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  Tous, des populistes ?

jeudi 21 mars 2013, par François-Xavier Barandiaran

Il existe un rapport conflictuel entre populisme et démocratie : ces deux concepts, qui sont si proches si l’on s’en tient à l’étymologie (populus=peuple, en latin ; démos =peuple, en grec) et si opposés quand on considère la pratique de l’action politique dans nos sociétés contemporaines.

Le populisme est un concept qu’on peut accommoder à pratiquement toutes les sauces… politiques, étant donné sa pluralité de significations. C’est ce qu’en termes savants on appelle la polysémie. Il nous donne à connaître presque autant sur celui qui le prononce que sur le parti à propos duquel il est proféré. D’où le flou inhérent à un terme dont la signification peut dépendre de l’intention de celui qui l’utilise. Il suffit de survoler sur Google les premières occurrences pour s’en convaincre. J’y ai glané un certain nombre de définitions :

1) Commençons par la plus immédiate : faire appel au peuple en passant par-dessus les élites, les corps intermédiaires, les partis et autres organisations représentatives. Soit, rendre au peuple un pouvoir qui lui aurait été confisqué, en pratiquant, par exemple, une démocratie directe à travers des référendums

2) A un degré plus pervers, le populisme consisterait à la tendance généralisée des partis à attirer les voix pour gagner une élection, plutôt qu’à permettre le débat pour trouver des réponses à long terme sur des questions complexes ou impliquant des sacrifices. On parlerait alors d’opportunisme politique, en mobilisant les masses par des promesses électoralistes, en promettant la facilité comme la baisse des impôts, en cachant les répercussions que cela aurait sur la qualité des services publics ; en se contentant d’analyses simplistes ou de solutions à l’emporte-pièce qui relèvent de la paresse intellectuelle plutôt que de la recherche de l’intérêt général.

3) En franchissant un pas supplémentaire, il serait synonyme de démagogie, quand il flatte les passions ou réveille les préjugés populaires si prompts à s’enflammer, comme le nationalisme, la xénophobie, le racisme, les réflexes sécuritaires ou la peur fantasmée de l’islam…

Ainsi, en France, à partir des dernières décennies du XXe siècle, on l’a appliqué, en général de façon péjorative, au mouvement poujadiste et à l’extrême droite lepéniste. Mais, comme l’écrit Michel Winock, le populisme n’est pas spécifiquement de droite : « le mot indique une confiance dans le peuple que l’on rencontre dans le discours de Robespierre ou les écrits de Michelet ». J’ai même trouvé dans le Petit Larousse 2012 cette définition du populisme : « attitude politique consistant à se réclamer du peuple, de ses aspirations profondes, de sa défense contre les divers torts qui lui sont faits », que ne reniera certainement pas Mélenchon ! Si l’on s’en tient à cette dernière acception, il est plutôt flatteur qu’on le traite de populiste, alors que bien plus souvent les médias font un amalgame stupide en le comparant pêle-mêle avec Marine Le Pen.

Par conséquent, le terme flou de populisme est à manier avec précaution. Ce dont nos médias n’ont pas tenu compte, encore une fois, depuis les élections italiennes de février dernier et les résultats de Berlusconi et de l’humoriste Beppe Grillo : on a vu fleurir partout des titres parlant des « deux populismes italiens ». On a confondu, ainsi, la bien connue attitude berlusconienne du flûtiste d’Hamelin qui ensorcelle les foules avec la montée stupéfiante du mouvement « cinq étoiles » - 8,5 millions de voix -, qui porte les revendications opposées de gauche et de droite – nous n’avons pas l’équivalent en France -, et que je qualifierais de libertarien. Les « grillini » - ce non-parti – ce sont des déçus de tous bords, des italiens en rupture avec le système. On a tort d’amalgamer Berlusconi et Grillo en Italie, Mélenchon et le Pen, en France. Ce que, à juste titre, l’ensemble des médias a mis en exergue, c’est que les structures mêmes de la vie politique italienne en sortent profondément ébranlées, et que cela est prémonitoire d’autres secousses à venir en Espagne, Grèce, Portugal…ou même en France.

