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  Elections régionales sans…véritables régions

jeudi 5 février 2004, par François-Xavier Barandiaran

A six semaines du premier tour, 2/3 des français disent ne pas s’intéresser aux élections régionales (et cantonales). Entre le divorce grandissant des citoyens avec la politique et 1’absence de clarté de l’enjeu régional (demandez au citoyen lambda à quoi sert la région ou , même, le nom du président de région), on peut craindre que la « dissidence électorale » ne touche plus d’un français sur deux.

C’est que, malgré l’importance des champs d’action de la Région : lycées, transports collectifs, équipement, recherche, culture, formation, logement, aide sociale….la région demeure une « collectivité mineure ». Là, aussi, il y a une exception française !

Et pourtant, au regard de ce qui existe dans la grande majorité des pays qui nous entourent, on pourrait rêver pour la France de la création de véritables régions avec un surcroît d’autonomie culturelle, administrative et économique, qui se concilierait, et avec les fonctions régaliennes de l’État, et avec la formation de l’Europe en gestation. D’ailleurs, on commence à parler des euro-régions ou régions transfrontalières, comme la Catalogne, le Pays Basque, les Flandres, l’Alsace, etc.…La question est de savoir si, face à la technocratie et à l’éloignement de l’État, d’une part, et, d’autre part, au fonctionnement de l’économie qui fait fi des frontières nationales, la région ne pourrait pas, dans beaucoup de domaines, assurer une gestion plus efficace, parce que plus proche des citoyens. Ainsi, sans prétendre aux prérogatives dont jouissent les régions dans des pays comme l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne, on peut penser que, dans un avenir moyen, la région en France sera dotée d’une personnalité administrative et politique plus grande.

Nous voyons, déjà, que le développement économique ne tient pas beaucoup compte des frontières nationales et que , même dans des régions qui n’ont pas une culture historique et une langue communes, des synergies économiques se créent en France et en Europe : Nord-Pas de Calais-Wallonie, Rhônes-Alpes-Lombardie, Catalogne-Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, etc ….

Évidemment, en France, compte tenu du centralisme séculaire (aussi bien de la Monarchie que de la Révolution), évoquer ces questions apparaissait, il y a peu, comme un crime de lèse république. Et, c’est le cas toujours, si on évoque des régions avec une longue identité historico-culturelle bien définie, comme la Corse, la Bretagne, l’Alsace…Pourtant, un changement a été amorcé dernièrement, et les premiers pas ont été franchis sous la présidence de Mitterrand : en 1982 la gauche plurielle met en route la réforme décentralisatrice. La « loi Deferre » accorde aux régions le statut de collectivité territoriale. Et, c’est la droite, en mars 1986, lors de la première élection au suffrage universel des conseillers régionaux, qui gagne la présidence de 20 sur les 22 régions. On peut affirmer, donc, qu’à partir de là, la régionalisation, dorénavant entérinée aussi bien par la droite que par la gauche, est partie d’un bon pied.

20 ans après, hélas !, le bilan de la régionalisation est plutôt maigre : la réforme s’est arrêtée au milieu du gué. Coincée entre l’État, qui la contrôle et lui verse une partie de la manne fiscale, et le département, qui lui rappelle en permanence le centralisme de l’État, la Région

vit comme une entité embryonnaire, à la personnalité floue et aux compétences limitées. Et, dans un avenir proche, il n’y a rien de bon à attendre du projet Raffarin, qui relève davantage du démantèlement libéral de l’État que d’une avancée vers l’autonomie des régions. Quelles en sont les raisons ? Il y en a plusieurs :

· La république une et indivisible renâcle toujours à l’idée d’accorder un statut véritable à la région, sans parler de celui de la Corse ou de la ratification par la France de l’accord européen sur les langues régionales. La méfiance est toujours grande dans l’opinion publique vis-à-vis des risques d’inégalité qui pourraient provenir de la création de régions qui seraient plus riches les unes que les autres (ce qui n’empêche que ce soit déjà le cas !)

