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  Marchandiser le monde à marche forcée

jeudi 31 mai 2018, par François Saint Pierre

Année après année, le financement de notre modèle social semble de plus en plus difficile. Ce système, historiquement proche de celui de la plupart des pays d’Europe continentale, a pendant longtemps fait l’admiration de beaucoup. Négocié entre progressistes, corporatistes et conservateurs, il a permis de développer "l’État providence" et de valoriser les anciennes valeurs chrétiennes comme la famille et la charité envers les plus pauvres. Maintenant, considéré comme un frein au développement du marché et cause principale du déficit public, ce modèle social est présenté par le pouvoir en place comme une charge qui handicape la "start-up nation" France.

Retraite pour tous, gratuité des soins, assurance chômage, reconnaissance des syndicats, salaire minimum, RSA, accès garantie aux services publics, etc. ne sont plus vu comme des étapes réussies vers une société plus égalitaires, mais comme un fardeau que les "premiers de cordée" doivent porter. L’Europe n’est pas encore devenue un espace de solidarité, par contre à l’heure de la globalisation de l’économie l’idée de nation s’est affaiblie au profit d’un individualisme portée par le développement de la société de consommation. Le gouvernement plutôt que de chercher à rééquilibrer nos comptes sociaux, en privilégiant une compétitivité collective par l’éducation et la recherche, comme cela a parfois était réussi dans certains pays de l’Europe du nord, préfère mettre en avant la réussite individuelle. Dans cette vision la protection sociale est un bien comme un autre, que celui qui a réussi peut s’acheter via des assurances. De même il n’y a plus d’usagers des services publics, mais des clients qui s’offrent le service au prorata de leurs moyens. Pour éviter la mauvaise conscience et réduire les risques de contestation, il suffirait de garantir un filet de sécurité aux plus pauvres.

C’est bien à marche forcée que le pouvoir actuel se propose d’affaiblir les corps intermédiaires comme les syndicats ou les collectivités territoriales, de diminuer les protections sociales et de réduire les capacités d’accès aux services publics. Les oppositions à cette démarche viennent d’un côté des droites nationalistes et conservatrices et de l’autre côté d’une gauche idéologiquement éclatée. Une alliance entre ces deux camps étant totalement impossible, le centre libéral, malgré ses incohérences internes, a pour l’instant pas mal de marges de manœuvres politiques pour faire avancer son projet.

Ce choix néolibéral a pourtant fait la preuve au niveau mondial de son incapacité à améliorer les conditions de vie de tous. L’argent ne ruisselle pas comme la pluie après l’orage et les inégalités augmentent, même si le développement de la Chine a fortement changé la répartition de la pauvreté au niveau mondial. Croire que favoriser le développement économique, moteur de la croissance, était la principale responsabilité des États, a conduit à sous évaluer gravement les risques environnementaux et climatiques. Parier sur une globalisation marchande, garantie par la force des armes, peut permettre à une minorité mondialisée de devenir immensément riche, mais c’est oublier que les peuples vivent sur des territoires qui sont des espaces de solidarités démocratiques.

La gauche doit reconstruire un socle commun, si elle veut pouvoir retrouver un peu de force de conviction pour proposer une autre voie que la dilution de l’État providence dans l’économie de marché planétaire. Être d’accord sur la critique du pouvoir actuel ou mettre en avant des grandes valeurs morales n’est pas suffisant pour retrouver de la crédibilité. Pour reconquérir le pouvoir d’agir sur le cours de l’histoire, c’est sur tous les sujets qu’il faut faire des propositions conséquentes.

- Comment convaincre qu’un modèle social plus égalitaire et plus solidaire peut-être économiquement performant s’il s’accompagne d’un effort collectif sur la formation de tous, alors qu’il y a tellement de lobbyistes payés pour dire le contraire dans les médias ?

- Comment peut-on faire évoluer une Europe qui hésite entre des solutions néo-libérales et populistes ? Que doit-on faire avec cet euro mal construit, mais qu’on ne peut abandonner sans risques financiers et économiques ?

- Quelles solutions aux enjeux environnementaux et climatiques qui demandent une forte adhésion citoyenne et une collaboration généralisée au niveau mondial ? Les déclarations de bonnes intentions ne sont pas très efficaces pour faire baisser la production de CO2, surtout quand les lobbies économiques poussent au nom de la croissance à l’exploitation des énergies fossiles.

- Que faire avec les migrations, provoquées par les guerres, les difficultés économiques et bientôt par l’évolution du climat ? La chasse aux clandestins, ni la suppression pure et simple des frontières ne sont des solutions. Minimiser les difficultés d’intégration au nom de notre richesse relative de sixième puissance mondiale n’est pas acceptable pour les classes sociales défavorisées.

- Comment gérer l’angoisse sécuritaire engendrée par les attentats ? Bombarder Daesh, renforcer les contrôles, embaucher des policiers et construire des prisons, est une stratégie présentée comme nécessaire, mais ce n’est certainement pas un choix optimal sur le long terme.

En 2017 certains ont cru qu’Emmanuel Macron représentait la social-démocratie, que le parti socialiste n’avait pas su défendre, pendant que d’autres voyaient en lui un social-libéral capable de moderniser le pays. Un an après il est clair qu’il n’est pas dans la lignée du compromis historique d’après-guerre, qui avait réuni communistes et gaullistes pour faire de la France un État protecteur, capable de réguler le marché et de garantir à tous l’accès aux services fondamentaux. En fait il s’est simplement inscrit dans une logique économique néo-libérale obsolète, qu’il essaye d’imposer par une pratique politique autoritaire.

En 1989 au moment de l’effondrement du communisme soviétique, Francis Fukuyama expliquait que l’alliance entre la démocratie représentative et le marché libéral planétaire était la forme optimale du gouvernement des hommes. La suprématie qui s’annonçait alors de ce modèle ne pouvait donc que nous conduire vers "la fin de l’histoire". L’Histoire a prouvé que ce n’était qu’une illusion, à nous, en revisitant les principes démocratiques et les règles économiques, de construire une utopie pour le vingt et unième siècle, capable de redonner confiance à tous.