Le Café Politique

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  Peut-on, encore, espérer une vraie gauche, en France ?

jeudi 13 novembre 2014, par François-Xavier Barandiaran

Certaines pythies politiques annoncent que la gauche peut mourir et d’autres voient dans le marasme actuel une situation pré-insurrectionnelle. En tous cas, dans l’état de prostration avancée du moral de beaucoup de nos concitoyens et du dépit rageur de la plupart de ceux qui avaient voté pour Hollande, il n’est pas original de prédire que la coalition de gauche qui nous gouverne va être, pour longtemps, éloignée du pouvoir. Certains pensent même que, comme c’est le cas en Italie, l’ancienne gauche va dériver inexorablement vers un centrisme social-libéral, à la suite d’une droitisation généralisée de la société. Cependant, pour d’autres, au fond de l’ espoir de non-résignation, persiste encore et toujours, chez beaucoup de français, un désir de gauche, pour l’instant déçu. Pour eux, les succès récents de la droite, voire de l’extrême droite, sont le signe, pas tant d’un changement idéologique de la société, que de la démobilisation générale des votants de gauche. En effet, le « peuple de gauche » est démobilisé, parce qu’il se sent abandonné et trahi par les choix du Gouvernement et les volte-face du Président.

Dans cette perspective « le café politique de Balma » pose la question : quelle gauche pour demain ? D’emblée, nous comprenons que la voie sera étroite, parce qu’elle devrait laisser sur sa droite le PS tel qu’il est aujourd’hui, qui n’a de socialiste que le nom, et sur sa gauche les divers partis révolutionnaires et les mouvements utopistes, qui peuvent jouer un rôle d’aiguillon dans les débats et les luttes sociales, mais qui se placent explicitement en dehors du projet de participer au pouvoir.

Les forces de gauche ayant vocation à gouverner sont plus que jamais le dos au mur pour éviter une probable débâcle prochaine et une éviction durable du gouvernement du pays. Elles doivent construire une alternative crédible qui puisse redonner espoir aux citoyens plongés dans un marasme profond. Cette alternative devra impérativement précéder toute hypothèse de coalition des forces de gauche désirant gouverner : en bons élèves de Gramsci nous savons que la conquête des idées précède toujours la prise du pouvoir.

Voici quelques points programmatiques à considérer :

1) Que faire face à la mainmise totale de la finance et au corset étroit des accords européens ? Les deux questions n’en font qu’une à partir du moment où les diverses forces de droite européennes ont applaudi à la financiarisation de l’économie et qu’elles n’ont de cesse d’affaiblir l’Etat et de démanteler les services publics. Et que les partis socio-démocrates y ont adhéré, en courbant le dos avec quelques contorsions sociales, sans aucune capacité de projet alternatif à ce qu’on appelle « la crise », par euphémisme ! F.Hollande le savait parfaitement, lors de la campagne pour les présidentielles. En adoptant, entre autres, la fameuse règle des 3 %, il se liait les pieds et les mains pour mener une autre politique. Ses promesses non tenues et ses décisions en zigzag n’ont fait qu’empirer la situation ! Les gens le disent en langage imagé : « ceux qui nous gouvernent n’ont plus les manettes ». En moins trivial : « les marchés gouvernent les gouvernements ». De fait, les politiques –et c’est un énorme problème pour le devenir de notre démocratie – font semblant d’exercer le pouvoir, mais ne sont que des marionnettes tirées par les ficelles de l’économie mondialisée. Alors, que faire ? Quitter l’euro, comme pour le moment ne le demandent que quelques intellectuels ou économistes (je ne considère que ceux se situant à gauche) ? « Désobéir aux traités européens », pour reprendre le contrôle de l’économie, comme le propose le Front de Gauche ? Il n’y a pas de consensus parmi ceux qui se situent à la gauche du PS. Pourtant, il faudra bien trancher ce nœud, avec le plus fort assentiment possible de la part des citoyens : comment envisager autrement qu’un pays seul se démarque de tous les autres pays européens (sur les 28 pays de l’UE les partis socio-démocrates ne participent au gouvernement que dans 10, et le PS français est le plus à gauche de tous !!!) et affronte les « représailles » des marchés ? Lors d’une magistrale campagne électorale, en 2012, Mélenchon avait démonté le fonctionnement du capitalisme financier et avait obtenu 4 millions de voix. Résultat prometteur, bien que tout à fait insuffisant. Mais, depuis, les scores du Front de Gauche ont été bien plus décevants. Ne doit-on pas y voir le manque d’adhésion des citoyens à une proposition aussi radicale qu’hasardeuse ?

