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  Voter blanc aux élections européennes ?

samedi 10 mai 2014, par François-Xavier Barandiaran

Deux avancées démocratiques – bien timides, au demeurant - marqueront les élections des parlementaires de Strasbourg du 25 mai : l’une en France, où pour la première fois les votes blancs seront comptabilisés séparément des votes nuls, mais pas encore parmi les suffrages exprimés, et l’autre dans l’UE, puisque le président de la future Commission, aussi pour la première fois, sera le candidat tête de liste de la famille politique européenne qui aura le plus de voix au Parlement. Je crains, néanmoins, que ces deux nouveautés ne suffisent pas à faire diminuer le nombre des abstentionnistes ou à détourner des partis anti-européens moult citoyens qui dans tous les pays de l’UE poussent dans le sens souverainiste.

Six décennies après le lancement du « projet Europe » on paie l’opacité de son fonctionnement, le manque de démocratie, qui induit que ce projet reste mal connu de la plupart des citoyens, et toutes les déceptions poussées au paroxysme à cause des mauvaises réponses apportées par les institutions européennes à la crise actuelle. Election après élection le nombre des abstentionnistes ne cesse d’augmenter : en moyenne européenne, ils étaient 55 % en 2004 et 57 % en 2009 (respectivement 57% et 59 %, en France). Selon les sondages ils pourraient bien dépasser les 60 % le 25 mai prochain !

L’aventure, pourtant, avait bien commencé, quand les « pères fondateurs », encore marqués par l’effroyable conflit de la IIe guerre mondiale, avaient fait le projet de conjurer le risque d’un nouveau conflit intra-européen. Sans oublier la Première, dont nous commémorons en 2014 le centenaire de son déclanchement. Ce sont ces deux événements, sans doute, qui étaient présents à l’esprit des membres du jury quand, en 2012, ils avaient décerné à l’Europe le Prix Nobel de la Paix « pour avoir transformé un continent de guerre en continent de paix ». Même si, pour les nouvelles générations, les souvenirs s’estompent, il ne faudrait jamais oublier les 20 millions de morts de la Première et les 70 millions de la Deuxième, entre civils et militaires, selon les estimations. Le Traité de Rome de 1957 avait fixé un objectif politique, au-delà des coopérations économiques : « établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite », avec le projet d’aboutir à terme à une fédération.

Le constat, aujourd’hui, par-delà les traités, c’est qu’il y a deux Europe : celles « des pays du Nord », guidée par la puissante Allemagne, qui, dans la crise actuelle, arrive à maîtriser les déficits budgétaires – tout en éprouvant un ralentissement de la croissance et en diminuant le bien-être social -, et celle « des pays du Sud » (France et Irlande comprises), qui, pour être en accord avec les traités européens, instaure à marches forcées des « réformes structurelles », qui mettent à mal des couches entières de la population et détricotent les conquêtes sociales acquises au siècle dernier. L’UE est en train de sacrifier ce mode de civilisation propre à l’Europe, qu’on considérait comme le fruit exemplaire de la social-démocratie alliée aux mouvements sociaux, gardant comme seul « objectif de rétablir la position concurrentielle des capitalismes européens dans la mondialisation » (Que faire de l’Europe, page 11, LLL avril 2014, Fondation Copernic et Attac).

Certes, le « projet Europe » était né dans la tête de capitalistes sociaux et la course à la compétitivité a existé depuis sa fondation. Mais elle a connu une accélération depuis le traité de Maastricht et est devenue une lutte sans merci depuis que l’Allemagne a baissé, au début des années 2000, le coût du travail (diminution des salaires et des charges), pour être encore plus compétitive au détriment des autres pays européens. C’est ainsi que « les pays du Sud » (Grèce, Italie, Espagne, Portugal, France, etc.) ont été acculés à procéder à ces « réformes structurelles », terme euphémique pour désigner de véritables saignées ! La déréglementation des codes du travail est devenue la norme, ainsi que la diminution des coûts salariaux et des prestations sociales (avec les pertes correspondantes pour financer les services publics).

Les pays européens ne se font plus la guerre des canons (merci, l’Europe !), mais un climat de dumping généralisé préside à toutes les décisions de l’UE – dans une autre guerre qui ne fait plus de morts, mais des pauvres et des précaires -, en suivant aveuglement la règle des 3 % concoctée par Merkel-Sarkozy et suivie par tous les gouvernements européens. Bien sûr qu’il fallait en finir avec la course aux déficits qui nous permettaient de vivre au-dessus de nos moyens. Depuis 1974, en France, aucun budget n’a été voté à l’équilibre, mais le prêt à intérêt n’est-il pas le premier moteur du développement du capitalisme, aussi bien pour les dépenses privées que pour les financements publics ? C’est avec ce système de course à la consommation qu’il faut en finir !

