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  Science et société : je t’aime moi non plus.

vendredi 7 octobre 2011, par François Saint Pierre

Le lien entre connaissance et société remonte très loin dans l’histoire de l’humanité. Chez les grecs la rhétorique était une discipline très importante et l’opinion commune devait se construire par l’échange d’arguments rationnels. La science moderne, les droits de l’homme et le retour des concepts démocratiques et républicains ont connu un essor simultané après la Renaissance, notamment pendant le siècle des lumières avec la montée en puissance du concept d’expérimentation. Depuis, respectant les convictions religieuses de chacun, mais en les excluant du champ de la décision politique, le débat public s’organise sur l’acceptation d’un universalisme des causes matérielles qui influent sur la condition humaine.

Si la science est au cœur de la démarche démocratique, un de ses principaux moteurs est l’efficacité économique. L’humanité, il y a bien longtemps, a commencé à utiliser le langage pour coopérer efficacement et développer des outils techniques. "Nous rendre comme maître et possesseur de la nature" est le projet implicite d’homo sapiens. La science et la technique sont en charge de mettre en œuvre l’émancipation des êtres humains des contraintes matérielles et sociales. Le hasard a toujours sa place dans l’innovation, et la formalisation scientifique est loin d’être toujours première dans le processus. La technoscience actuelle, bien loin des balbutiements du début est devenue un conglomérat complexe dont les éléments de base sont des chercheurs et des ingénieurs, mais qui est en bonne partie pilotée par des managers au service de la finance. La maîtrise de l’énergie a eu un rôle important dans cette histoire. La fin du Moyen-âge a vu la montée en puissance de cette maîtrise avec l’exploitation intensive des premières mines de charbon. Cela a débouché sur un important développement des techniques et plus tard sur la naissance du capitalisme industriel. L’exploitation massive du pétrole à partir du 19ème siècle a accéléré considérablement la croissance économique. Au 20ème siècle la société de production/consommation s’installait dans une auto satisfaction générale.

Le passage au 21ème siècle marque le début de la désillusion. Les énergies fossiles commencent à se tarir, le climat se dérègle, la pollution ne diminue pas, et la vie confortable pour tous est une utopie qui s’éloigne de plus en plus. Augmentation des inégalités et dégradation de la qualité de vie semblent être l’horizon actuel de nos démocraties.

"Addict" au confort, l’occident continue globalement à consommer plus qu’il ne produit. Cette situation a fait le jeu des pays émergents, en particulier de la Chine, et nous a conduits à vivre objectivement au dessus de nos moyens. Faire de la dette pour maintenir notre mode de vie ne correspond pourtant pas à la vision idéale de l’investissement productif keynésien. Si nous sommes financièrement endettés, nous le sommes aussi en termes de ressources renouvelables. Toute l’humanité est confrontée pour la première fois de son histoire à la finitude de la terre et nous laisserons aux générations futures un écosystème dégradé.

Nous avons fait comme si un système économique dont le but majeur est de fabriquer de la richesse pour une minorité, pouvait sans régulation importante améliorer le sort collectif de l’humanité. La science a accompagné sans trop d’états d’âme la belle époque du capitalisme néolibéral et même encore une bonne partie de l’élite intellectuelle que forment nos universités et grandes écoles, rêve d’aller faire fortune dans la finance.

Face à l’ampleur des difficultés qui s’amoncèlent les citoyens, comme les hommes politiques, se tournent vers les scientifiques. L’injonction est très forte. Il faut qu’ils trouvent les moyens de vivre comme avant et encore mieux si possible. La science a eu dans l’histoire des succès si brillant qu’il est normal, mais peut-être naïf, de croire qu’elle va nous sortir de l’ornière. Nouvelles sources d’énergie, nouveaux véhicules non polluants, nouveaux médicaments, ingénierie bioclimatique, etc., tout cela est attendu avec impatience.

Les français aimeraient bien que l’innovation technologique relance une production industrielle durable et compétitive par rapport aux autres pays, histoire d’éponger la dette et de réduire le chômage. Depuis la mise en place de la stratégie de Lisbonne, initiée en 2000 pour 10 ans, tous les européens sont alignés sur la même position : « faire en sorte que l’Europe devienne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » (conclusions de la présidence, Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000).

Le bilan de cet agenda est globalement médiocre, mais relativement contrasté. Par exemple, les entreprises allemandes investissent nettement plus que les françaises dans la recherche et un docteur scientifique aura des revenus bien supérieurs à ceux qu’il peut espérer en France, autant dans le public que dans le privé. Cela a permis à l’Allemagne de garder une forte capacité d’innovation dans le secteur industriel et de rester mondialement compétitive. Siemens et les nombreuses PME allemandes, avec l’abandon du nucléaire, peuvent envisager avec sérénité de conquérir le marché des énergies renouvelables. Cependant, dans un contexte démographique difficile, l’Allemagne peine aussi à former les élites scientifiques de demain. En France la fin prévisible de pans entiers du secteur industriel ne s’est pas accompagnée de la naissance d’une économie verte, ni d’une économie de la connaissance. Les politiques français se sont pourtant unanimement ralliés à la stratégie de Lisbonne. Recherche, société de la connaissance, développement des PME innovantes, réindustrialisation compétitive, les mots et les concepts ont été entendus et réentendus. La droite convaincue que c’est le capital financier qui prime, a cru qu’il suffisait de distribuer quelques milliards a ceux qui lui paraissaient les plus compétitifs pour relancer les découvertes scientifiques et ainsi dynamiser l’innovation dans les entreprises. La réussite médiatique de la réforme des universités ne s’appuie sur aucune évaluation sérieuse et s’apparente à la méthode Coué. L’autonomie des universités est dans la logique du moment, mais n’est certainement pas la réponse principale à apporter à l’affaiblissement relatif de la science française.