2) La panacée de la croissance, remède à tous nos maux ? A longueur des discours et des médias nous entendons « ad nauseam » la même cantilène : c’est la mélodie obsédante de tous les productivistes, dont certains se situent à la gauche de la gauche ! N’est-ce pas là l’une des lignes de divergence au sein du Front de Gauche entre le PC, qui cherche à reconstruire la gauche sur une base productiviste « de classe » et « l’écosocialisme » que professe nettement Mélenchon et d’autres composantes du Front de Gauche ? Heureusement EE-LV, Nouvelle Donne et d’autres mouvements anti productivistes ne sont plus les seuls à tirer la sonnette d’alarme sur le changement climatique et sur l’urgence d’une transition énergétique, créatrice d’emplois, qui sera le prélude à l’économie de demain. Impossible d’envisager « une gauche pour demain » qui n’ait répondu au préalable à ce changement de société.

3) Le cadre et la structure de notre système de démocratie représentative sont à revoir. Même notre Vème République est devenue un obstacle par son présidentialisme qui phagocyte tout le champ politique (on est déjà en campagne pour 2017 !) et par cette prétendue « rencontre entre un homme et les français » (même si cela peut être une femme !). La professionnalisation des politiques, la difficulté à mettre fin au cumul des mandats, la sclérose des partis transformés en simples machines à préparer les élections… ce sont autant de produits caducs, périmés, ne permettant pas la respiration de la démocratie. Tout cela augmente la défiance des citoyens qui pensent que les politiques « vivent hors sol », sans contact avec les problèmes de l’homme de la rue ; ne pensent qu’à « se remplir les poches » (conviction sûrement injuste, mais largement répandue) ou – pire encore – sont des corrompus !

Il est urgent de donner la parole aux citoyens pour qu’ensemble ils inventent l’avenir. Sur le principe, le consensus ne sera pas difficile à obtenir, mais la mise en pratique sera bien plus ardue : pour preuve les résultats peu convaincants, à ce jour, du parti des Verts qui s’essayent à faire de la politique autrement et à organiser la participation citoyenne. Pourtant, c’est la seule voie, en ce début du XXI è siècle, pour que la démocratie soit : comment les électeurs pourront contrôler et démettre éventuellement les représentants élus ? Comment articuler les mouvements que la société civile s’est donnés et les partis politiques ? Quelle place accorder aux réseaux sociaux et aux nouvelles techniques de communication ? Si on regarde au-delà de nos frontières, deux partis – ou mouvements ? – ont créé la nouveauté : les « grillini » de 5 étoiles en Italie et PODEMOS en Espagne. Les premiers ont déjà obtenu un quart des voix dans leur pays et les seconds sont crédités d’un score similaire dans les sondages d’opinion, alors qu’ils n’ont que quelques mois d’existence. Les deux s’organisent à travers le Web et les débats online, les deux prétendent se situer en dehors des catégories classiques de droite et de gauche, les deux se gardent pour le moment d’afficher un programme quelconque de gouvernement, même si « Podemos », héritier direct des « indignados de la Plaza del sol » peut raisonnablement être classé à gauche. Les deux attaquent avec virulence les partis établis : c’est le soulèvement du « peuple » contre « la caste », proclament-ils. A signaler que Mélenchon dans son dernier livre « L’ère du peuple » (Fayard, 2014), véritable appel à la souveraineté politique de chaque citoyen, s’en prend aussi « à la caste dorée des politiciens » (page 14). D’après lui, « c’est le peuple qui prend la place qu’occupait hier la classe ouvrière révolutionnaire dans le projet de la gauche » (page 110).