Et, en guise d’intégration politique, - nécessaire pour bâtir « une autre Europe » - on nous sert un soi-disant fédéralisme autoritaire sous l’égide de l’Allemagne. On appelle cela « l’ordo libéralisme ». Ainsi, tous les gouvernements de droite, par idéologie, et tous les gouvernements de gauche, par manque de convictions bien trempées, même quand ils étaient majoritaires en Europe, avancent d’un seul pas vers le verrouillage budgétaire, cependant que « les marchés » marquent le rythme. Voilà l’intégration politique qu’on nous propose. Drôle de fédéralisme !

Résultat : 27 millions de chômeurs, dont 6 millions de jeunes – plus de 50 % en Grèce et en Espagne -, sans compter les quelques millions qui, par des subterfuges variés selon les Etats de l’UE, ou par désespoir, échappent aux statistiques. Et 20 % de « travailleurs pauvres » vivant sous le seuil de pauvreté spécifique à chaque pays. Pas la peine de fournir d’autres chiffres pour illustrer le désenchantement ou le désamour de nombre de citoyens à l’égard de ce qu’est devenu le « projet européen » ! Quoi d’étonnant, dès lors, que la Commission Européenne de Bruxelles soit devenue le punching-ball de beaucoup de partis qui, souvent pour camoufler leurs responsabilités, en font le bouc-émissaire, l’accusant de fonctionner dans l’opacité et de passer par-dessus les parlements nationaux. Il est vrai que n’étant pas élue et ayant pour membres un bon nombre de commissaires néolibéraux nommés par les gouvernements, elle est devenue « l’organe d’une domination post-démocratique », selon les termes de Jürgen Habermas. En fait, elle n’est que la garante des traités signés par les pays. Elle applique avec une méticulosité tatillonne l’idéologie libérale assumée par tous les Etats.

Reste le Parlement, seule institution démocratique parmi les instances de l’UE. Lui seul peut freiner les ardeurs néolibérales de la Commission, mais ses pouvoirs sont limités, même si après le 25 Mai il nommera le président de celle-ci. Ce sera la tête de liste qui aura le plus de voix. Pour ces raisons toutes les forces politiques qui, d’une façon ou d’une autre, croient encore à l’avenir de l’Europe, font campagne pour envoyer au Parlement de Strasbourg le plus grand nombre de députés. En face, se dresse le camp des populistes, des eurosceptiques radicaux, des europhobes…dénominations généralistes qui englobent, pêle-mêle, les partis nationalistes qui veulent retrouver la souveraineté nationale et ceux d’extrême-droite qui sont spécifiques à chaque pays. Certains augurent que cet ensemble variolé pourrait représenter 200 élus parmi les 751 qui composent le Parlement. D’ailleurs, le rêve de Marine le Pen est d’en fédérer au moins 25 - seuil pour constituer un groupe- Ces anti-européens n’empêcheraient pas le Parlement de fonctionner, mais constitueraient une sérieuse sirène d’alarme sur l’état des opinions publiques. Dans l’atonie de la campagne en France Marine le Pen essaie de centrer le débat sur ses thèmes favoris : « la sortie de l’euro » et la « sortie de l’Europe ». Et elle n’est pas la seule : des économistes et des intellectuels de gauche, comme Sapir, Lordon, Todd… partisans, eux aussi, de sortir de la zone euro, échangent des arguments entre eux – puisqu’il y a des divergences – et avec la Fondation Copernic et Attac, tout aussi critiques sur le fonctionnement de l’UE, mais partisans, pour le moment, d’y rester, en luttant pour sa « refondation ». Ce débat dépasse le cadre de ces lignes, par la technicité et l’ampleur des arguments. Pour se faire un jugement personnel il vaut mieux lire les livres publiés par les uns et les autres. Je crains, néanmoins, que la plupart des électeurs ne soient pas suffisamment informés pour faire la différence entre les subtilités des économistes et les déclarations à l’emporte-pièce du Front National.

Le 25 Mai les français auront à choisir à l’intérieur de ces quatre grandes tendances :

1) Les européistes de droite et ceux de la gauche de gouvernement

  L’UMP est pour la poursuite d’une Europe telle qu’elle va (en ajoutant quelques critiques ponctuelles, comme l’espace Schengen, la surévaluation de l’euro, etc.), c’est-à-dire une association d’Etats qui gèrent les soubresauts du néolibéralisme, en respectant les accords qui ont été concoctés par les droites européennes. Mais, plus la campagne avance, plus des voix discordantes se font entendre de la part de certains ténors du parti. Traversée, ainsi, par des tendances opposées, l’UMP officielle maintient tant bien que mal la ligne d’une « Europe à géométrie variable », mais ne renie rien de l’Europe impulsée par le tandem Sarkozy-Merkel.