A partir des divers sens du mot « populisme », on peut essayer de passer en revue la vie politique française et de montrer que tous les partis peuvent y laisser des plumes. Je m’attarderai peu sur Marine le Pen, qui, même après avoir pris quelques distances par rapport au FN de son père et avoir largement réussi son opération de « dédiabolisation », reste le prototype du populisme : avec sa démagogie, sa préférence nationale, sa peur de voir frelatée l’identité de la France devant la supposée invasion conquérante de la culture musulmane, etc… Tout dans son programme relève de la facilité simpliste dans l’analyse et de la non-réponse aux problèmes, dans son programme. Malheureusement "l’affaire Cahuzac" et la mise en examen de N.Sarkozy apportent de l’eau à son moulin.

Que dire du Front de gauche et de son icône-porte-parole ? Ses qualités de tribun, ses critiques virulentes de la politique du gouvernement de gauche, certains propos à l’emporte-pièce, comme quand il écrivait en 2010 : « qu’ils s’en aillent tous », incitent certains à le ranger facilement parmi les populistes. Mais, quand on s’en tient au fond, on ne peut qu’adhérer à la critique qu’il fait de la constante dérive néolibérale du projet européen qui a abouti, depuis que la crise est à son zénith, à mettre les Etats sous la botte des marchés et des agences de notation. En revanche, le Front de gauche ne frôle-t-il pas le populisme quand il prétend qu’un seul pays pourrait mener, en Europe, une autre politique ? Comment, avec les seuls 11% d’électeurs des dernières présidentielles, pourraient-ils tenir tête aux coups de butoir des marchés et à la pression de la majorité des autres pays européens ?

Le parti socialiste a été emporté par la grande conversion idéologique qu’a connue la gauche social-démocrate européenne depuis une trentaine d’années. Sous la poussée de la révolution conservatrice de Milton Friedman, et à l’instar des « Chicago boys », elle a opéré un mouvement de convergence vers l’économie néo-libérale, en cédant progressivement à ses exigences, tout en essayant de tempérer les conséquences les plus négatives et de maintenir, vaille que vaille, le système de l’Etat-Providence. Cela met Hollande en porte-à-faux : l’imaginaire et le discours du Président relèvent souvent du socialisme, mais sa pratique est social-démocrate ! On avait salué, pendant la campagne, sa prudence de ne pas faire trop de promesses –tentation populiste s’il en est-, mais les seules qu’il avait proférées ne sont pas en voie de réalisation : ainsi, de la modification du traité budgétaire européen, du droit de vote pour les étrangers, de la séparation bancaire entre activités de dépôt et de crédit, de la refonte fiscale, du pacte de croissance européen – encore que, dans ce domaine, il faille saluer sa constance, soutenu par les pays du Sud, à faire bouger les lignes, lors des Conseils Européens. Ne peut-on pas, aussi, parler de populisme devant son refus de prononcer le mot « austérité », alors que les plans de restrictions budgétaires se suivent et se ressemblent, ou encore, de maintenir jusqu’à la fin de 2012 une perspective de croissance inatteignable, avant de se rendre à l’évidence ? Sa dernière promesse, c’est d’inverser la courbe du chômage avant la fin 2013. Cela fait-il partie de la nécessité de « ré-enchanter » la politique, alors que la presque totalité des économistes augurent qu’il n’y aura ni reprise de la croissance ni commencement de la sortie de crise ? Il est vrai qu’avec sa sérénité proverbiale F.Hollande donne rendez-vous aux électeurs en 2017, à la fin de son mandat.

