Le Café Politique

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  « EMPOWERMENT » à la française

dimanche 28 avril 2013, par François-Xavier Barandiaran

Un nouveau mot a fait son apparition depuis quelque temps dans nos médias. Il nous vient d’Amérique du Nord : « empowerment », dont la meilleure traduction me semble être « développement du pouvoir d’agir » des citoyens lambda. Nombreux sont les secteurs où la société civile peut prendre sa place, mais celui où on peut expérimenter le mieux la capacité d’action citoyenne est celui de l’aménagement du territoire, de l’intercommunalité et de la politique de la ville. Imaginer la ville de demain devrait libérer et rendre effectif le potentiel qui dort en chacun de nous.

Deux grands chantiers nationaux sont concernés : 1) La « politique de la ville » - un ministère spécifique a été créé en 1991 – qui cherche à faire diminuer les inégalités des « quartiers » dits « sensibles » (euphémisme qui cache mal l’urgence de la réalité, alors que chaque gouvernement y va de son programme sans que la situation change en profondeur) et 2) Depuis la « loi Chevènement » de juillet 1999 la France s’est lancée dans la réorganisation administrative de ses espaces urbains. Pour nous en tenir à la région de Toulouse : en 2001 naît la Communauté de l’agglomération toulousaine, devenue en 2009 « communauté urbaine », et après le premier juin 2012 « Toulouse Métropole ». Mais, combien d’habitants de ce secteur qui englobe un grand nombre de communes autour de la ville-capitale sont au courant de ces modifications ? Combien sauraient dire en quoi elles sont significatives d’un changement de compétences ? A l’heure de définir les orientations d’urbanisme et d’aménagement pour les 20 – 30 ans à venir : transports, développement durable, loisirs, économie… combien d’habitants se sentent concernés ? Il y va, pourtant, de la vie de chacun : cela va de la facilitation des transports, en passant par l’augmentation de la qualité de l’habitat à travers la rénovation et la création d’éco-quartiers, jusqu’à la mise en valeur des espaces agricoles qui permettront un maraîchage de proximité. A part les membres des SCOT (schéma de cohérence territoriale) composés essentiellement de politiques et d’experts, qui est intéressé par ces questions qui dessinent l’image de ce territoire urbain-rural englobant, aujourd’hui, sept cent mille personnes, plus d’un million demain ? Et, si on projette notre regard sur l’ensemble du pays, on constate que la participation citoyenne reste à l’état embryonnaire et qu’il n’y a pas un mouvement bien identifié montrant la capacité des habitants à prendre leur place dans la vie publique.

C’est au Sommet de la Terre, en 1992 à Rio de Janeiro, qu’a été lancé « l’Agenda 21 » (littéralement : ce qui devait être fait au XXIe siècle) pour promouvoir un développement durable. Cela fait déjà plus de vingt ans ! Il est vrai que dans moult villes et quartiers des comités locaux –comme l’APCVEB de Balma qui co-organise ce débat – ou des associations se sont constitués, suite aux décisions des gouvernements successifs concernant la politique de la ville et le renouvellement des quartiers, quand ce n’est pas l’application des normes nouvelles administratives ayant trait à la gestion des communes et des communautés urbaines. Des groupes de proximité poussent ci et là pour répondre à des situations concrètes : les transports, la santé, la mixité dans l’habitat, les économies d’énergie, l’environnement… bref, toutes les questions qui concernent le mieux vivre ensemble. Néanmoins, on peut avoir la fâcheuse impression que tout cela n’irrigue pas en profondeur la vie démocratique, que toutes ces actions « ne touchent pas l’os » des problèmes à régler, tels des lilliputiens poussant le rocher de Sisyphe ! De plus, ces actions restent le plus souvent isolées, sans constituer un mouvement d’envergure. Pour beaucoup dans l’opinion, de façon péjorative, tout ce qui touche la politique de la ville renvoie aux « quartiers » et à l’état de ségrégation dans lequel on maintient les personnes qui y habitent, ce qui ne semble pas perturber le sommeil du plus grand nombre.

Ces aspects négatifs peuvent s’expliquer, parce que, d’une part, la France est lestée –et le restera longtemps – par l’erreur monumentale commise pendant la deuxième moitié du siècle dernier en construisant les ensembles-ghettos (parfois avec de louables intentions, comme le Mirail à Toulouse) et, d’autre part, parce qu’on ne voit pas la cohérence des actions menées par les gouvernements qui se succèdent et qui imposent des solutions sans consulter les personnes qui y habitent. Sans doute, les politiques et les experts qui les secondent les considèrent comme « des gens à problèmes » plus que comme des citoyens capables de donner leur avis, compte tenu de leur qualité de « maîtres d’usage ».

