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   Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites ; dix contrevérités

jeudi 22 avril 2010, par Attac-Fondation Copernic

Mireille Bruyère notre invitée est membre du conseil scientifique d’ATTAC. Le texte qui suit a été élaboré par ATTAC et la fondation Copernic.

1) L’âge moyen de départ à la retraite est de 61,5 ans, reculer l’âge légal de départ à la retraite ne changerait donc rien.

L’âge moyen de « départ à la retraite » est celui auquel on fait valoir son droit à pension. Ce qui est important, c’est l’âge de cessation d’activité. L’âge moyen de cessation d’activité est de 58,8 ans, et six salariés sur dix sont hors emploi (chômage, invalidité, inactivité ou dispense de recherche d’emploi) au moment de liquider leur retraite. Ainsi, très souvent, les salariés ayant eu une carrière courte et/ou heurtée, en particulier les femmes, liquident leur retraite à 65 ans pour pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein sans décote, alors même qu’ils sont déjà hors du marché du travail. Reporter l’âge légal de la retraite au-delà de 60 ans aurait une double conséquence : les systèmes de chômage ou de préretraites vont devoir financer en plus ce que les systèmes de retraite financeront en moins, et, en parallèle, la période hors emploi avant l’âge de départ en retraite s’allongera pour beaucoup, avec des ressources dérisoires ou nulles. L’âge du taux plein (65 ans) sera repoussé d’autant, signifiant qu’une proportion croissante de salarié-es devra reculer son départ pour atteindre la nouvelle borne ou bien avoir une pension amputée par la décote.

2) L’espérance de vie augmente, c’est normal de travailler plus longtemps.

L’augmentation de l’espérance de vie n’est pas nouvelle, elle n’a pas empêché que le temps passé au travail dans une vie baisse en parallèle. De plus, l’espérance de vie « en bonne santé », c’est-à-dire sans incapacité, est beaucoup plus faible que l’espérance de vie. Tout départ en retraite tardif obère de façon non négligeable le temps dont les salariés disposent pour jouir réellement de leur retraite. Enfin, les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active et de nombreux salariés, dont une majorité de femmes, ont des carrières discontinues et n’arrivent déjà pas à réunir le nombre d’annuités demandé, alors même que les entreprises se débarrassent des salariés âgés. L’augmentation de la durée de cotisation ou le report de l’âge légal de départ à la retraite aurait donc des conséquences importantes lors de la liquidation de la retraite et se traduirait en pratique par une pension réduite pour le plus grand nombre.

3) Les jeunes ne pourront pas financer les pensions des futurs retraités, il faut donc que ces derniers travaillent plus longtemps.

Pour que les jeunes puissent payer les pensions des retraités, il faut qu’ils ne soient pas au chômage et donc que les salariés âgés laissent leur place sur le marché du travail aux nouvelles générations. Décaler l’âge de départ à la retraite revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites. La retraite par répartition repose sur un contrat implicite : la génération qui travaille prend à sa charge la génération en formation et la génération partie à la retraite. Ainsi, chaque génération monte sur les épaules de la précédente et la création de richesse est partagée entre actifs et retraités. C’est ce contrat intergénérationnel que le gouvernement et le patronat tentent de détruire en voulant faire travailler plus longtemps les générations les plus jeunes.

4) Le système par répartition ne sera plus capable de garantir des pensions décentes aux jeunes générations, celles-ci doivent donc d’ores et déjà se prémunir en se constituant un supplément de retraite par une épargne privée.

Si on estime possible de compléter les cotisations pour le système public par répartition par des versements dans une épargne privée, qu’est-ce qui empêche alors d’augmenter les cotisations et de garantir une meilleure retraite grâce au système par répartition ?

5) Les fonctionnaires sont des privilégiés

Le mode de calcul de la retraite est différent dans le privé et dans le public, mais cela aboutit à un résultat similaire. Dans le secteur privé, elle est calculée sur les vingt-cinq meilleures années et les primes sont prises en compte. Dans le public, c’est le salaire des six derniers mois, mais les primes ne sont pas prises en compte, et la retraite complémentaire n’est pas de même niveau que dans le secteur privé. Selon l’Observatoire des retraites, la retraite est plus élevée pour les fonctionnaires civils de l’État que pour les salariés du privé, car la qualification est en moyenne plus élevée dans la fonction publique ; mais, à statut comparable, les retraites sont à peu près équivalentes.

