Le Café Politique

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  Changement et rationnalité

vendredi 1er février 2019, par Stuart Walker

Si Le Café Politique n’a aucune raison de changer ses principes de base, on peut dire la même chose d’Emmanuel Macron. Pour une fois on a un Président qui est déterminé à garder le cap, et ne fera pas, comme certains de ses prédécesseurs, le contraire de ce pour quoi il était élu. Une grande partie des revendications de ses opposants aujourd’hui se trouvaient dans les programmes de Mélenchon ou Hamon. Seulement ces options n’ont pas été retenues en 2017.

La réaction du Président a été aussi inédite que sa campagne. Quelle autre figure politique aurait eu les ressources physiques et intellectuelles pour rencontrer à tour de rôle tous les Maires du pays, Le mieux que Chirac a pu trouver lorsqu’il était en difficulté était de convoquer une conférence de presse.

On reproche à Macron de cadrer le débat ; toute victime de réunionnite en entreprise saura qu’une discussion sans agenda devient vite stérile. Certains ont été froissés qu’il prenne le micro pour répondre aux questions lors d’une réunion locale. Il y a peu de temps il était critiqué parce qu’il ne parlait pas. Le propre d’une discussion est le jeu de questions/réponses. La persuasion et la pédagogie sont les meilleures armes de la démocratie. On ne les pratique pas en restant muet.

Il n’est pas cohérent de prôner la démocratie directe et de condamner d’office comme écran de communication une initiative qui permettra à tout citoyen de discuter des sujets de société dans le calme.

On accuse le chef de l’État d’un manque de modération dans certains de ses propos, qui n’a d’ailleurs aucune commune mesure avec ce qui remonte de la rue à son égard. Objectivement il y a eu beaucoup de bruit pour peu de chose. Dire que certaines employées d’une usine étaient illettrées n’était qu’une constatation. Trouver un emploi en traversant la rue est une image, tout comme devenir cadre en prenant un ascenseur. Sans doute il est plus conscient maintenant de ce qui peut être interprété comme de l’arrogance. Tout le monde a droit a des erreurs de jeunesse Mais il est à espérer qu’il continuera à exprimer avec force ses convictions. Le contraire ferait de lui un adepte de plus de la langue de bois.

Le premier cheval de bataille de ces manifestations digitales était mal choisi. L’abrogation de la limitation de vitesse sur certaines routes dangereuses aurait fait, à ce jour, une centaine de morts de plus, sans compter un nombre beaucoup plus grand de blessés graves. Tout cela pour gagner quelques minutes de plus sur des trajets.

Les taxes sur les carburants ont fait beaucoup plus de bruit. On peut comprendre qu’elles rajoutaient aux difficultés de fin de mois de ceux pour dont la voiture est indispensable. Mais Nicolas Hulot avait raison de dire qu’il valait mieux payer un peu plus l’essence aujourd’hui que beaucoup plus demain. Que l’on le veuille ou non, une taxe carbone est inéluctable si on ne veut pas laisser a notre progéniture un monde qui aura plus d’une poêle à frire qu’un jardin d’Éden.

Supposons que toutes les revendications des gilets jaunes étaient accordées demain, est-ce que, devenus nantis à leur tour à l’échelle mondiale, ils seraient prêts à écouter les millions de gens pour qui la survie est un défi journalier, en grande partie parce que nous nous sommes enferrés dans une dépendance des énergies fossiles ? L’exigence de mesures fortes, concrètes et immédiates, nous ramène à l’époque féodale ou le pauvre présentait personnellement à son seigneur ses doléances qui accordait ou non, selon son humeur, quelques avantages pécuniaires. Aujourd’hui en démocratie il existe des contrôlés sur la manière dont l’argent public est distribué.

On est loin de la verticalité du pouvoir de l’ancien régime. Il y a un an le projet de le réforme de la Formation Continue et de l’apprentissage, pour une enveloppe de 15mds était lancé. Il visait essentiellement ceux qui étaient le plus éloignés du travail. Après d’innombrables navettes entre les instances, ce n’est qu’en Décembre qu’il a été finalement promulgué. La résistance que le Ministre de l’Intérieur rencontre envers sa loi anti-casseurs est une indication que le pouvoir judiciaire joue tout son rôle.