  Le Parti Socialiste, depuis 1982, à l’instar des autres partis sociaux-démocrates européens, marche sur les rails d’une union européenne, sorte de grand marché, où règne la loi de « la concurrence libre », avec une monnaie qui, de fait, est la poursuite du deutschemark. Mais il critique l’austérité « imposée », pour se donner bonne contenance, en annonçant pour plus tard – toujours plus tard, depuis l’époque de Delors !- l’Europe sociale. Un fait significatif s’est produit lors de l’ouverture de sa campagne au cirque d’hiver, le 17 avril, sous la bannière de l’allemand Martin Schulz : un groupe de jeunes espagnols, immigrés de fraiche date, ont déployé une pancarte, vite enlevée par le service d’ordre, où on pouvait lire : « L’austérité en Europe est aussi votre erreur ».

2) Les partisans d’avancer vers une Europe fédérale. (Ils se situent aussi à droite et à gauche)

  L’alliance UDI-MoDem, « les Européens » En politique économique ils ne diffèrent pas beaucoup de leurs partenaires de droite. Mais ils souhaitent avancer clairement vers la fédéralisation d’une Europe intégrée, qui aurait une véritable politique étrangère, une défense commune et une harmonisation fiscale et sociale. Ils se réclament plus que d’autres des « pères fondateurs ».

  Europe-Ecologie-les Verts : l’une des caractéristiques des écologistes est leur combat pour une Europe vraiment fédérale, une Europe des peuples qui se substituerait à l’Europe des Etats. Ils professent qu’on ne peut concevoir le futur sans l’Europe et qu’un jour nos petits-enfants connaîtront les « Etats-Unis d’Europe ». Ce n’est pas dans chaque pays, mais au niveau de l’UE qu’on doit chercher la sortie du nucléaire, l’avènement des énergies renouvelables, la réponse à la question de l’immigration, le rejet de l’accord TAFTA qu’on nous mijote en secret, etc. Comme disait Cohn-Bendit dans son discours d’adieu au Parlement : « on peut être critique de l’Europe, mais si vous doutez de sa nécessité vous avez perdu » ! Pour cela il faut dépasser l’Etat-nation, si l’on veut répondre aux problèmes globaux, écologiques et sociaux, et ne pas plier devant la mondialisation.

3) Les critiques radicaux : Front de gauche et autres, dont le programme pourrait se réduire au sous-titre du manifeste de la Fondation Copernic et Attac, déjà cité : « Désobéir pour reconstruire ». Il faut rester dans l’UE –proposent-ils – pour préparer sa rupture et sa refondation ! Sous la houlette du grec Alexis Tsipras la liste de « La Gauche unie européenne » se veut le porte-étendard des millions d’européens sacrifiés par les politiques libérales. Ils annoncent un futur de combat : la réponse aux vents néolibéraux qui conduisent l’Europe actuelle ne pourra venir que de l’union des mouvements sociaux qui émergent dans les quatre coins de l’Europe et qui aboutiraient à la constitution de majorités politiques pour dire « non » aux traités, pour désobéir aux traités en provoquant de la sorte une crise majeure. De ce grand pataquès naîtrait une possible refondation de l’Europe ! Pari bien improbable, pour le moment, à l’aune des pourcentages annoncés pour les forces politique qui se situent dans cette perspective ?

4) Le dernier courant englobe essentiellement le Front National et les autres souverainistes qui veulent quitter l’euro et l’Europe, bien qu’il y ait de vraies différences entre le FN et la liste du gaulliste Dupont- Aignan. Ce sont des anti-européens qui prétendent qu’un retour aux frontières de chaque pays apportera les solutions, en suivant le slogan de Le Pen : « Oui à la France, non à l’Europe ». Véritable miroir aux alouettes ! S’il est vrai que les élections européennes ne structurent pas l’échiquier politique français, le succès annoncé du FN, surtout s’il arrive en tête comme certains sondages le pronostiquent, aura des répercussions durables sur l’ensemble de la vie politique en France. Durables et néfastes.

D’autres utopistes trouveront leur compte, qui dans les listes du NPA avec le retour au premier plan de Besancenot, qui dans Nouvelle donne , nouveau parti de P.Larrouturou, grand champion du partage du travail, qui dans les listes des Décroissants…

Mais, si malgré la pléthore des listes – 193 reconnues sur le plan national, avec une moyenne de 24 par circonscription -, vous restez indécis parce qu’aucune ne vous donne pleine satisfaction, ne vous abstenez pas. Allez voter pour manifester que « le projet Europe » n’est pas en vous définitivement mort. Votez blanc.