Le Café Politique

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  Au-delà de la raison ?

dimanche 28 novembre 2004, par François Saint Pierre

Le "symbolique" permet de transformer l’imaginaire en réel…. La Palestine, débordant depuis la nuit des temps de "symbolique", a fabriqué un réel déraisonnable. Difficile de ne pas se laisser emporter par les flots de passion. Les images de la télé, les commentaires partisans, les références incessantes au terrorisme, tous les jours nous sommes confrontés à cette plaie de l’histoire. Devant ce trop plein, il est nécessaire de prendre de la distance, d’autant plus que les mots sont tous piégés par des tonnes de malentendus et que la justice, sur ce sujet, guette le moindre écart de langage. Le sage bienheureux est sans idées, mais l’occidental moyen que je suis peut-il, sans lâcheté, être sans avis ? Je pense que non, même si mon principal souhait est de voir rapidement les acteurs principaux rendre cet avis obsolète, en établissant rapidement une paix juste et équitable.

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La Palestine est depuis toujours un carrefour entre les cultures égyptiennes et mésopotamiennes qui sont toutes proches, mais aussi entre les cultures plus lointaines comme la grecque, la perse et la romaine. Rien de mieux que la rencontre pour favoriser une pensée à portée universelle. (On peut trouver beaucoup de similitudes avec le Nord-Ouest de l’Inde grand carrefour des routes de la soie). Ces lieux ne favorisent pas des civilisations stables, le nomade qui s’adapte aux circonstances préfère transporter dans son errance des symboles et des textes sacrés que des monuments.

Au début de l’âge du fer vers -1200 des tribus revenant paraît-il d’Égypte, alliées avec quelques tribus restées sur place commencent à se faire identifier comme hébraïques. Elles se partagent, pendant un temps, la terre avec les Philistins et autres cananéens. Ensuite, avec des hauts et des bas, comme la déportation à Babylone, le peuple hébreux, avec sa culture juive, domine, au moins culturellement, la Palestine. En 640 cette domination prend fin. Jérusalem est prise par les musulmans en 638 et deux ans plus tard il n’y a quasiment plus de juifs en Palestine.

- 1896 : Manifeste du mouvement sioniste de Theodor Herzl. 20 000 juifs en Palestine.

- 1917 : Déclaration Balfour, promesse britannique d’un foyer juif en Palestine

- 1947 : L’ONU vote un partage de la Palestine contre l’avis de tous les pays arabes

- 1948 : Le Conseil National Juif proclame l’indépendance de l’État d’Israël

 : Les forces israéliennes s’imposent aux forces arabes. 650 000 Palestiniens fuient la Palestine

- 1967 : Guerre des 6 jours. Très nette victoire israélienne. Israël étend son territoire

- 1973 : Guerre du Kippour. Échec de la tentative arabe de récupérer des territoires occupés

- 1977 : Accord de paix entre l’Égypte et Israël.

- 1993 : Accords d’Oslo

- 2002 : Feuille de route, sous la responsabilité du quatuor (Europe, E-U, Russie, ONU)

Quelques remarques.

- Le droit international est confronté à ses limites. Le vote de l’ONU de 1947 peut-il être fondateur d’un droit à l’existence d’Israël, dans la mesure où il contredit fondamentalement le droit des peuples ?

- Après deux générations d’Israéliens installés en Palestine, Israël est un "État" qui a aussi ses droits, même si la justification de son existence est plus de l’ordre de la conquête militaire que du droit international.

- La démocratie ne consiste pas uniquement à organiser des élections. Il faut avant tout reconnaître l’égalité des droits pour tous. Compenser le déficit démographique par l’exclusion de la pleine citoyenneté des populations arabes n’est pas acceptable.

Quelques pistes.

a) On laisse faire le droit du plus fort. (Que le meilleur gagne…..)

b) On prononce une fois de plus la séparation en tenant compte du rapport de force actuel. On donne la possibilité aux Palestiniens de créer un État viable qui soit un peu plus qu’une "réserve Indienne".