A rebours de ce qui précède, il faut saluer les moyens qui, petit à petit, se mettent en place pour débloquer et promouvoir « l’empowerment » de la société civile : l’Observatoire National des agendas 21, la Gazette des communes, les travaux d’universitaires comme Jacques Donzenot théorisant ce mouvement. Un collectif très prometteur « Pouvoir d’agir » (www.pouvoirdagir.fr) commence à fédérer de multiples associations et œuvre à rapprocher les citoyens des instances de décision. C’est une plateforme qui peut démultiplier l’efficacité des associations citoyennes et servir d’aiguillon pour d’autres. On y trouve :

  « Ici on peut » de Lyon, qui exerce un devoir de vigilance et de proposition, dans la ligne de ce que Rosanvallon appelle la « contre-démocratie », pour pallier les disfonctionnements de la démocratie représentative ;

  « Cause Commune » de Grenoble a fait le pari « que le principal moteur de la transformation sociale est de faire des habitants des quartiers populaires les acteurs des transformations de leurs conditions d’existence » ;

  « Projet Echo », aussi à Grenoble, rassemble les différentes formes de collectifs de la ville ;

  ATD Quart Monde (Agir pour la dignité), qui milite pour éradiquer la misère et garantir l’accès des plus pauvres à l’exercice de leurs droits. Pas étonnant que ce mouvement qui croit à l’expertise vécue des plus marginalisés de notre société et leur permet de participer à l’élaboration des lois concernant la famille, l’école, la santé, le logement…à travers sa participation au CESE (Conseil économique, social et environnemental), ait adhéré au collectif Pouvoir d’agir. Son fondateur, J.Wresinski, avait écrit : « Les Etats doivent assumer la participation active, libre, éclairée et constructive des personnes vivant dans la pauvreté à toutes les étapes de la conception, de la mise en œuvre, du suivi et de l’évolution des décisions et des politiques qui les concernent ». ATD va jusqu’à organiser des Universités populaires par le croisement des savoirs et des pratiques, où des personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté échangent, à égalité, les uns à partir de leur savoir et les autres de leur vécu, avec des professionnels : magistrats, enseignants, travailleurs sociaux, universitaires…

A partir de là on peut égrener quelques réflexions sur la démocratie et la citoyenneté. On a tout lu et entendu sur la perte de sens civique, la défiance des citoyens face aux instances dirigeantes et le désenchantement à l’égard du fonctionnement de la démocratie. L’action des partis politiques est souvent ankylosée : la lutte des clans a pris le pas sur les débats d’idées, on a professionnalisé le rôle des élus avec l’accumulation des mandats. Les partis ne sont plus les catalyseurs des débats idéologiques qui devraient alimenter la vie politique, jouant à la place le rôle d’écuries de préparation des élections et, en particulier, celle de la présidence de la république. Et, pour couronner le tout, les « affaires » récentes qui font que seulement un tiers de nos concitoyens pensent que les hommes politiques sont plutôt honnêtes !

Qu’il est loin le temps où on rêvait d’une organisation autogestionnaire de la société. On était encore sous l’influence de Mai 68. Un autre terme a connu un peu plus tard un certain succès, « la démocratie participative ». Elle se voulait un moyen de contrôle des élus et une façon de freiner l’omniprésence des « experts » qui occupent de plus en plus de place devant la complexité des décisions à prendre par les élus. Le concept de base est que « le citoyen n’importe qui » doit intervenir dans la prise de décision. C’était la volonté des « jurys citoyens » de Ségolène Royal – si vite oubliés – et c’est toujours le moteur des équipes « Agenda 21 », des comités de quartier et de beaucoup d’associations qui appliquent « l’empowerment » à la française. Dans le marasme où se situe notre démocratie représentative toutes ces tentatives des citoyens qui ne veulent pas être marginalisés sont autant d’embryons de régénérescence du fonctionnement de la démocratie. Celle-ci devra toujours être réinventée, à chaque époque.

• Même la démocratie athénienne, qui reste une référence première, était loin d’être parfaite : après moult tâtonnements et réformes, Athènes arrive, au milieu du Ve siècle a.J., à un système considéré comme l’ancêtre des démocraties modernes, qui laissait hors-jeu les femmes, les esclaves et les étrangers. De plus, pour jouir de la citoyenneté il fallait être propriétaire foncier !

• Après la Révolution de 1789 la démocratie a été censitaire jusqu’en 1848 : il fallait avoir un niveau de revenus suffisant et payer les contributions directes supérieures à un seuil – le cens – pour pouvoir voter. Seuls les notables et les rentiers pouvaient être démocrates ! On appliquait la théorie de Sieyès : seuls les individus ayant des capacités – niveau d’instruction et réussite économique – étaient aptes à voter. La richesse était synonyme de présomption de compétence.

• Nous savons, par ailleurs, qu’il a fallu attendre le 21 avril 1944 pour qu’en France – en retard sur de nombreux pays – le droit de vote soit accordé aux femmes.

Après cette rapide et succincte rétrospective, qui éclaire notre débat, je reviens à la démocratie participative qui postule que tout citoyen doit avoir le même pouvoir de décision, même celui qui n’a pas la compétence des experts ni la richesse de ceux qui ont réussi ! Comme le rappelait l’historien et politologue René Rémond, lors d’un colloque à la Sorbonne organisé par ATD Quart Monde, la politique n’est pas faite seulement de choix techniques (qui exigent le savoir), mais elle « comporte aussi le choix des finalités » (ce qui relève du vécu et du bon sens de chacun). Et, comme le bon sens, le sens du bien public, n’est pas l’apanage des savants ni des riches, « chaque homme est à même de se déterminer en conscience et de faire un choix raisonnable. Ce pari est constitutif de la philosophie de la démocratie ».

Si nous vivons à une époque où on ne voit pas quel système pourrait remplacer notre démocratie défaillante, on peut espérer que les hommes feront toujours de la politique, parce que la politique, c’est croire que l’ordre social peut être autre que ce qu’il est, qu’on peut toujours l’améliorer dans le sens du bien commun, de rapports plus justes et de la recherche d’un mieux vivre. Même si la dureté de ce que nous vivons et les espoirs déçus nous empêchent de rêver à « des lendemains qui chantent ».