Ce qui ne laisse pas de m’interroger c’est que tous ces avatars de la politique qui proposent une « démocratie assembléiste » accordent une place exceptionnelle à des personnages charismatiques. Une autre question : ces « nouveaux partis », au-delà du châtiment qu’ils infligent aux anciens et du rôle d’exutoire de la colère populaire, sont-ils les précurseurs des forces politiques de demain ?

4) Il n’y aura de gauche que solidaire, n’acceptant jamais les inégalités structurelles de la société. Qui, se situant à gauche, ne ferait pas siennes ces phrases d’Annie Ernaux, dans Politis du 30 octobre : « Etre de gauche, fondamentalement, c’est ne pas prendre son parti de ce qui existe, de l’injustice du hasard et de la naissance, de l’inégalité des conditions, des dominations sociales, culturelles, sexistes » ? Le problème, dans ce domaine, proviendra d’une tendance poujadiste qui s’est ancrée dans la société à contester l’impôt. Le système français, opaque, voire incompréhensible, la volte-face du Gouvernement, après que celui d’Ayrault eût annoncé une grand réforme fiscale, le manque de pédagogie de ceux qui nous gouvernent pour expliquer ce que l’impôt permet de financer et ce satané poison qu’on répand prétendant que pour réduire la dette - dont une bonne part provient du sauvetage des banques, ce qu’on évite soigneusement de rappeler ! – il faudrait réduire la voilure de notre système de sécurisation sociale et de nos services publics…, tout cela contribue au fameux « ras-le-bol fiscal ». Pourtant, il n’y a pas d’autre moyen pour redistribuer la richesse, à condition que le système fiscal soit juste et progressif.

Voici un symptôme de la dislocation grandissante de notre société : fin septembre paraissait la dernière enquête du Credoc, intitulée « le soutien à l’Etat-Providence vacille », qui mesurait l’augmentation du nombre de personnes qui pensent que les aides sociales déresponsabilisent les bénéficiaires. Ainsi, ceux qui affirment que « s’ils le voulaient, les chômeurs trouveraient un emploi » passent de 60% à 64% ; ceux qui pensent que « prendre en charge les familles aux ressources insuffisantes leur enlève le sens des responsabilités » n’ont jamais été si nombreux, à 44% ; ceux qui croient que « les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait d’effort pour s’en sortir (vs n’ont pas eu de chance ) » sont passés de 33% à 37%, au cours de la dernière année.

Fort opportunément ATD Quart Monde mène une campagne depuis un an, à travers la diffusion d’un livre « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » (Ed. Quart Monde, 2015, 5 euros) qu’il faut absolument se procurer pour combattre les préjugés sociaux : 105 idées fausses sont passées en revue.

Concomitamment, les rapports, aussi bien de l’Observatoire des inégalités, que de toutes les associations qui aident les laissés-pour-compte constatent qu’inexorablement la pauvreté s’intensifie et touche de nouvelles catégories sociales. Le dernier, qui vient d’être publié, celui du Secours Catholique, nous apprend que le revenu des 1 500 000 personnes aidées, au cours de l’année passée, est de 515 euros par mois, donc nettement en dessous du seuil de pauvreté établi à 987 euros. La cohésion sociale s’effrite.

