Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  Dar Om Saad

dimanche 28 novembre 2004, par Mohamed El Bachir

En cette nuit du 2 novembre 19... Dar Om Saad s’était endormie sous une pluie fine fouettée par un vent violent et le sommeil d’Abou Kassem fut bercé par les sanglots agités des branches d’oliviers dans l’oliveraie.

Ce matin là, il ne s’éveilla pas à l’appel du muezzin, il n’entendit pas non plus le chant du coq. Il se dit d’ailleurs qu’aussi bien le muezzin que le coq étaient devenus muets !

Dans l’aurore naissante, trois coups frappés à la porte, suivis d’une voix stridente qui semblait donner des ordres, le tirèrent de ses réflexions.

« Au nom de Sa Majesté, veuillez ouvrir la porte ! »

S’habillant à la hâte, et tout en maugréant Abou Kassem ouvrit la porte et se retrouva face à deux étrangers, l’un en civil, l’autre en uniforme de policier.

A une heure aussi matinale, Abou Kassem comprit très vite, que la présence des deux hommes n’augurait rien de bon et qu’ils venaient lui annoncer une mauvaise nouvelle.

L’homme en civil lui remit un document et lui expliqua que la maison qu’il occupait ne lui appartenait plus.

« Vous devez quitter les lieux dans 24h ! »

Abou Kassem ne s’expliquait pas ce qui se passait. Il voyait cet homme s’agiter devant lui et les mots qu’il prononçait lui étaient incompréhensibles.

Pensant à une erreur administrative- la région étant gérée depuis peu par de nouvelles autorités- il protesta vivement, triturant dans ses mains tremblantes son titre de propriété.

Il venait de réaliser que l’étranger qui se tenait devant lui était un huissier.

Il sentit sa colère grandir quand l’homme réitéra ses demandes d’un ton menaçant :

« A ce jour, vous étiez locataire ! Dans 24h, le propriétaire prendra possession des lieux y compris de l’oliveraie. »

Abou Kassem comprit que l’affaire le dépassait, la rage l’envahit ...

« L’oliveraie ? Lieu de l’enracinement de ses ancêtres à Dar Om Saad ? Témoin de son histoire ? »

Face à l’impassibilité des deux hommes, il tira vivement la porte de sa maison, bouscula les étrangers et se rua vers l’écurie. Il scella son cheval, l’enfourcha et disparut dans l’oliveraie, comme englouti par elle.

En fin de matinée, épuisé, il arriva au siège de la nouvelle autorité. Il attendit encore deux longues heures avant d’être introduit dans le bureau du maire.

Sans s’embarrasser d’usages de politesse, Abou Kassem posa les titres de propriété sur son bureau et apostropha le représentant de la loi, assis devant lui :

« Monsieur le Maire, votre promesse ! »

Devant l’étonnement de ce dernier, il ajouta :

« Vous aviez promis l’intégrité morale et juridique de tous les hameaux en échange du concours des habitants pour destituer l’ancienne autorité. »

A cet instant, un homme entra dans le bureau et s’assit dans un fauteuil, à la droite du maire. « Certains chekhs d’autres hameaux ont accepté de ne pas tenir compte de cette promesse en échange d’une... »

Cette fois, le nouveau venu, interrompant le maire, déclara solennellement :

« Cette demeure m’a été léguée par volonté divine et ce depuis la nuit des temps. Je reviens prendre possession de mon Bien. »

Abou Kassem répliqua aussitôt :

« Votre Dieu n’est pas le mien ! »

« Que ma demeure soit votre refuge, mais Dar Om Saad est, Dar Om Saad restera ! »

L’intrusion d’un employé dans le bureau, coupa net les discussions.

Il amenait des nouvelles de Dar Om Saad.

Face à la résistance de la famille d’Abou Kassem d’évacuer les lieux, la police était intervenue et le bilan des affrontements était lourd : « Un mort, plusieurs blessés, huit prisonniers et quatre interdits de séjour dans la région. »

Après un moment d’hésitation, le maire prit la parole et conclut l’entrevue par une décision qui devait par la suite faire couler beaucoup d’encre...Et de sang.

« Au nom de Sa Majesté : Le salon, la chambre à coucher, la cuisine et le couloir qui donne sur l’extérieur changeront de nom. La pièce du fond sera désormais Dar Om Saad. Ce nouveau partage me semble équitable...Au nom de Sa Majesté... »

Ivre de colère, Abou Kassem s’écria :

« Votre équité n’est qu’une injustice et votre parole d’aujourd’hui ne vaut pas plus cher que votre parole d’hier ! »

Les descendants d’Abou Kassem en font encore aujourd’hui l’amère expérience.

...Ecoutez sangloter les oliviers dans l’oliveraie, chaque jour ils pleurent ce qui se trame à Dar Om Saad...

A la mémoire d’Abou Ammar