Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
Accueil du site > Les rencontres des années précédentes > Les rencontres 2015 > N93 Adapter la ville au changement climatique > Changement climatique : « la plus grande menace pour notre planète (...)
  • Article

  Changement climatique : « la plus grande menace pour notre planète »

dimanche 10 mai 2015, par François-Xavier Barandiaran

Diantre ! C’est Barack Obama qui l’a déclaré en Floride, menacée par la montée de la mer, le 22 avril dernier, à l’occasion de la journée de la Terre. On est contents que le Président des EE.UU. ait employé des paroles si fortes, bien que souvent les paroles des hommes politiques ne soient pas à la hauteur de leurs déclarations. Rappelons-nous la fameuse phrase de J.Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », en ouvrant le Sommet de la Terre en 2002.

Ainsi, les années passent, depuis les négociations des accords de Kyoto, en 1997, et leur entrée en vigueur, en 2005, en passant par l’échec calamiteux de Copenhague où les 193 pays n’ont pas réussi à lui donner une suite. Ce sera l’objectif de la prochaine étape, le Sommet Paris Climat 20015. Il paraît inimaginable qu’un pas en avant n’y soit pas fait par tous les gouvernements réunis, mais on peut être sûrs qu’il ne sera pas à la dimension du défi. C’est ce qu’annoncent, déjà, les négociations intermédiaires.

Pourtant, au moins en Europe, on entend moins les dénégations des climato-sceptiques et moult faits montrent qu’une prise de conscience se fait dans l’opinion publique. Mais la bataille est loin d’être gagnée. En Amérique du Nord, en revanche, on connaît l’opposition farouche des « Républicains » aux engagements du pays en faveur de la lutte contre le changement climatique et les sommes énormes investies par des multinationales dans leur travail de lobbying. D’autre part, l’extraction des gaz de schiste et autres pétroles non conventionnels freine l’action d’Obama aux USA et a poussé, même, le Canada à se retirer du protocole de Kyoto !

C’est une véritable course contre la montre entre les financiers, les industriels et la classe politique qui leur est asservie, d’une part, et, d’autre part, les millions de citoyens qui à travers les associations de toute nature essaient d’invertir le cours des choses, autant dans les pays industrialisés que dans les émergeants.

Le rapport du GIEC à Ban Ki-moon de novembre 2014 est on ne peut plus engageant : « L’influence des hommes est claire, et cette influence croît rapidement. Ensuite, nous devons agir vite et de manière décisive, si nous voulons éviter les conséquences destructrices…Nous savons. Nous n’avons plus d’excuses pour ne pas agir ». Ce que nous ne pouvons plus ignorer, c’est l’influence de nos activités et de nos modes de vie sur la planète. Selon nombre de savants nous assistons au démarrage d’une nouvelle ère géologique qui marquerait la fin de l’holocène (les 12000 dernières années du Quaternaire). Ils l’appellent l’anthropocène : bien qu’il n’y ait pas d’unanimité pour situer le début de cette nouvelle ère géologique, il y a une convergence d’arguments pour considérer que les activités anthropiques ont un effet prépondérant sur le système terrestre depuis la révolution industrielle du XVIIIe, avec un effet d’accélération les cinquante dernières années. Alors que, précédemment, le changement d’ère climatique (p.ex. les glaciations) advenait sur des millénaires, actuellement en quelques décennies les activités humaines sont en train de modifier le climat et de produire des conditions irréversibles que les scientifiques situent lors de la deuxième moitié de notre siècle. C’est dire à quel point le changement est rapide, qui affectera la vie de nos petits-enfants ! On sait, ainsi, qu’à partir de la convergence d’un certain nombre de données : augmentation de la température des océans, élévation du nombre de particules à effet de serre dans l’atmosphère, etc. les conséquences seront irrattrapables par l’homme. Nous vivons les dernières années où nous pouvons empêcher la catastrophe pour les générations à venir ! Mais nous avons du mal, à partir de ces connaissances abstraites non expérimentées, à imaginer ce changement climatique fatal.

Il y a quelques semaines on a su que l’année 2014 a été sur la planète l’année la plus chaude depuis 1880, date depuis laquelle on relève les températures. Mais, en France, pour le moment cela n’a pas de conséquence trop graves, et les gens, majoritairement conscients du phénomène, commentent effectivement que « le temps change…, qu’il n’y a plus de saisons », sur un ton mi- inquiet, mi- amusé, quand ce n’est joyeux, parce que les périodes de beau temps sont plus fréquentes et donnent à certains week-ends un air de vacances. Nous n’en sommes qu’à 0,8° degrés au-dessus de la moyenne du XXe s. Mais, imaginons ce que ce sera quand notre climat reproduira de façon continue la canicule de 2003 (entre 3 et 4 degrés au-dessus de la moyenne). C’est ce que l’on prévoit pour la deuxième moitié de notre siècle, si on ne fait le nécessaire pour limiter l’augmentation à 2°, objectif du protocole de Kyoto. Regardons au-delà de nos frontières de pays tempérés les signes avant-coureurs que sont les typhons qui frappent les pays océaniens ou les sécheresses de Sahel, de la Californie ou du Nord-Est brésilien.

