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  En marche vers l’hypercapitalisme autoritaire

dimanche 6 janvier 2019, par François Saint Pierre

Tout va très bien, madame la Marquise….

Mais il y a quelques gilets jaunes dans la rue…. En fait, il y a la moitié de la population française qui a des soucis de pouvoir d’achat. La fiscalité qui les oblige à réduire leur consommation énergétique et leur mobilité pour éviter le réchauffement climatique a été le facteur déclenchant d’une grogne sociale exceptionnelle. De semaine en semaine les classes moyennes ont exprimé de plus en plus clairement un sentiment d’exclusion non pas de droit, mais de fait, des processus démocratiques, notamment dans le système représentatif. S’appuyant sur le concept de légalité le pouvoir en place propose au mécontent de débattre dans un cadre qui exclut tout changement de cap. Pour d’autres la légitimité populaire n’est pas en adéquation avec la légalité constitutionnelle et le cap choisi en 2017 pose suffisamment de problèmes pour ne pas attendre patiemment l’élection de 2022.

La crise du libéralisme économique.

Depuis la crise financière de 2008 la croissance est en dents de scie et la redistribution des profits est en régression. La mondialisation économique a deux moteurs : le capitalisme à dominante privée et le capitalisme contrôlé par des États autoritaires, comme la Chine ou la Russie. La dissolution du second dans le premier aurait permis de réaliser le fantasme de la fin de l’histoire, par la victoire sans partage des démocraties libérales sur les restes du communisme. Or le capitalisme, après une forte période de croissance, s’est avéré incapable de résoudre les grands enjeux de l’humanité, le réchauffement climatique en premier, malgré l’importance de l’enjeu, comme le risque d’une inflation des migrations. De même, en laissant exploser les inégalités, il n’a pas su respecter le contrat social implicite qui lie les élites aux classes moyennes. L’émergence au niveau mondial des populismes est un symptôme de l’échec de ce modèle politico-économique.

Même si l’argent biaise fortement le système électoral et encore plus fortement la sélection des représentants, il y a encore suffisamment de liberté pour faire trembler le système. Le non au référendum de 2005, l’élection de Trump, ou le vote du Brexit montrent que les possesseurs des capitaux ne peuvent pas encore faire confiance au peuple pour voter toujours dans le sens de leurs intérêts.

L’émergence du numérique sous ses différentes formes -Internet, réseaux sociaux, plateformes numériques, trading algorithmique, big data, intelligence artificielle- a ringardisé le modèle capitaliste de la modernité, mais ne lui a pas encore vraiment permis de s’adapter aux nouveaux enjeux. Issu de conflits entre les patrons-propriétaires et les ouvriers, ce modèle, empreint de résidus paternalistes, avait su s’adapter aux principes d’une démocratie libérale représentative assez progressiste. C’est le côté indispensable du travailleur pour faire marcher l’entreprise qui avait fait la force du mouvement ouvrier qui avait su construire des démarches collectives pour négocier. L’ubérisation du monde et l’arrivée des robots et des nouvelles technologies permettent d’affaiblir la force du mouvement ouvrier qui n’arrive plus à faire des collectifs puissants et incontournables. Le capitalisme, profitant de ce nouveau rapport de force, a poussé le politique à affaiblir les corps intermédiaires. Le travailleur de base dans ce nouveau monde n’est plus considéré que comme un élément marginal du marché de l’emploi. Incapable de résoudre les enjeux du moment, déstabilisé par des révoltes populaires, le capitalisme peut s’effondrer après un collapsus généralisé ou laisser la place à un utopique monde nouveau. Mais il peut aussi s’adapter en renouvelant profondément ses principes. C’est cette troisième hypothèse qui semble, hélas, tenir la corde.

Du capitalisme libéral à l’hypercapitalisme autoritaire

Le capitalisme face à cette impasse de la finitude de la planète, qui contrecarre la logique de croissance, abandonne petit à petit sa coloration libérale progressiste en redéfinissant un nouveau contrat avec le pouvoir politique. La logique qui commence à se mettre en place consiste à ne pas négocier le mode de vie des riches, à faire des compromis acceptables avec les classes supérieures et à réduire drastiquement la consommation des classes moyennes, qui sont très nombreuses. Classe moyenne des pays riches, mais aussi classes moyennes émergentes des pays en développement dont la montée en puissance, surtout en Afrique, n’est plus du tout à l’ordre du jour des idéologues internationaux. Cela n’est peut-être pas suffisant à très long terme, mais les très riches et aussi les un peu moins riches pourront continuer à se climatiser et à se rafraîchir pendant de longues années dans leur piscine.

