Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  L’Europe, nouvelle foire d’empoigne ?

samedi 7 mars 2009, par François-Xavier Barandiaran

En suivant les médias, ces dernières semaines, le citoyen moyen, même pas très averti de questions économiques, a pu comprendre que les institutions européennes n’ont pas été à la hauteur des circonstances, que chaque pays essaie de tirer la couverture à soi, que les égoïsmes nationaux sont mis à vif et que la crise économique est en train de mettre à rude épreuve l’Europe marchande que tant bien que mal on avait réussi à construire. La collecte de mauvaises nouvelles est abondante, alors que le chômage frappe de façon inouïe : plus de 200.000 nouveaux chômeurs en France ces trois derniers mois, et, en Espagne, 350.000 pour les seuls mois de janvier et février ! Même le Gouvernement français, toujours prompt à édulcorer la réalité, reconnaît par la voix de L.Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’emploi, que « l’on va avoir des chiffres comme ça sur plusieurs mois ». Plus les semaines passent, plus les économistes y vont, chacun de sa prédiction, en annonçant une dépression longue tout à fait comparable à celle de 1929.

Dans ce climat, des discours racistes et xénophobes resurgissent, comme toujours en temps de crise, non seulement à l’adresse des migrants d’Afrique, mais aussi vis-à-vis des ressortissants des pays qui adhèrent à l’UE : polonais, baltes, roumains… qui sont allés chercher du travail en Irlande, Grèce, Italie, Espagne. Ce sont des syndicats britanniques qui font grève contre la sous-traitance de chantiers à des entreprises portugaises ou italiennes qui ne respectent pas le droit du travail anglais et pratiquent le dumping social. C’est logique, et en même temps paradoxal, que cela arrive dans le pays qui s’oppose le plus farouchement à la création d’un droit social européen. Le patriotisme économique fait un retour en force. Il peut emprunter plusieurs chemins plus ou moins voilés : c’est l’aide des Etats à tel ou tel secteur (l’automobile, par exemple) à condition de ne pas délocaliser des emplois ; ce sont les banques qui n’accordent plus de crédits à des filiales situées dans des pays étrangers ; c’est la baisse du coût du travail en Allemagne ou en France ; c’est le dumping fiscal en Irlande (12 % sur les bénéfices contre une moyenne de 29 % pour l’OCDE). Chacun se concentre sur des activités domestiques et, si possible, non délocalisables.

On savait déjà que par temps de croissance le marché unique était régi par le traité de Lisbonne et la loi de la concurrence. Mais, par temps de crise, cela devient une véritable foire d’empoigne !

La création de la monnaie unique avait constitué un facteur puissant d’intégration et un bouclier de protection contre les risques de dévaluation, mais le bouclier se craquelle : les économies des divers pays sont frappées de façon différente par la crise, selon qu’il s’agit de pays « sûrs » (Allemagne et France) ou d’autres « moins fiables » (Irlande, Italie, Grèce, Espagne, Autriche…). Ainsi, les écarts d’intérêt entre les dettes publiques augmentent, même à l’intérieur de la zone euro : les obligations à dix ans sont souscrites à 3,03% pour l’Allemagne et à 3,58% pour la France, alors qu’elles coûteront 5,39% à l’Irlande, et même 5,57% à la Grèce.

Vient s’y ajouter l’effondrement économique des pays de derrière l’ancien « rideau de fer », dont deux seulement ont adopté l’euro. Après le retrait des capitaux des banques de l’Europe de l’Ouest, leurs devises s’effondrent. Entrés dans l’Europe des 15 en mai 2004, dans la précipitation et la confiance euphorique faite aux vertus du Marché, ces pays n’ont pas gravi les étapes de mise à niveau (comme ce fut le cas pour l’Espagne), accompagnés par la solidarité des autres pays européens. C’étaient les lois du marché qui, en peu d’années, devaient les hisser au niveau de richesse de « la vieille Europe ». En effet, certains ont connu une élévation spectaculaire du niveau de vie, suite à l’affluence des capitaux étrangers –environ 1300 milliards d’euros- alléchés par les conditions fiscales et le coût de la main-d’œuvre. Au nom de « la concurrence libre et non faussée » ! Mais, maintenant, par temps de crise la chute est rude : leurs devises perdent de la valeur parce que le flux des capitaux étrangers se tarit et que la tendance est même au rapatriement des actifs. Et, comme leurs monnaies se déprécient, le coût de leur dette explose littéralement.

Corollaire : les banques autrichiennes qui avaient investi massivement en Europe de l’Est sont sur la corde raide. Mais celles d’autres pays, comme la Belgique ou la Suède, seraient, de même, en danger si ces pays étaient dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts. Si, pour le moment, en Europe les plus gros risques se situent à l’est et dans les pays baltes, par un effet domino tous les pays de l’union monétaire seraient touchés. Selon les économistes de la Banque Dresdner « pour l’euro c’est une bombe à retardement », parce qu’il paraît impensable de laisser un pays membre de la zone euro se déclarer en faillite.

