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  Logiques électorales et projets politiques

dimanche 22 janvier 2017, par François Saint Pierre

Les démocraties libérales ont choisi, pour traduire la volonté du peuple souverain, d’élire des représentants qui sont censés incarner la volonté générale. En France on a conservé une certaine nostalgie du temps de Louis XIV et l’élection présidentielle est devenue le moment qui concentre l’essentiel des choix politiques. Hormis les référendums qui sont d’un usage exceptionnel, les autres élections servent soit à donner une majorité parlementaire au Président élu, soit à choisir des élites politiques locales ou européennes. Ce système représentatif, avec des variations nationales, ne couvre pas tout le champ de l’idéal démocratique, loin de là, il a cependant fait pendant de longues années, en France et ailleurs, la preuve d’une certaine efficacité. Cependant, depuis quelques temps, ces processus électoraux n’ont plus la confiance populaire et l’abstention, voire la non inscription sur les listes électorales, augmentent un peu partout. Plus inquiétant, les résultats sortis des urnes, tout en traduisant plus ou moins fidèlement le choix de la majorité des électeurs, conduisent au pouvoir des personnes qui ne semblent pas conformes aux valeurs de base, communément admises, de la démocratie.

Si les exemples à l’étranger de dysfonctionnements ne manquent pas, la France n’est pas un paradis démocratique. Notre constitution de 1958, malgré ses nombreux aménagements, est bien trop présidentielle et le choix pour la plupart des élections d’un système à deux tours montre clairement ses limites. L’utilisation des primaires sur le modèle américain, qui semblait adaptée à l’existence de deux partis dominants, s’est avérée contre-productive. Loin de conduire à choisir un candidat qui puisse rassembler largement tout son camp, elles favorisent l’émergence d’un candidat en phase avec le noyau dur de l’électorat du parti qui organise les primaires, tout en créant bon nombre de frustrations et de tensions. Les partis politiques dans un système représentatif ont pour rôle de faire le lien entre le peuple et les élites politiques, leur première responsabilité est de construire un projet politique et ensuite de choisir les candidats pour incarner la ligne du parti lors des élections. Depuis longtemps les partis ont abandonné la première responsabilité pour la laisser aux experts des think tanks et aux entourages des candidats. Le choix du candidat à la présidentielle n’est plus de leur ressort, seul le choix des élus de terrain est encore sous leur responsabilité. Pour justifier un engagement dans un parti la motivation de participer à la vie locale existe encore chez certains militants, mais beaucoup de citoyens ont l’impression que l’engagement politique a trop souvent comme explication principale le désir d’étoffer un carnet d’adresses avec des personnalités proches du pouvoir.

Plus inquiétant, la notion de projet politique en lien avec un corpus de valeurs a laissé place à un catalogue de promesses, qu’il est d’usage d’appeler programme. Le candidat à la présidence de la République doit arriver avec une liste détaillée des mesures qu’il s’engage à prendre s’il est élu. Pourtant, la plupart des mesures proposées ne sont pas directement de son ressort, même s’il a les moyens d’impulser une politique qui va dans cette direction. On peut citer l’exemple de François Fillon qui promet de réduire fortement le nombre de fonctionnaires territoriaux, alors qu’il n’a pas d’emprise directe sur les recrutements ou la promesse en 2012 de François Hollande de bloquer le pacte budgétaire européen s’il "ne contient pas de mesures de croissance", ce qui était une pure forfanterie, car il n’était pas en position de force pour imposer sa volonté à l’Allemagne.

Ce catalogue de promesses plus ou moins réalistes a pour fonction principale de permettre aux candidats de prouver leur savoir-faire médiatique. Meetings, débats télévisuels, interventions dans les réseaux sociaux servent à montrer les talents de sang-froid, de maîtrise langagière, de prestance ou d’habilité. La vérité, la cohérence, le lien avec les valeurs démocratiques fondamentales, passent au second plan. Nous sommes donc bien dans la société du spectacle et, après l’ère Berlusconi, l’arrivée à la présidence des États-Unis du milliardaire Trump, expert en téléréalité, n’a rien d’étonnant.

Les élections sont devenues des superproductions sur le modèle cinématographique. Il faut beaucoup d’argent pour organiser le spectacle, mais surtout il faut proposer un scénario qui fasse appel à l’imaginaire du camp que l’on est censé représenter. Le storytelling de la droite se nourrit de repli identitaire, de sécurité, de références à la famille, au travail, à l’ordre, à la morale… celui de gauche de cosmopolitisme, d’égalité, de liberté individuelle et de solidarité tous azimuts. Manque de chance pour la gauche, la crise économique, les attentats et les enjeux migratoires ont plutôt déporté l’imaginaire politique du côté de la droite. De plus, le désir d’un chef chargé de sauver la nation des périls qui la guettent, qui est dans la logique électorale actuelle fait plus partie de l’imaginaire de droite, car cette dernière est historiquement du côté de la hiérarchie. La gauche, qui a toujours défendu l’autonomie du sujet et le pouvoir du peuple, ne peut qu’être mal à l’aise avec la tendance à la survalorisation du pouvoir présidentiel.

Si généralement le patronat, quand ça va bien, défend le libéralisme économique, il est tout aussi prêt à faire son miel des politiques keynésiennes, voire à quémander des subventions en période de crise. Pour le patronat, l’État est là pour favoriser le développement des entreprises et du capital financier. La vieille théorie du ruissellement, qui dit que le peuple bénéficie, in fine, des retombées du développement économique permet la bonne conscience des privilégiés, persuadés qu’ils sont que le travail n’existe que grâce à eux. Détournement à son profit du libéralisme, qui ne défend pas la solidarité directement, mais qui par sa vision des droits de l’homme, devrait être du côté de la justice sociale. Ces pseudo-libéraux, pour garder les avantages acquis, biaisent, grâce à leurs moyens financiers, le système électoral, même s’ils doivent pour cela s’appuyer sur les pires tendances populistes, conservatrices ou nationalistes.

Notre système électoral vaut certes mieux que la dictature militaire, mais il s’éloigne de plus en plus de l’idéal démocratique. Les dirigeants, qui ont la capacité de se faire élire, le font en privilégiant le court terme et, une fois élus, ils se révèlent trop souvent incapables d’être à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Cette faiblesse du processus électoral n’est certainement que le symptôme d’une crise de notre modèle d’économie de marché mondialisée, qui s’avère de plus en plus incapable de penser les enjeux de long terme communs à l’humanité. Sortirons-nous de cette crise par le haut ? Pas certain, mais, en attendant, soyons du côté de ceux qui essayent de faire émerger des utopies réalistes pour fédérer positivement les énergies.