6) Il y aura trop de retraités et pas assez d’actifs

Les projections démographiques ne sont pas des vérités scientifiques et sont basées sur des hypothèses concernant plusieurs paramètres (fécondité, chômage, taux d’activité des hommes et des femmes, etc.). Déjà, depuis quelques années, les projections ont beaucoup varié. Ainsi, à la fin des années 1990, tous les rapports officiels prévoyaient un effondrement de la natalité. Il n’en a rien été. Jusqu’à récemment, les mêmes rapports prévoyaient un effondrement de la population active dans le futur. Les dernières prévisions de l’INSEE font maintenant apparaître une augmentation de la population active jusqu’en 2015 puis une stabilisation par la suite. En outre, les hypothèses retenues sur la population active sont très pessimistes, pour ne pas dire régressives : rien ne justifie en effet de projeter, dans la tranche de 25 à 45 ans, un taux d’emploi des femmes inférieur de 15 points à celui des hommes si ce n’est renoncer définitivement à toute politique visant l’égalité entre les femmes et les hommes. De fortes marges de manœuvre existent pourtant dans ce domaine, et un niveau d’emploi égal entre hommes et femmes signifie qu’on retrouverait le même ratio retraités/actifs qu’en 1970, donc sans aucune dégradation.

7) On ne pourra pas financer les retraites

À moins de décréter la paupérisation des retraité-es, il est normal de couvrir les besoins sociaux liés à l’augmentation de leur part dans la population par un accroissement des prélèvements sur la richesse produite. Les déficits des caisses de retraite sont essentiellement dus au refus obstiné de le faire. Pourtant, le besoin supplémentaire de financement nécessaire aux retraites est réalisable puisqu’il a été chiffré en 2007 par le COR entre 1 et 2 points de PIB jusqu’en 2050, à comparer avec la chute de la part de la masse salariale de 8 points au cours des dernières décennies et avec l’explosion correspondante des dividendes, qui sont passés de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2007. Il est donc juste d’augmenter la part des salaires et des pensions dans la richesse produite en s’attaquant aux profits. Le financement des retraites est possible à condition d’en finir avec l’actuel partage éhonté de la richesse au bénéfice des revenus financiers. C’est ce partage qui constitue le tabou à faire sauter, et non l’âge de départ. Il s’agit là d’un choix politique de justice et de solidarité.

8) Les retraites nuisent à la compétitivité

Différents scénarios ont été étudiés, notamment avec l’hypothèse sur laquelle travaille le COR d’un gain de productivité de 1,5% par an. Il est tout à fait possible de garantir à la fois le maintien du taux de remplacement et une progression identique du pouvoir d’achat des retraités et des salariés – quoique inférieure à 1,5% puisque le nombre de retraités augmentera –, par une augmentation de 6 points des cotisations patronales entre 2009 et 2050. Cette augmentation n’aurait aucun effet sur la compétitivité des entreprises, puisque ce scénario est bâti en maintenant à son niveau actuel la part de la masse salariale (salaires et cotisations) dans la valeur ajoutée, donc sans impact sur les coûts.

Ce scénario, même s’il n’est pas le plus favorable aux salariés et retraités puisqu’il suppose que la part de la masse salariale reste à son niveau actuel qui est historiquement bas, rend totalement inopérant le seul argument du Medef contre l’augmentation des cotisations.

9) Pour financer les retraites, il faut une croissance productiviste

Fonder le financement des retraites sur le partage des gains de productivité ne signifie pas que l’on mise sur une croissance économique forte. Quels que soient les gains de productivité futurs, ils devront être partagés entre le niveau de vie de tous, actifs comme retraités, la satisfaction de nouveaux besoins sociaux et la diminution du temps de travail.

10. Les dispositifs familiaux sont contraires à l’égalité entre les hommes et les femmes

Ce sont très majoritairement les femmes qui prennent en charge les enfants et la gestion du foyer. De ce fait, elles sont pénalisées dans leur carrière, elles s’interrompent ou travaillent à temps partiel. Même en intégrant les dispositifs familiaux dont elles bénéficient, leur retraite est en moyenne inférieure de 40 % à celles des hommes. Ces dispositifs sont donc encore aujourd’hui essentiels pour réduire les inégalités de pension entre femmes et hommes. Pourtant, le droit communautaire européen remet ponctuellement en cause l’existence de tels dispositifs. C’est une incohérence, puisqu’il reconnaît par ailleurs la notion de discrimination indirecte, c’est-à-dire la légitimité à donner un avantage particulier dès lors que celui-ci permet de réduire des inégalités sociales ou de sexe. Il est impossible de se réclamer du principe d’égalité pour augmenter les inégalités.