Il est vrai que la constitution et le rapprochement des élections nationales ont tendance à renforcer le pouvoir présidentiel. Mais c’est un modeste prix à payer pour ne pas retomber dans l’impuissance des gouvernements de la 4ème République qui ont vu des chaises musicales d’une douzaine de présidents . On a entendu une forte demande de référendums populaires. Mais on sait ce que ce recours a apporté en Italie avec le remplacement de Renzi par l’extrême droit, et en Angleterre avec l’incertitude sur ses futures relations avec l’Europe. De même, trop de proportionnelle serait une recette d’instabilité, avec son cortège d’alliances de circonstance.

D’autres chercheraient les solutions dans une dissolution. Mais est ce que les coalitions de l’histoire récente ont apporté une amélioration dans l’efficacité opérationnelle de nos élus ? Quant à la démission du Président, ce serait pour le remplacer par qui et par quoi ? Il faut qu’il y ait un capitaine à bord d’un navire s’il ne veut pas devenir un bateau ivre.

Il existait beaucoup de mesures sociales dans le programme de LREM. Certaines ont été actées : la suppression des cotisations maladie et chômage et de la taxe à l’habitation pour 80% de la population., une loi sur la moralisation de la vie publique, une limitation du cumul des mandats, la parité et l’entrée de la société civile dans la composition du gouvernement, un remaniement scolaire pour les écoles primaires pour palier à l’handicap de l’illettrisme, une loi du travail qui permet le développement de la rupture conventionnelle... 35 mds de la dette de la SNCF ont été assumées par l’État , ainsi que la garantie du « sac à dos » des cheminots, pour sortir de l’impasse des grèves à répétition.

D’autres, même si elles sont reportées, sont prévues : le bonus/malus par rapport aux contrats courts, la réforme constitutionnelle, celle des retraites qui sera plus simple et plus juste en lissant les écarts entre le public et le privé, la gratuité de certains soins dentaires ou oculaires....

Le Président était conscient que de commencer par des mesures pour redresser l’économie, avant de dépenser de l’argent qu’il n’avait pas, serait impopulaire. Il ne peut pas être tenu responsable pour la hausse du prix du pétrole, les tensions sur le commerce internationale provoquées par le protectionnisme américain, ou le ralentissement de l’économie Chinoise. Les manifestations et leur coût ont ajouté un aléa de plus.

Les annonces de Décembre, telles que le report des taxes pétrolières, l’extension de l’assiette de la prime d’activité à 5 million de travailleurs de plus, des aides supplémentaires à l’acquisition d’une voiture moins polluante... sont des gestes positives qui seront sans doute suivies par d’autres dans les mois qui viennent.

Le chef de l’Etat a été réceptif aux arguments les plus raisonnables des manifestants, ainsi qu’aux conseils d’économistes comme son ancien conseiller Pisani. Il semble qu’il reconnaît la validité des critiques sur les écarts de revenue, les disparités fiscales, la disparition des services publiques hors des grandes agglomérations.. Il est probable que l’ISF sera aménagé pour inclure les très hauts revenus. La France de Macron a été précurseur dans les initiatives qui ont amené les 127 membres de l’OCDE de s’engager à taxer les GAFA dans le pays ou ils exercent leur activité. Une des voix les plus écoutées, celle de Laurent Berger, parle du besoin de donner un sens à la société en dehors des excès de compétition et d’enrichissement.

Cependant la volonté de moderniser reste intacte. Tout céder à un mouvement entaché de violence serait un message qui mettrait en péril les fondations de la démocratie . Il est toujours plus facile d’opposer que de construire. La tentation du populisme est une voie de facilité qui actuellement a amené un des pays potentiellement les plus prospères de l’Amérique Latine à un état de pauvreté comparable au tiers monde. La meilleure parade contre de telles dérives en France est de se rappeler les leçons des Lumières et de placer la voix de la raison avant l’impétuosité et la colère