Le Café Politique

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   Progrès social partagé, respect de l’environnement et économie libérale sont ils conciliables ?

vendredi 3 février 2012, par Olivier Dirat

Pour bien « Concilier croissance, justice sociale et environnement », il faut déjà s’entendre sur ces termes. La croissance de l’économie s’entend actuellement comme l’augmentation du PIB, ce vieil indicateur modelé à la naissance du modèle économique dominant, l’économie libérale. La justice sociale, c’est déjà plus diffus. Composée d’un reste de contrat républicain (progrès social partagé par tous), matinée de justice individuelle quant à sa liberté (libéralisme) et enfin pondéré par la part croissante de cette atomisation de la nation qui vient peut être de la reconnaissance judiciaire de plus en plus de droits à la différence (religions, minorités, etc..). Enfin, l’environnement peut lui être perçu par sa dimension et par sa nature. Qu’est ce que l’environnement (celui qui nous sert, tout ce qui n’est pas nous, tout ce qui est vivant,…) et ou s’arrête t’il (la Terre, la France, Toulouse, Balma, ma rue, ma maison,..).

Reprenons en approfondissant les trois thèmes. La croissance n’est qu’une façon de voir le changement inhérent à toute activité humaine. Nous l’appelons croissance positive quand cela va dans le sens conforme au dogme libéral et croissance négative quand les profits diminuent. Si la croissance était mesurée par l’augmentation de la productivité des travailleurs dans une nation, elle serait toujours positive depuis 100 ans. Et c’est d’ailleurs étonnant de voir une société toujours plus riche, toujours plus productive, accumuler toujours plus de dettes. L’augmentation du confort n’est pas la seule explication. Avons-nous besoin de stigmatiser les générations précédentes et leur reprocher leur libéralité dans l’utilisation des ressources ? Avons-nous vraiment tant consommé que malgré toute notre richesse nous soyons si pauvres ? Endettés au dernier degré, tellement dans le besoin et faisant face à des problèmes insurmontables qui font que la solidarité, l’égalité et le respect de l’environnement doivent être mis de côté ?

Justice sociale. Pourquoi associer justice et social ? Le social n’est pas le domaine de la justice mais des représentants du peuple et ceci en vertu de l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire. Il est curieux de voir que nous ne pensons même plus au pouvoir législatif qui, finalement, est celui sur lequel le peuple a le plus de contrôle. Nous élisons des représentants qui doivent gérer l’intérêt général selon le contrat social. Ils sont là pour réfléchir et débattre pour produire la loi, dans les limites et avec les outils de la constitution. Trop souvent nous abandonnons cette prérogative à l’exécutif qui, dans la cinquième république et avec la personne du Président de la République, possède une puissance incroyable et dénuée de contrôle (sauf à se rendre coupable de haute trahison...) Cette association de mots n’est pas assez claire et comme « croissance », il vaut mieux les retirer de la question tout en gardant le sujet « social ». Maintenant, l’environnement. Nous le consommons et le modifions, il est partout et tout le monde l’utilise et le modifie. Plusieurs façon de le concevoir existent, formulons en deux. L’environnement, c’est la partie du monde que j’utilise et qui m’importe. L’environnement, c’est tout ce qui est sur Terre, du caillou au cétacé, du lichen à l’orchidée, du haut de la stratosphère aux profondeurs des fosses océaniques. A qui de définir ce qui est l’environnement ? Au niveau mondial, les échecs sont presque aussi nombreux que les tentatives. Au niveau Européen, c’est un conservatisme de patrimoine naturel. Au niveau national, entre la conservation du patrimoine et la gestion des déchets. L’environnement est rarement intégré dans des discussions sur le social, l’économie, la diplomatie. Il est pourtant commun à tous ces sujets. La multiplication des « grenelles » et autres appels pour les grandes causes écologiques ne doit pas nous faire oublier les résultats pratiques des politiques publiques et la latitude laissée aux industriels. L’urgence et l’immensité de la tâche mérite plus que des vœux pieux et des idées techno-scientifiques. Il semble que toutes les bonnes idées soient inapplicables et que seul reste le financement de l’industrie verte, les campagnes publiques sur l’eau, les déchets et l’énergie, l’espoir d’une révolution industrielle « verte » et la pratique de la patate chaude, consistant à lancer à son voisin un problème trop chaud pour soi même. Ou sont les stratégies de relocalisation des productions (au moins agricoles !), le travail sur le gaspillage des ressources, l’investissement dans la recherche, la valorisation des transports en communs ? C’est une mentalité que nous devons acquérir, qui vient en opposition avec les dernières décennies alors que ce fut la norme durant tout le reste de la vie de l’humanité. Nous devons oublier ce fantasme du bonheur dans la consommation et ce n’est pas facile.