Quelles que soient les contraintes économiques ou les préjugés de l’opinion, un gouvernement de gauche ne devra jamais dévier de la boussole qui indique le nord de la lutte contre les inégalités. Dans ce domaine, les difficultés pour la « gauche de demain » ne devraient pas venir des partis politiques, mais d’une opinion publique qui, paradoxalement, s’éloigne du socle de l’Etat-Providence.

D’autres points programmatiques, dans la lutte pour la conquête des idées, pourraient y être ajoutés. Ce sera la tâche de nous tous. Pour redonner aux citoyens de gauche l’envie d’y croire. Il s’agira d’organiser des états généraux où ils diront dans quelle société souhaiteraient-ils vivre. Ensemble, ils devront recréer, ni plus ni moins, un projet de société dans une économie mondialisée, qui serait l’équivalent de celui de la social-démocratie pendant les « 30 glorieuses ». Certains chapitres sont à inventer ou n’existent qu’embryonnairement dans le spectre des forces politiques françaises. D’autres sont déjà à l’œuvre ou figurent dans le programme de tel ou tel parti. Mais, il faudra entamer une « longue marche » pour les traduire en programme de gouvernement.

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Après avoir esquissé la gauche de demain, considérons où en sont les rapports de celle d’aujourd’hui. Majoritaire à l’Assemblée (le Sénat vient de redevenir à droite), elle gouverne grâce au cadre des institutions de la Ve République, mais tout le monde sait qu’elle ne survivra pas à l’actuelle mandature présidentielle. Electoralement parlant, elle est très minoritaire : quand on additionne les résultats de tous les partis de gauche aux dernières élections européennes, elle n’a recueilli que 34 % des voix. Et ceci en y incluant le PS, avec qui certains partis ont rompu (comme le Parti de Gauche) ou maintiennent des liens ténus et problématiques (comme les écologistes, divisés entre ceux qui poussent vers la rupture franche et ceux qui ne renoncent pas définitivement à certains avantages du pacte de gouvernement passé avec le PS) ou des rapports à géométrie variable (comme le PCF, qui vote contre à l’Assemblée, après avoir fait liste commune dans beaucoup de municipalités. Ce week-end dernier, lors d’une conférence nationale réunie sous le slogan « L’Alternative, c’est maintenant », le PCF a appelé à un élargissement du Front de gauche et à la mobilisation de tous ceux qui s’opposent à la politique austéritaire pour qu’ils manifestent samedi prochain. En effet, le 15 novembre, à l’appel du collectif « 3 A », il y aura des manifs dans toutes les grandes villes de France).

Le PS, lui-même, est traversé par divers courants, souvent opposés, et retarde la date du prochain congrès pour éviter l’affrontement, voire la scission, entre ceux qui lorgnent vers les « progressistes », c’est-à-dire, les centristes, et ceux qui restent fidèles à leur passé social-démocrate. Ce congrès, qui aurait permis aux courants de se compter, n’aura lieu, au mieux qu’en 2015 (c’est le souhait de l’aile gauche et des députés frondeurs) ou en 2016 (selon le souhait de l’exécutif). Pour faire patienter les militants la direction du PS annonce des états généraux sans aucun enjeu pour le 6 décembre : 5600 contributions écrites des militants sont arrivées au siège du parti. De toutes façons, dans la problématique de notre débat « quelle gauche pour demain ? », il est indispensable que ce parti tranche son nœud gordien, probablement au prix d’une scission. D’autres clarifications, de même, devront avoir lieu au sein des écologistes et du Front de Gauche, comme nous l’avons indiqué ci-dessus.

Des rencontres ont déjà eu lieu depuis quelques mois entre organisations se situant à la gauche du gouvernement : PCF, PG, Ensemble ! EELV, certains militants du PS… Elles devront s’élargir à Nouvelle Donne, ATTAC, etc. La route sera longue, avant que des luttes sociales et des rencontres entre citoyens, associations, syndicalistes et forces de gauche surgisse un projet alternatif de gouvernement. Contribuer à son avènement, cela aussi peut donner du sens à la vie !