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  Ni Dieu, ni l’État

vendredi 1er juin 2018, par Stuart Walker

Aujourd’hui la France a un long chemin devant elle avant d’être considérée comme un modèle social. Certes elle est le numéro 1 parmi les pays de l’OCDE pour le niveau des prestations sociales. Ce qui ne’empeche pas le climat social de se dégrader. Comme s’il existait une loi de la générosité : plus un État donne , plus les critiques sont acerbes quand l’effet de cliquet ne fonctionne plus automatiquement.

Peu de pays doivent nous regarder en se disant "Si seulement on pouvaient faire comme les Français." Ce n’est pas une situation enviable que d’être parmi les champions à la fois des prélèvements obligatoires, l’endettement et le chômage.

La France a une histoire sociale marquée plus par le conflit que le consensus. La lutte des classes est restée dans son ADN. Les "partenaires sociaux" ne le sont qu’en nom. Les accords qu’ils ont négociés et signés peuvent se compter sur les doigts d’une main.

On a vu une certaine solidarité pendant la dernière guerre, et les années qui l’ont suivi, ou beaucoup de Français travaillaient 50 heures par semaine pour la reconstruction du pays. On aurait pu, pendant les 30 glorieuses, établir un équilibre budgétaire, mais on a préféré la politique de la cigale. Tel corps de métier manifestait son mécontentement, sa direction empruntait pour acheter la paix, s’appuyant sur l’État pour rester à flot, ce dernier s’endettant progressivement à un niveau qui n’est plus soutenable aujourd’hui.

Mario Draghi a fait "ce qui était nécessaire " pour permettre aux économies Européennes de se redresser après la crise de 2008. Mais cela n’a pas empêché la dette souveraine Française de dépasser la barre de 2000mds, dont une grande partie est consacrée, non pas aux investissements, mais aux rémunérations des employés de la fonction publique.

Selon la Cour des Comptes , elle continue d’augmenter, malgré les reformes actuellement en cours. Il est peu convaincant de dire que cette spirale peut continuer indéfiniment, et qu’à la limite on ne la remboursera pas. Imaginez que vous prêtez votre maison à une connaissance pendant une année sabbatique. Vous revenez pour trouver qu’elle a été saccagée. Vous ne vous y prendrez pas deux fois.

L’Italie vit encore plus au-dessus de ses moyens que la France. Si un nouveau gouvernement sort du chaos actuel, et il continue à vouloir baisser les impôts et augmenter ses frais, il risque de perdre la confiance des marchés. L’augmentation de ses taux pourrait déclencher la faillite d’une de ses principales banques, avec des conséquences catastrophiques, comme on a vu avec Lehman Brothers en 2008.

L’État Providence s’est développé à une époque ou, pour équiper les ménages, l’économie avait besoin d’une main d’œuvre intensive. La mondialisation et le digital ont changé la donne. Selon les sondages la première préoccupation des Français. est l’emploi. Il y a une prise de conscience que 30% ou plus des emplois existants disparaîtront ou seront transformés.

On pourrait multiplier les emplois aidés, ce qui mènerait en fin de course à une situation comme celle qui existait à la fin du régime de l’URSS, ou les travailleurs faisaient semblant de travailler, et l’État faisait semblant de les payer. Le parachutage d’un revenu universel ne semble pas praticable à grande échelle.

Il reste l’alternatif de l’émancipation, de libérer les talents et les initiatives. Non pas d’euthanasier l’action sociale de l’État mais de la revitaliser. De voir se développer un nouveau syndicalisme qui va à la table des négociations avec des propositions positives, comme la cogestion, plutôt qu’avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre.

Il est matériellement impossible de donner satisfaction à toutes les réclamations : "un vrai plan, avec les ressources financières et humaines pour la médecine, les quartiers, les universités, le transport ... ". Le défi qui s’impose est d’arriver à faire plus avec moins.

On a un service de santé remarquable. Mais plutôt que de laisser dire "Je fume, je bois et je mange mal, mais je ne crains rien parce que si je suis malade l’État me soignera gratuitement" , ne serait-il pas préférable d’encourager le particulier d’appliquer le principe de précaution à lui-même ? Les fondateurs de la Sécurité Sociale n’imaginaient pas l’explosion ds coûts qu’entraîneraient la médecine préventive et l’augmentation de l’espérance de vie.

Est-ce qu’un étudiant ne ferait pas mieux d’accepter une orientation, plutôt que d’occuper et dégrader son lieu de travail, pour garder le droit à l’admission quasi automatique à l’université, et suivre 3 ans d’études pour lesquelles il n’a pas toujours les qualifications de base, et qui souvent l’amèneront aux portes de Pole Emploi ? En tant que pays égalitaire, la France a gardé un curieux mépris pour tout ce qui salit les mains ou fait transpirer.

Au Moyen Age les gens plaçaient leur foi en Dieu, et ne craignaient pas la mort, qui était le passage vers la vraie vie. Nous avons remplacé Dieu par l’État, mais nous ne pouvons lui demander la toute-puissance.

Entre ces deux approches, il existe une troisième, l’Humanisme, ou la poursuite de ses propres interets, dans la mesure que cela ne nuit pas aux intérêts des autres. On le trouve dans les écrits des Philosophes du 18è siècle, dans la Déclaration des Droits de l’Homme, et dans les valeurs sur lesquelles l’Europe a été construite.

Un de ses défenseurs était l’historien/économiste R.H.Tawney, qui a beaucoup contribué aux bases théoriques des premiers Socialistes Anglais dans les années 1920-30. Sa philosophie économique peut se résumer comme le Capitalisme sans l’immoralité qui l’accompagne. Elle contenait un élément de bienveillance. Tawney était très critique du Libéralisme pur et dur, qu’il accusait d’être basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme et de déshumaniser le travailleur. Il croyait en, et pratiquait , la formation du travailleur, et était un des premiers avocats d’un "minimum wage" Pour lui l’entreprise existait pour l’homme, plutôt que l’inverse. Elle trouvait une de ses meilleures formes d’expression dans la coopérative. Ce statut est d’ailleurs celui d’un des fleurons du commerce Anglais d’aujourd’hui, la chaîne de magasins John Lewis

Cependant Tawney ne rejetait pas totalement le libéralisme , ni même l’individualisme. Il s’est beaucoup inspiré de Wéber et les valeurs de "self reliance" (la capacité de subvenir à ses propres besoins) et de "thrift" (l’épargne) qui ont fait la force des économies des pays Protestants. On ne pouvait se passer de l’éthique de travail, thème cher à Tony Blair, qui a modernisé l’économie Anglaise après après les excès de gauche de la période Wilson, et de droite de celle de Thatcher. Quand Bill Clinton disait "On peut aider à marcher quelqu’un qui est tombé, à condition qu’il veuille bien le faire" , il se plaçait dans la même lignée.

Ce n’est pas une exagération de dire que certains de ces principes se retrouvent dans les orientations de l’administration Française actuelle. Il fallait que quelqu’un saisisse le taureau par les cornes et débloque une économie qui allait dans le mur. La gauche n’a qu’elle même à se reprocher ne ne pas avoir su le faire. Si la population voulait vraiment désavouer Macron, la marée populaire aurait mobilisé un million de manifestants au lieu de quelques dizaines de milliers.

Si la perception d’un virage droitier excessif se confirme, plusieurs échéances électorales fourniront l’occasion de rectifier le tir. Plus probablement, il y aura, au bout de deux mandats, une espace pour une nouvelle gauche, si elle réussit à se reconstituer, de mettre en place un Socialisme Humaniste. On pourra alors parler en connaissance de cause d’un modèle social Français.