Pour atteindre cet objectif il faudra réduire d’au moins 50% les gaz à effet de serre – et surtout le dioxyde de carbone – d’ici à 2050. Or, depuis 2010, malgré le ralentissement général de l’économie et les efforts accomplis ci ou là par certains pays, les émissions mondiales augmentent encore plus vite que dans les décades passées ! Pour cela il faudrait laisser à jamais sous terre ou sous la mer 2/3 des réserves d’hydrocarbures existants. Et dire que certains ont l’outrecuidance de défendre en Europe l’extraction des gaz et des carburants de schiste !!! D’autres retardent au maximum le développement des énergies renouvelables : un rapport de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) connu à la mi-avril, mais dont l’annonce a été reportée à l’automne avant la tenue du sommet PARIS CLIMAT 2015, prévoit qu’un mix de production d’électricité (qui représente un quart de l’énergie totale consommée en France) entièrement renouvelable, à l’horizon 2050, ne coûterait pas plus cher que le maintien su système nucléaire actuel. Ce rapport contredit, donc, le discours récurent du maintien de l’atome dans la production électrique française.

On assiste, parfois, à des débats sur qui doivent être les agents principaux de la lutte contre le réchauffement climatique. « Si nous attendons les gouvernements, ce sera trop peu et trop tard. Si nous agissons individuellement, ce sera trop peu. Si nous agissons en tant que communautés locales, ce sera peut-être assez, peut-être juste à temps ». C’est la devise du mouvement « Les villes en transition », lancé en 2006 et qui a pour objectif la maîtrise de la consommation d’énergie, la rénovation thermique de l’habitat, la défense de la biodiversité, de l’agriculture bio, etc. En fait, il faudra la convergence des trois pour éviter la catastrophe climatique qui s’annonce. C’est ce rôle de catalyseur que se donnent les groupements de citoyens sur un territoire donné pour trouver les solutions concrètes et adéquates, en vue de la transition écologique, à l’image de l’APCVEB de Balma, qui co-organise ce débat.

En y ajoutant toutes les initiatives aussi diverses qu’elles soient, comme l’illustre la mosaïque suivante – un peu hétérogène, à vrai dire ! -, dont j’ai glané les tesselles dans l’actualité récente (et la liste n’est pas exhaustive, heureusement) :

Ce sont ces 1050 maires américains de villes grandes et moyennes qui se démarquent de la mollesse de leur gouvernement. Ou les 300 000 manifestants qui ont parcouru les rues de New-York, le 21/09/2014, lors de la marche du peuple pour le climat (à quand autant de monde dans les rues de Paris ?), ou encore le rapport « Risky Business » commandité par quelques personnages influents de l’industrie et de la finance nord-américains, qui prédit des effets très préjudiciables pour l’économie du pays si rien n’est fait. Au Canada, pays voisin, ce sont toutes les provinces – à l’exception de l’Alberta, où se situe l’extraction des sables bitumineux – qui se démarquent du Gouvernement fédéral en décidant de plafonner les émissions et de taxer le CO2.

Plus près de chez nous, en Grande-Bretagne, le journal de centre-gauche, The Guardian, s’est joint à l’initiative « 350.org » pour inciter les villes, les institutions et tous ceux qui avaient investi dans des fonds impliqués dans les hydrocarbures à retirer leur argent : ce mouvement de désinvestissement dans les énergies fossiles s’étend comme boule de neige. Même l’Eglise anglicane a décidé de participer à cette campagne ! D’ailleurs, les autres Eglises chrétiennes, aussi, ont pris conscience de l’importance du changement climatique et invitent leurs membres à remettre en question leur manière de consommer. Le 28 avril dernier, le Pape François et Ban Ki-moon, ensemble, se sont engagés pour le climat et on apprend que l’écologie va être l’objet d’une prochaine encyclique papale.

C’est aussi l’engagement de beaucoup d’associations : le CCFD a lancé l’idée pour les catholiques de vivre le Carême en lien avec la conversion de nos habitudes consuméristes. Déjà, en juin 2014, un collectif de six associations françaises (laïques et religieuses) avaient lancé la campagne « le jeune pour le climat » chaque premier du mois, jusqu’en décembre 2015, date de la COP 21 à Paris, avec la participation de Pierre Rabhi et de Nicolas Hulot.