Yasser Arafat 1969 : "Nous ne serons ni les lapins des contre révolutionnaire arabes, ni les Peaux-Rouges des juifs"

c) On revient très en arrière en reconnaissant les dommages faits au peuple Palestinien… après une grande repentance mondiale et quelques dédommagements, la Palestine et le Monde Arabe acceptent un partage dans la philosophie de celui de 1947

Dominique Eddé : "Pourquoi les Israéliens rendraient-ils les territoires aux palestiniens, s’ils ne reconnaissent pas les leurs avoir pris ?

d) On construit un grand État laïque et démocratique où juifs, musulmans, chrétiens, agnostiques, etc., vivent ensemble.

Edwards Saïd : "Le choix est clair, c’est soit l’apartheid soit la justice et la citoyenneté pour tous, …le combat que nous menons est un combat pour la démocratie et l’égalité des droits, pour un état laïque dont tous les membres soient des citoyens égaux, et non pas un faux combat inspiré d’un lointain passé mythologique, qu’il soit chrétien, juif ou musulman."

Commentaires.

La plupart des pacifistes pragmatiques défendent l’option b) de peur que l’option a) gagne du terrain. Les radicaux israéliens commencent à voir l’avantage d’un État Palestinien : en effet, il permettrait de régler le problème démographique en excluant plus facilement les populations arabes. On peut avec des efforts aller vers une paix acceptable par les perdants de l’histoire, que sont actuellement les Palestiniens. Cette solution qui, en échange de quelques dollars, pourra satisfaire les dirigeants arabes risque fort d’entretenir pour longtemps l’humiliation des populations arabo-musulmanes face à un "Occident" dominateur. Pour contrecarrer la dérive "choc des civilisations" il faudrait des solutions du type c) ou d)….. Mais ce ne sont que des rêves éveillés !

Le terrorisme des organisations extrémistes ralentit l’immigration vers Israël, qui est le principal contrepoids au déficit démographique dû aux naissances. En ce sens la stratégie de la terreur est bien un acte de guerre qui s’inscrit dans une visée à long terme. De même la politique d’humiliation et de terreur des populations civiles par les troupes de l’armée israélienne a, depuis 1948, pour but de pousser les Palestiniens à l’exode. L’usage de la terreur, autant d’un côté que de l’autre, vis à vis des populations civiles est condamnable non par son inefficacité, mais par sa totale immoralité.

L’Occident soutient Israël en tant qu’État démocratique, le terrorisme et l’intifada montrent l’incapacité à faire une vraie démocratie en imposant sa volonté à des populations civiles avec des chars d’assaut. Les opinions publiques occidentales ont reproché à Arafat de ne pas accepter la solution des "réserves indiennes". Si les populations civiles arabes avaient accepté la domination israélienne, il n’y aurait plus de conflit, la soumission du plus faible est une solution politique, est-ce bien une solution très morale ?

Il y a dans ce conflit une bataille rhétorique. Un jeune de 18 ans qui se suicide dans un bus pour tuer un maximum d’israéliens est un "terroriste" et un "résistant". Un enfant Palestinien tué par un missile est une victime collatérale d’une guerre que certains disent légitime et un mort de plus causé par le terrorisme d’État. Même ceux qui se veulent au-dessus de la mêlée prennent parti par le vocabulaire qu’ils utilisent. On peut toujours se déclarer contre la violence et manifester pour la paix, au-delà des profits symboliques à usage national. Est-ce bien utile ?

Théo Klein : "Toute l’histoire de l’humanité nous enseigne que seule l’intelligence peut vaincre la violence".

S’il faut respecter la diversité des peuples, il ne faut pas pour autant exacerber les aspects identitaires, notamment religieux ou raciaux. L’équilibre harmonieux, entre la spécificité de chacun et l’appartenance à une commune humanité, n’est pas une valeur dans l’air du temps. Finalement, notre époque, qui a une haute estime d’elle-même, ne manque-t-elle pas tout simplement d’intelligence ?