Cette stratégie de déclassement des classes moyennes peut être facilitée par une augmentation des inégalités territoriales. Si l’opposition rural-métropole n’est pas très pertinente, on peut constater que de vastes zones dans le périurbain sont assez mal loties et que le développement économique des métropoles dynamiques s’articule souvent très mal avec celui des territoires alentours. Au-delà de la distribution des revenus, cela se traduit de plus en plus souvent par un affaiblissement conséquent des services publics. Le hic, c’est la compatibilité de ce choix avec la démocratie et ses valeurs. Difficile de tout jeter par-dessus-bord de manière trop cynique. La première chose est de redéfinir une alliance avec la tradition conservatrice autoritaire et d’abandonner la composante progressiste. À partir de là il faut reprendre la main sur l’opinion publique. Du côté des médias classiques c’est déjà fait ; par contre ; il faudra reconquérir le monde d’Internet et des réseaux sociaux qui par leur horizontalité permettent aux classes moyennes de se sentir encore des acteurs de l’histoire. L’IA, le big data et les autres outils modernes, s’il le faut en y mettant le prix, seront utilisés pour exclure encore plus les moins diplômés du jeu démocratique. Dans un deuxième temps, les outils de l’état de droit, nettement renforcé par la peur du terrorisme, permettront d’utiliser la force pour calmer les récalcitrants. La déstructuration en cours du monde du travail à travers les plates formes numériques et le détricotage du droit du travail permettront de contrôler les révoltes ouvrières.

Ce scénario immoral est pourtant celui qui semble le plus crédible. Si on considère comme Bertrand Badie que "le populisme est un mode de protestation contre une violence sociale, économique et politique", on peut dire en regardant ce qui se passe dans le monde que cette transformation est déjà à l’œuvre. Populismes, dont les formes sont multiples, mais qui traduisent tous l’expression de peuples inquiets. La loi du marché pèse cent fois plus que l’ONU dans la régulation mondiale et cette loi du marché, qui survalorise l’individualisme et la compétition plutôt que la coopération, entraîne le décrochage des catégories sociales les moins armées pour affronter la modernité.

Prospective

Le progressisme cosmopolite signe d’une mondialisation réussie est donc en train de laisser petit à petit la place à un repli identitaire et conservateur. La peur des migrations se nourrit de cette inquiétude sur l’avenir. Le durcissement récent des politiques sur cette question est incompatible avec les valeurs historiques de nos démocraties ; pourtant, nous commençons à justifier l’injustifiable par des arguments sur le respect de l’état de droit. Plus que jamais la liberté de circulation des marchandises se dissocie de la liberté de déplacement des personnes.

Plus surprenant, le capitalisme libéral qui prônait un affaiblissement des États est en train de faire des compromis avec ces derniers, privilégiant le rôle de la sécurisation des échanges à l’autonomie des entreprises. Pire, pour compléter les stratégies de régulation fiscales, les justices nationales deviennent des outils pour peser dans le jeu économique car elles permettent de déstabiliser les concurrents des champions nationaux. Le retour aux pratiques protectionnistes est le symptôme que les tensions étatiques ont pris le pas sur la volonté de mondialiser les marchés.

Ce modèle est donc, hélas, viable…. le capitalisme y laissera quelques plumes car la croissance en prendra un coup. Ce ne sera plus le capitalisme à la grand-papa, mais un hypercapitalisme dominé par quelques géants, comme les GAFAM ou les BATX. Le contrat social sera officiellement maintenu, car même si les entreprises ou les plateformes numériques ne donnent plus des revenus décents aux travailleurs, les états donneront des primes de survie aux très pauvres et aux anciennes classes moyennes paupérisées qui seront à leur tour réduites à l’assistanat. La seule difficulté restera de convaincre le "bas peuple" que pour sauver la planète ce choix quasiment féodal est la seule solution.

Alternatives ?

Pour éviter ce scénario catastrophe, ou celui d’un collapsus aux conséquences incertaines, il faudrait construire une alternative crédible. Il y a des propositions pour redéfinir une économie moins dépendante de la finance et de sa logique de maximisation des profits par une augmentation de la production. Modèle de société moins basé sur la croissance mais qui pourrait compenser la moindre production d’objets et la diminution de la consommation énergétique par une augmentation de la qualité de vie de tout un chacun. Biens communs, circuits courts, développement durable, économie sociale et solidaire, égalités territoriales, démocratie participative, etc…. sont des mots qui pourraient servir pour construire un modèle alternatif crédible. Mais le pouvoir médiatique, qui est pour l’essentiel propriété des riches et dont les journalistes appartiennent majoritairement aux classes supérieures, semble se satisfaire du système actuel et passe une partie non négligeable de son temps à décrédibiliser toutes ces tentatives en les présentant comme des utopies irréalistes.

Le progrès qui a été le moteur de la modernité, ne peut se réduire au seul indicateur qu’est l’augmentation du PIB. Les enjeux environnementaux nécessitent une orientation nouvelle de notre système de production/consommation qui respectent les droits humains, l’idéal démocratique, la solidarité entre les peuples et qui n’augmentent pas comme le système actuel de manière excessive les inégalités sociales. Cela impose d’abandonner notre croyance naïve dans l’autorégulation par les marchés et de faire de la politique. Politique mondiale que l’on ne peut laisser au seul combat des hyperpuissances, politique nationale que l’on ne peut résumer à une campagne électorale tous les 5 ans, pour choisir un homme providentiel.