner dans la mesure où la déification du marché a mis la politique sous sa coupe : les États sont aujourd’hui totalement désarmés face à ce qui est considéré comme vérité intangible, par la doctrine dominante, du « laisser faire », au point qu’une compression de personnel par une entreprise se traduit immédiatement par une hausse de ses actions en bourse. L’austérité pour qui ?

On mentionnera à peine la suppression, par exemple, de la « garden party » du 14juillet à l’Elysée, la diminution du nombre de conseillers dans les cabinets ministériels, les démissions forcées de Christian Blanc et d’Alain Joyandet…économies de bout de chandelles, « poudre aux yeux pour gogos », destinée à assouvir l’instinct égalitaire du Français, réputé râleur.

Mais à partir du moment où l’hymne à l’austérité est devenu la nouvelle pensée unique, proclamée par les élites de tous les pays, les vraies victimes ne peuvent être que les personnes soumises au pouvoir régalien et les couches les plus défavorisées de la population. Au premier rang figurent les fonctionnaires qui sont dans une position « statutaire et règlementaire » et donc, en principe, totalement soumis au pouvoir régalien. Leur nombre sera réduit et leur traitement gelé pendant quelques mois :

5% en moyenne en Espagne,

12% en Grèce,

20% dans certains secteurs en Irlande… (1)

Viennent ensuite :

les salariés, les personnes vulnérables : les économiquement faibles, jeunes, vieux, femmes seules chargées de famille… C’est ainsi que l’âge de la retraite est repoussée pour couvrir le déficit abyssal des Caisses La TVA et autres taxes indirectes revues à la hausse,

L’allocation aux personnes seules, aux étudiants, aux handicapés… soumise à des conditions draconiennes d’éligibilité quand elle ne sont pas diminuées voire supprimées ;

pendant que délocalisations et « dégraissages » sont férocement menés pour gagner la « guerre économique »…..

On remarquera qu’il n’est question

- Ni de taxer Le capital, qui a connu ces dernières années une hausse phénoménale, (2) il faut, au contraire, maintenir les « niches fiscales » dont la suppression suffirait sans doute à combler les déficits ni les bénéfices monumentaux des banques pourtant sauvées de la faillite par les États,

- ni de toucher aux plus-values acquises en spéculant en bourses,

- ni même de rogner les énormes primes des traders

Ainsi les charges, pour résorber dettes et déficits, retombent-elles essentiellement sur les salariés et les titulaires de revenus fixes comme en témoigne, par exemple, la hausse des taxes et impôts indirects qui place riches et pauvres au même niveau !!!

On peut donc crûment reconnaître : tous les remèdes proposés n’ont eu pour objectif que de transférer les gains de productivité vers le capital et non vers le travail.

Et cette aberration va s’aggraver jusqu’à la catastrophe finale pour les quelques raisons suivantes :

l’économie financière, dans les pays industrialisés, s’est totalement détachée de l’économie réelle et aujourd’hui on ne rentabilise plus ses avoirs que par la spéculation, c’est-à-dire que l’on ne travaille que sur l’argent qui n’est après tout qu’un moyen.

L’économie tourne ainsi à vide et aboutit au règne des rentiers que Keynes tenait en horreur !!!

l’argent pour et par l’argent a ainsi réduit le nombre des salariés dans ces pays car les producteurs délocalisent à qui mieux mieux pour réduire leur coût de production et, partant, être en meilleure posture pour affronter leurs concurrents dans la féroce « guerre économique » ; la politique suivie unanimement par ces pays portent donc en elle-même les germes de son échec parce que :

- fondée sur la croissance de la consommation, elle réduit, par leur politique de déflation, le pouvoir d’achat de leurs consommateurs, et surtout, la « productivité rapidement croissante du travail du travail et du capital entraîne un excédent de force de travail et de capital. » le chômage va donc s’accroître et, avec lui, l’assiette et le montant des revenus escomptés.(3)

Au total, « la société de travail est en crise » et Wassili Léontieff « résumait la situation par cette métaphore : quand la création de richesses ne dépendra plus du travail des hommes, ceux-ci mourront de faim aux portes du Paradis à moins de répondre par une nouvelle politique du revenu à la nouvelle situation technique » (3)

C’est dire, en termes savants , à quel point le « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy est une fumisterie qui illumine son inadaptation à la conjoncture mondiale .