Pourtant, les traités de l’UE ne prévoient aucune aide en faveur des pays déclarés insolvables : le traité de Lisbonne n’avait tout simplement pas prévu la possibilité d’une crise. Il comporte, même, une clause de non-intervention. Maintenant l’Europe est dos au mur, et, comme on pouvait lire dans un éditorial de Le Monde :« l’avenir de l’Europe est peut-être en train de se jouer à l’est ».

Il est piquant, par les temps qui courent, que les gouvernements de certains de ces pays si éprouvés par la crise soient les derniers à professer un libéralisme total, en prônant contre vents et marées « la main invisible du marché ». Ce sont les polonais et les tchèques qui donnent des leçons « d’européanité » aux membres de l’ancienne Europe ! Tellement ils étaient persuadés, en période de croissance, que leur développement viendrait de leurs avantages comparatifs, comme la flexibilité totale du travail et leur fiscalité avantageuse (le cas limite c’est l’Estonie qui applique 0 % d’impôt sur les bénéfices !). Ainsi, les petits pays et les derniers entrants craignent le chacun pour soi et les initiatives individuelles. Et même des oppositions et des rivalités s’aiguisent entre les grands pays de L’Europe : Allemagne, France et Grande-Bretagne. Aux antagonismes traditionnels franco-allemands viennent s’en ajouter d’autres – faut-il doter l’Europe d’un gouvernement économique ?- ce qui explique que les deux grands fondateurs de l’Europe ne s’accordent qu’à minima.

Devant cette situation cataclysmique que font les institutions européennes ?

Après une longue période de passivité, voilà que la Commission se réveille en faisant preuve, pour le moins, d’un grand manque de souplesse, puisqu’elle se propose d’ouvrir des procédures pour non respect du pacte de stabilité et de déficits excessifs, alors que ces normes sur lesquelles l’union européenne est bâtie sont, de toute évidence, inadaptées à répondre au moment actuel. Elle ne sait être que le gardien du temple ! Cependant que beaucoup de pays s’en affranchissent allègrement (si l’on peut dire) : par exemple, le ratio dette publique/PIB britannique est de 150 % au lieu des 60 % autorisés et que son déficit fiscal est de 10 % du PIB contre la norme de 3 %. Quant à la France, elle vient d’annoncer que son déficit pour 2009 serait de 5,5 %.

Quant au Conseil européen du 1-2 mars, il a accouché d’une souris, soit le rejet du protectionnisme qui est tabou pour les défenseurs du libre-échange, à travers des sourires forcés et des contorsions oratoires et la vague promesse faite aux pays de l’Est les plus en difficulté qu’ils feraient jouer la solidarité au cas par cas. Mais pas de sauvetage global. Devant la régression qui se profile –on ne parle pas encore de dépression-, incapable d’impulser un plan général de relance, l’Europe joue son avenir dans la façon dont elle sera capable d’affronter la crise. Que restera-t-il de l’utopie-Europe, si elle n’arrive pas à mobiliser les européens ?

Après le résultat négatif du référendum sur le projet de Constitution pour l’Europe et le déni de cette volonté populaire par les autorités de la France qui ont ratifié par voie parlementaire le traité de Lisbonne, nous sommes à trois mois des élections pour le Parlement Européen. D’après un sondage publié par Libération, ces jours-ci, dans le grand marasme où nous sommes, 33 % des français attendent des solutions nationales et 59 % pensent que les solutions viendront plutôt des politiques européennes communes. C’est, par conséquent, le moment de proclamer qu’une « autre Europe est possible ».

Que face à une Europe fondée sur la concurrence généralisée, sur une politique monétaire sans aucun contrôle démocratique, sur la déréglementation du droit social et la mise à mal des services publics, nous voulons, comme l’exprime le Collectif pour une autre Europe, une Union Européenne qui donne les pouvoirs réels aux citoyens « qui doivent décider, eux-mêmes, à tout moment, du type d’Europe qu’ils veulent construire ensemble ». « Pour nous –proclament-ils- l’Europe doit d’abord servir à améliorer la vie quotidienne, à combattre le chômage, à protéger l’environnement, à faire reculer les inégalités et les injustices. Cela suppose une Europe fondée sur la coopération et la solidarité entre les peuples… »

Ceux qui n’ont pas compris que l’Europe n’intéressera ses citoyens que quand ils pourront se l’approprier en la transformant en un espace démocratique et social redistributeur des richesses à travers l’harmonisation sociale et fiscale, devraient garder présents dans leur mémoire ces propos du psychanalyste H.Sztulmann : « Il n’y a pas d’explosif plus dangereux que l’alliage de l’injustice et de l’impuissance » (Le Monde du 28/02/09).