· Bien que théoriquement les « blocs de compétence » soient bien définis entre la région, le département et la commune, on constate un certain enchevêtrement : « quelque soit le domaine concerné (sport, culture, équipement, etc.), tous les niveaux des collectivités locales se sentent impliqués et interviennent de leur propre initiative » (La Doc.Française. Problèmes économiques, n° 2824 du 24 sept 2003)

· Le problème du transfert de la part de l’État des moyens financiers pour assurer les compétences de la région : comment accorder davantage d’autonomie aux régions, en évitant le surcoût, alors que les prélèvements obligatoires atteignent déjà 45% du PIB ?

Néanmoins, certains succès -qui pourraient inciter à aller plus loin- de la régionalisation sont à mettre en exergue. En particulier, le renouvellement et la création des lycées et la mise en place des TER (trains express régionaux), qui a abouti à une renaissance des transports régionaux.

Il y a bien d’autres domaines, comme le développement économique, la formation professionnelle, la culture, la recherche ou l’environnement, qui gagneraient à être entièrement gérés plus près des citoyens. Mais, pour cela les régions devront disposer d’une personnalité mieux définie et de moyens financiers adéquats, alors qu’actuellement elles hésitent à demander le transfert de nouvelles compétences, compte tenu de la peur de désengagement de l’État en ce qui concerne les moyens. Ne voit-on pas le gouvernement diminuer les impôts directs, cependant que les collectivités territoriales sont obligées d’augmenter les leurs pour faire face à leurs obligations ?

Voici quelques questions auxquelles les résultats du

28 mars apporteront un début d’éclaircissement

1) Nous connaissons déjà la réponse à la première question : enjeu local ou national ?. En fait, derrière les résultats régionaux, nul ne doute qu’il s’agit d’élections très politiques, à visée nationale. Nul, sauf Raffarin !

2) Avant de donner des indications sur le rapport des forces entre la droite et la gauche, ces élections montreront où en est la dépolitisation des citoyens à l’égard du fonctionnement du système électoral et quel est le degré de désespérance à travers le vote de protestation. Si la tendance actuelle, détectée par les sondages d’opinion, se confirme, en ce qui concerne les intentions d’un vote sanction, qui, au soir du 21 mars, tirera les marrons du feu ?

3) A l’intérieur de la droite le clivage principal se situera entre l’UMP et l’UDF : après quelques lustres de dissolution dans la droite, y a-t-il encore une place pour le centre-droit de Bayrou qui prétend vouloir « changer le paysage politique » ?

4) Où en est la gauche, avec tous ces accords de listes à géométrie variable, selon les régions ? Le texte signé le 27 janvier par tous les partis de l’ex-gauche plurielle,

« Halte au démantèlement du droit du travail » peut-il être considéré comme l’hirondelle qui annonce le printemps ? On verra ce que les électeurs en pensent après le coup de massue du 21 avril et la très lente convalescence à laquelle nous assistons : * le PS arrivera-t-il à galvaniser ses troupes et à attirer les électeurs, en l’absence actuelle d’un vrai projet alternatif ?

* le PC, axé sur la lutte contre les inégalités, peut-il être crédible, quand il prétend « faire bouger l’ensemble de la gauche » ?

* les Verts avec leurs zigzags déroutants, qui montrent leur immaturité politique, vont-ils jouer, enfin, le rôle qu’on attend d’eux, au niveau de la crise sociale et des menaces écologiques de notre société ?

5) Les listes communes -pour la deuxième fois après les européennes de 1999- de LO-LCR, seront-elles les mieux placées, comme ils le prétendent « pour empêcher l’électorat déçu par tous les renoncements de la gauche de se tourner vers l’extrême droite » ?

6) L’extrême droite, en jouant sur l’insécurité sociale, sur l’immigration et sur la corruption, va-t-elle capitaliser son fond de commerce permanent et une bonne partie du vote protestataire, confirmant ainsi une place redoutable pour l’avenir politique de la France ?

Voici quelques questions, parmi d’autres, qui ne manqueront pas d’intéresser les fidèles de notre café politique, et, peut-être même, des nouveaux.