- Et nous, et nous, et nous ?

Qualifiés, à juste titre et depuis des décennies par Samir AMIN , de « Périphérie » au service et à la remorque d’un « Centre » nous allons, pendant une brève période, bénéficier de « l’effet de ruissellement » des délocalisations menées par les pays riches et industrialisés. L’importance prise, par exemple, par les zones franches et l’AGOA dans notre économie et dans l’équilibre de notre balance commerciale en est la preuve irréfutable. Mais il nous faut nous persuader qu’il s’agit là d’un effet éphémère car les entreprises des zones sont, par nature, des « entreprises baladeuses » prêtes à déménager dès que les coûts de production sont plus favorables ailleurs. Ainsi, par une ruse de la conjoncture, la concurrence est aujourd’hui transférée entre pays pauvres !!!

Faut-il, dans ces conditions, renoncer à toute politique économique libératrice ?

Il est certainement temps, en cette époque de remise en cause de toutes les idées reçues, d’en finir avec notre propension au mimétisme et au suivisme et de tracer notre propre voie ;

La tragédie de pays pauvres, et surtout des pays africains, est d’avoir :

- toujours négligé ses paysans en privilégiant les cultures de traites, monopoles des grandes compagnies coloniales : « ….la terre ne vaut rien chez nous parce que les prix des produits agricoles sont désespérément bas….Le jour où l’on rémunérera au juste prix le travail de la terre, on verra celle-ci devenir un facteur réel de production… » (4)

- suivi aveuglément les foucades des Institutions de Bretton–Woods , à l’origine des « éléphants blancs », de « l’ajustement structurel… , qui ont causé notre endettement et l’enrichissement de nos satrapes… Avec l’irruption de l’écologie dans les débats politico-économiques, avec la croissance fondée sur l’automobile, les terres cultivables empoisonnées par les pesticides et rétrécies par les autoroutes deviennent aujourd’hui la denrée rare.

Aussi assistons nous, chaque jour, à une flambée des prix des denrées à alimentaires et, de par le monde, à une « razzia sur les terres arables » : les controverses brûlantes sur l’Affaire Daewoo auraient dû provoquer chez nous un profonde réflexion qui ne se serait pas cantonnée à la sacralité de la « Terre des Ancêtres » . Le moment est venu de s’imprégner de la pensée de deux grands économistes :

Samir Amin :

« …L’alternative est donc : accepter le développement mondialisé tel qu’il est, avec tout ce qu’il suppose, ou tenter de mettre en œuvre des politiques de développement autocentrés nationales et populaire, qui agiront comme des forces appelées à refaçonner à la fois les sociétés nationales et le système mondial…L’alternative est donc mondialisation ou élargissement d’une marge d’autonomie pour les peuples , les Etats et les nations, c’est-à-dire, au profit des classes populaires… » (5) Keynes/

« …Si les nations pouvaient apprendre à maintenir le plein emploi au moyen de leur seule politique intérieure…il ne devrait pas y avoir de force économique importante propre à dresser les intérêts des divers pays les uns contre les autres… »(6)

Et notre conclusion sera : voici revenu le temps des Physiocrates, de Marx, Keynes et Samir Amin….

Pierre Ranjeva Tribune de Madagascar

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1) « « Le Monde Diplomatique »-juillet 2O10 2) Le nombre de milliardaires en dollars est passé de 792 en 2008 à 1011 en 2009. 3) André Gorz : « Métamorphoses du travail » et autres ouvrages et publications. 4) D. Etounga-Menguelé « L’Afrique a-t-elle besoin d’un ajustement culturel » 5) Samir Amin : « La faillite du développement en Afrique et dans le Tiers-Monde » 6) J.M Keynes : « Théorie générale… »