Maintenant, demandons-nous quel est le grand absent de la question initiale ? Je propose la « chose » que l’on appelle économie libérale mondialisée. Elle est pourtant l’élément central des décisions politiques. Dans notre république, mêlée à la construction européenne, elle impose son droit et ses dogmes. Que les transformations soient impulsées par nos dirigeants (élus ou non) ou bien par la commission européenne (jamais élus), le sens en est le même : la mondialisation de l’économie sous sa forme libérale est une fatalité heureuse qui peut transformer le monde en une utopie libérale. Elle entrainera un progrès social, non par la planification étatique et le contrat social, mais par un mécanisme intrinsèque au marché, l’intérêt général mécaniquement défendu par des agents économiques ne recherchant que leurs profits. La confrontation de cette théorie à la réalité n’augure pas bien de la suite. Un autre mécanisme, celui là bien concret, de l’économie mondialisée « réellement existante », c’est sa propension à prendre en compte plus le présent que le futur. Le court terme est sa règle opérationnelle, le gain privé son objectif. Lorsque ses intérêts se confrontent à l’intérêt général de la conservation des ressources et de l’économie locale, il y a lieu de se demander qui arbitre, quel est sa légitimité et dans quel objectif. Sommes-nous bien sur que nous voulons cela ? Sommes-nous bien sur que les arbitres sont les représentants légitimes du peuple souverain et qu’ils défendent l’intérêt général à court, moyen et long terme de leurs concitoyens ? Je ne vous surprendrai pas en disant que le conflit a souvent le même vainqueur.

Puisque les termes ne me satisfont pas, je propose un autre titre au débat : « Progrès social partagé, respect de l’environnement et économie libérale sont ils conciliables ? »

Une critique possible serait de trouver ce questionnement trop utopique, pas assez ancré dans la réalité de la société et son fonctionnement économique réel : « Assez de blabla, on veut des actions, un programme de réformes, du mouvement ». Mais est-ce bien ce que nous voulons ? Une action rapide, efficace (il parait), mais dénuée de sens universel et de légitimité démocratique. Avec « Concilier croissance, justice sociale et environnement », nous pouvons parler d’action tout de suite. En effet, il suffit d’un bon programme, un plan clair, une vision, un groupe d’élite qui peut trouver la formule magique pour concilier l’inconciliable. C’est ça la « Real Politic ». Alors que dans l’autre formulation, on se pose la question de ce que l’on veut. Du partage. Du respect de l’environnement. Cela suppose une morale. On ne présuppose pas non plus la croissance comme un élément présent, un objet incontournable, représentant une économie « fin de l’histoire merci m’sieurs dames ». Mais dans cette formulation, il manque encore l’élément central, qui fait de plus en plus défaut, le peuple souverain. En l’éloignant du contrôle du pouvoir, en le cantonnant au choix de représentants, en le craignant, en refusant ses demandes et en riant ses colères, en détruisant l’école, les services publics, en le divisant en minorité, en oubliant l’histoire de la république française, il n’existe plus politiquement. Il n’est plus souverain. Comment alors tous nous retrouver dans la réflexion et l’action politique ?

Attac est un exemple dans le champ de l’éducation de cette tentative de remettre le peuple au centre en lui donnant les moyens de comprendre. Mais quid des moyens d’agir ? Le droit de vote, le syndicalisme, le tiers secteur, la grève, les référendums. Sont-ils suffisants en l’état. Le droit de vote me parait problématique, notre régime très présidentiel semble être en roue libre et les choix politique réduit (soit un des deux partis majoritaires de « gouvernement » soit l’éternelle insatisfaction de voter pour des partis qui n’auront jamais le pouvoir), malgré plus de 250 partis politiques en France. Le syndicalisme est limité par sa structure et sa représentativité. De l’universalisme les syndicats ont migré vers le corporatisme, et la guerre que leur a menée l’industrie et l’état l’ont laissé exsangue et illégitime. Dans le tiers secteur, les associations et ONG, permettent des actions dans un cadre très limités et ont énormément de difficultés à obtenir un rôle politique, même localement. Elles représentent de plus un groupe et n’ont pas forcément vocation à défendre des idées à porté universelle. La grève est un outil que nous pourrions utiliser plus, ou du moins mieux. La coordination est souvent l’affaire des syndicats, ce qui rend leur faiblesse d’autant plus dramatique. La grève redonne le rapport de force aux travailleurs, un rapport de force qui est de moins en moins en leur faveur. En ce qui concerne le référendum, soit il est utilisé comme une arme politique soit, lorsque le résultat ne convient pas (ou risque de ne pas convenir comme en Grèce), comme un épouvantail. Le peuple est idiot, on ne peut pas lui faire confiance pour avoir des opinions sérieuses, mieux vaut laisser la décision à l’élite de la France, la preuve, il vote n’importe comment ! Alors on le change. On le change en gentil citoyen, en besogneux salarié du privé, en profiteur de fonctionnaire, en sans papier dangereux, en plein de chose sauf le signataire du contrat social avec la nation, l’élément d’un tout. Un citoyen avec des droits et des devoirs, avec une place dans une nation faite d’histoire et de principes, qui est capable de faire des choix sur le social, l’économie, l’environnement. Pas un alibi.

Selon moi, le débat proposé ne peut que profiter d’une meilleure formulation. Une formulation qui remet dans le contexte nos discussions, les raccrochent à notre patrimoine politique et social, afin que nos discussions soient productives, et ne soient pas le miroir des débats stériles que les médias ou les institutions internationales nous donnent en exemple. Je postule que nous en sommes capables, que nous pouvons nous faire confiance pour élever les débats et prendre la suite historique des avancés sociales. Il faut reprendre la main, et la conscience de la dégradation de notre environnement peut être le déclencheur ; comme la dégradation de nos conditions de travail ou de notre patrimoine national (service public, contrat républicain, patrimoine culturel, naturel, humain) peuvent l’être aussi.

Conciliants, nous l’avons été bien assez, il est temps maintenant de redevenir un peuple, libre de ses choix.