On ne peut terminer cette mosaïque colorée sans faire mention des 5000 ONG (chiffre donné au récent Forum Social Mondial de Tunis réuni du 22 au 28 mars 2015) qui de par le monde constituent un continent virtuel de tous les mouvements transnationaux qui résistent à la destruction de la planète, depuis des paysans roumains hostiles à l’ouverture d’une mine jusqu’aux indiens du Nord-Canada en passant par les résistants au barrage de Sivens. Naomi Klein a inventé le néologisme « Blocardie » pour désigner ce nouveau territoire. En France, une centaine d’organisations de la société civile « Coalition Climat 21 » lance un appel à organiser « mille initiatives pour le climat » à partir du dernier week-end de ce mois-ci, avant le sommet onusien de Paris.

Dans ce combat pour défendre la sauvegarde de la planète et l’avenir des futures générations, on ne peut négliger le rôle des intellectuels. Celui auquel je pense en premier, c’est Pierre Rabhi, écrivain prolifique et infatigable conférencier qui irradie à partir de sa ferme ardéchoise. Il n’a de cesse de témoigner de ses pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la terre nourricière. Il combat la vision prométhéenne qui a réduit notre planète « à un vulgaire gisement de ressources à épuiser… sous l’injonction du lucre, de l’insatiabilité humaine ». Il écrivait dans une tribune de Le Monde, le 5/11/2014 : « Notre planète est trop belle, trop rare, pour être livrée comme une prostituée aux appétits jamais assouvis des finantiopathes et autres prédateurs sans âme ». S’il y avait un paradis pour les écologistes, il occuperait l’une des premières places !

Pour J-Pierres Dupuy, polytechnicien, philosophe et disciple du grand précurseur Ivan Illich, le pire est non seulement certain, mais il est déjà là : on a amorcé la montée rapide de la température du globe ! L’Humanité avait déjà la capacité de s’anéantir – par les armes atomiques – et elle ajoute un nouveau risque en accélérant sur la voie de la croissance productiviste. J-P Dupuy nous interroge sur notre myopie collective : « Ce n’est pas le manque de savoir qui est la situation inédite, mais l’incapacité de penser et d’imaginer les conséquences et les implications de nos actions ». Néanmoins, dans son « catastrophisme éclairé », il croit encore que nous pouvons éviter l’apocalypse totale, en restant toujours traversé par cette question – que je fais mienne - : « Les peuples démocratiques, assoupis par le confort individuel et la consommation, trouveront-ils les ressorts nécessaires pour se transformer en citoyens responsables prêts à organiser une mutation profonde de leur mode de vie ? »

Celui qui a poussé le plus loin la réflexion sur l’écologie politique, c’est le philosophe Dominique Bourg, qui est Vice-Président de la Fondation Nicolas Hulot. Pour ceux qui n’auraient pas le courage de lire ses livres il y a un entretien accordé à Le Monde, le 10 décembre 2013, qui résume bien sa pensée sur la rencontre improbable entre écologie et démocratie : « L’environnement n’est jamais vraiment entré en politique ». Il y analyse la difficulté, qui es la nôtre, celle de nos sociétés et de nos systèmes politiques, à faire face aux enjeux écologiques, si urgents et primordiaux soient-ils. Il répond, au moins partiellement, aux interrogations de J-P Dupuy.

D’autres penseurs de l’écologie, comme Bruno Latour, Hervé Kempf…. méritent d’être lus, mais, quelques semaines après sa parution en français, on ne peut que s’attarder sur le dernier livre de l’inspiratrice de l’altermondialisme, la journaliste canadienne Naomi Klein, « Tout peut changer ». Son objectif est double : montrer les liens inséparables entre le capitalisme et le changement climatique, le système économique ayant déclaré la guerre à la planète et à la biodiversité, et, paradoxalement, annoncer que la nécessité impérieuse de lutter contre le changement climatique nous offre l’occasion d’en finir avec le capitalisme : « Ramener nos émissions de gaz à effet de serre au niveau recommandé par les climatologues implique une transformation économique radicale ». Profession de foi de la militante qui fait preuve d’optimisme ou prémonition prophétique de celle qui a toujours été à l’avant-garde des luttes altermondialistes ?

Machiavel, grand connaisseur de la nature humaine, pensait que nous n’agissons pas mus par notre capacité de raisonner, mais poussés contre le mur par les circonstances : « Jamais les hommes ne font le bien que par nécessité ». A quel degré de « nécessite écologique » les gouvernements de tous les pays se décideront-ils à agir ?

Le premier mai dernier, quinze pays et territoires du Pacifique Sud menacés dans leur existence l’ont exigé dans une déclaration commune : « Nous voulons que la Conférence des Nations Unies à Paris proclame une révolution internationale dans la manière dont le monde fait face au changement climatique ».