Changeons de camp : pour la droite, en général, sont populistes ceux qui réclament la justice sociale et une meilleure redistribution fiscale, en ignorant – dit-elle – les lois d’airain de l’économie. En réalité, elle mène une grande opération de contrebande idéologique en essayant de masquer sa collusion avec la finance en folie. A la suite des grandes transformations introduites par Reagan et Thatcher, les gouvernements de droite ont fait office de cheval de Troie pour introduire en Europe le néo-libéralisme triomphant. Ils voudraient se masquer derrière les « injonctions de Bruxelles », alors que ce sont les Chefs d’Etat qui, à travers la Commission, mettent en pratique l’inféodation vis-à-vis des capitaux spéculateurs. De fait, les gouvernements de droite – avec la complicité des sociaux-démocrates – ne veulent pas s’affranchir de la tyrannie des marchés, mais, bien au contraire, ils cherchent à faire passer auprès de l’opinion la casse des services publics et des protections sociales comme une nécessité incontournable pour sauver notre système économique. Ne s’agit-il pas d’une redoutable opération populiste : se cacher derrière des contraintes extérieures, alors que c’est au moyen de la Commission Européenne, dotée de pouvoirs immenses, que les divers gouvernements ont mis en place l’inféodation vis-à-vis des capitaux spéculateurs ? Avec la rigueur budgétaire à marches forcées et l’austérité qui enfonce des dizaines de millions d’européens dans le désespoir, ils sont en train de sauver l’euro, mais en même temps de tuer la confiance des citoyens dans l’action politique.

Prétendre qu’il n’y a pas d’autre alternative, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, c’est dévaluer la démocratie. C’est un grand pas de civilisation en arrière que d’assister à ce processus inavoué d’en finir avec la sécurisation des gens contre les risques fondamentaux de l’existence et contre les injustices sociales, alors que c’est à quoi aspirent de plus en plus les salariés chinois, indiens, brésiliens et ceux des tous les pays émergeants, dès lors que leur niveau de vie augmente. Même le Président Obama veut améliorer le Welfare State des américains !

Ce populisme, en tant que fonctionnement déficient de la démocratie, se nourrit du court-termisme des hommes politiques et des maîtres-penseurs, ainsi que de l’incapacité d’une bonne partie des citoyens à regarder la réalité des problèmes en face, à analyser le long terme, à modifier nos modes de vie. Il est vrai que les urgences inhérentes à la crise ne créent pas – loin s’en faut – les conditions propices (c’est ce qui handicape l’action d’EELV, en même temps que le pari qu’ils ont fait d’agir à l’intérieur de la gauche de gouvernement, pari qu’ils ne pourront pas tenir longtemps ! Leur discours est devenu inaudible, malgré l’urgence des questions écologiques !).

La situation de la France est à peine comparable avec celle du Portugal, de l’Espagne ou, surtout, de la Grèce, où l’asphyxie sociale est à son comble, ainsi que la rage de millions de personnes sacrifiées sur l’autel de la finance, nouveau Moloch insatiable. Pourtant, nous savons que dans notre pays un tiers de la population vit dans une précarité grandissante et un autre tiers dans la peur d’un avenir incertain, devant les effets de la crise et de la financiarisation de l’économie. Peur pour l’emploi et l’avenir des enfants, peur des étrangers qui seraient trop nombreux, peur de l’Europe trop bureaucratique, peur des musulmans dépeints comme de nouveaux conquérants…Beaucoup de fantasmes et la tendance au repli préparent le terrain de la tentation du bouc émissaire : « les ingrédients du populisme sont là… c’est une rude réalité avec laquelle doivent se coltiner les partis républicains de droite comme de gauche » ( M.Winock, dans le Monde du 24/01/2013).

Il faudra y résister, comme l’ont montré deux images tutélaires qui viennent de nous quitter : le sociologue Robert Castel, qui a dénoncé, à travers ses écrits, la » remontée massive de l’insécurité sociale », et Stéphane Hessel appelant les français à revenir à l’esprit du Conseil National de la Résistance et à la constitution d’un puissant mouvement citoyen qui doit entreprendre « de juguler la pieuvre du capitalisme financier et la barbarie de la purification nationale ».