Les propositions socialistes ont essentiellement pour but d’atténuer les dérives néolibérales du gouvernement actuel. Moins de compétition, plus de confiance envers les chercheurs et de justice sociale à l’université, un peu plus d’argent public pour la recherche institutionnelle, sont les axes principaux de leur projet. Le statut de l’étudiant n’est abordé qu’à travers l’aide aux plus pauvres et les faibles revenus de nos élites scientifiques ne sont pris en compte que dans le début de carrière. On peut d’ailleurs cruellement rappeler que le gouvernement Jospin avait refusé d’augmenter l’allocation de recherche des doctorants, qui était pourtant à l’époque notoirement insuffisante. Ce projet passe sous silence la baisse des effectifs dans les filières scientifiques qu’il faut mettre en relation avec la désindustrialisation de notre pays et le statut dévalorisé des scientifiques par rapports aux élites administratives ou managériales. La reconnaissance des doctorats dans les conventions collectives, l’amélioration du statut des chercheurs ou l’investissement dans les filières de formation scientifique sont des urgences qu’aucun parti politique ne semble décidé à promouvoir. La recherche, tant du point de vue de la concurrence que de la coopération, s’est depuis quelques années fortement mondialisée, ces nouvelles conditions de la recherche doivent conduire à adapter rapidement le cadre légal de tout le secteur, mais il est tout aussi important de trouver des moyens importants de financement, y compris pour les projets qui s’inscrivent dans une logique de long terme. La critique, souvent légitime, des critères internationaux d’évaluation ne doit pas nous faire renoncer à participer aux collaborations internationales qui sont soumises à cette ambiance de compétition.

La demande d’une science performante et durable cache certainement des ambigüités profondes. Le progrès n’a plus le vent en poupe, comme dans le temps, et l’énarque ou le responsable politique trouvent très normal de gagner le double ou le triple d’un scientifique mondialement réputé. Toute la société a déconsidéré le scientifique et lui préfère le sportif, l’artiste, le trader ou le manager. Même Terra Nova, le "think tank" du PS, préfère critiquer les grandes écoles républicaines issues de la Révolution, comme Polytechnique ou Normale sup, que l’ENA ou HEC. Vue de droite, la méritocratie scientifique n’est plus la voie royale pour faire de l’argent, vue de gauche elle est présentée comme le prototype de l’inégalité sociale dans la formation des élites.

Les générations qui sont nées après la guerre de 39/45 ont cru que les sciences et les techniques permettraient de construire une utopie productiviste et consommatoire. Après des succès certains, notre société est confrontée à des défis énormes. La décroissance pointe le bout de son nez, pas tellement sous l’aspect idéologique qui est assez marginal, mais sous la forme de la récession économique. Le protectionnisme, que l’économie de marché avait refoulé de notre conscience politique, revient sous la forme de la démondialisation sur le devant de la scène. Fukushima, gaz de schiste, Erika, Deepwater horizon, pesticides, abeilles, effet de serre, médiator, AZF, etc..L’utopie moderniste est fatiguée, repli sur soi et nostalgie de l’ancien temps sont de nouveau à la mode.

Au moment où il faudrait plus d’intelligence, plus de lucidité, plus de science, le peuple est obsédé par son présent, pas toujours rose il est vrai, et les élites, par l’argent à faire fructifier. Entre les deux, nos responsables politiques, experts en communication, savent qu’il est de bon ton d’implorer le secours de la science, mais ils ne semblent pas vraiment eux-mêmes convaincus, tellement ce monde leur est étranger. La prise de conscience des difficultés est pourtant bien là. Après une période où la science appliquée a été essentiellement le moteur de la croissance de la production industrielle, la recherche doit se tourner vers l’amélioration des biens publics mondiaux, comme le climat, la biodiversité, la qualité de l’eau et de l’air ou l’organisation sociale. Faire de la "science verte" demande de valoriser les biens publics, ce qui jusqu’à présent n’a quasiment pas été fait dans notre société de marché, qui ne pense qu’à produire des biens de consommations pour les individus.

Si le peuple apprécie encore le scientifique, il doute de la "science appliquée" qui a été un peu trop au service du capital et pas assez au service de la société. Espérons que ce doute sera à l’origine d’une prise en charge plus importante par la science de l’intérêt général. Dans le temps les livres d’histoire présentaient les grands savants comme des bienfaiteurs de l’humanité. Sur ce point, au moins, cette nouvelle orientation de la recherche pourra résoudre l’éternelle tension entre les conservateurs nostalgiques du passé et ceux qui sont convaincus que la science, fer de lance de la modernité, nous conduit toujours vers un avenir meilleur.