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  Le maire et le citoyen à l’épreuve de la complexité intercommunale.

Apprentissages communautaires et participation des élus de l’agglomération toulousaine

lundi 9 mai 2011, par Lilian Loubet

Territoire de l’interstice mais aussi territoire englobant, l’intercommunalité est une solution complexe. A mesure qu’elle résout des problématiques, elle en introduit de nouvelles. A travers l’exemple de trois communautés de l’agglomération toulousaine (les communautés d’agglomération du Sicoval, du muretain et la communauté urbaine du Grand Toulouse) il s’agira de questionner le rôle des politiques territoriales et la difficulté de l’action des élus dans une société « complexe ». L’ensemble des maires de ces trois EPCI ont été interrogés à cette occasion.

Il apparait que du modèle de coopération et de la nature du projet collectif dépend la dynamique du territoire communautaire. Nous avons observé également que la coopération intercommunale participe à changer les représentations et le regard des maires sur leurs communes. Elle les aide à appréhender des enjeux sociétaux dépassant le périmètre communal. Lorsque le maire augmente son expertise, lorsqu’il interroge (souvent de manière inconsciente) sa territorialité, son regard sur le développement des territoires communal et communautaire change. Ce changement s’opère au sein d’un apprentissage long et difficile corrélant variables personnelles, institutionnelles et gouvernementales. D’un autre coté, la convocation de questions vives (étalement urbain, transports collectifs, développement économique…) dans l’action publique n’est pas sans effets sur la construction d’un territoire et d’une organisation intercommunale à la recherche d’une maturité collective. Durant cette étape il ne s’agit pas de supprimer les conflits, mais de profiter des « tensions créatrices » (OFFNER J-M., 2006) autour de ces questions d’aménagement.

Ces territoires se positionnent aujourd’hui au cœur de la réforme des collectivités territoriales et les éléments dépeints précédemment peuvent participer à l’éclairer sous un angle différent. Le déficit d’expertise de certains élus prive l’organisation d’une partie importante de ses forces. Le cas de l’agglomération toulousaine illustre combien l’apprentissage de la complexité apparait au centre des mécanismes de construction intercommunale, comment la sélection des élus dans les sphères décisionnelles dépend de leurs capacités à évoluer dans cet environnement complexe. Nous verrons que l’appréhension des enjeux communautaires et la participation aux décisions nécessitent une maîtrise organisationnelle et institutionnelle, que diverses logiques définissent les mécanismes de sélections au sein des organes décisionnaires (l’expertise, l’adhésion au référentiel communautaire, la dilation de la territorialité, l’appartenance politique).

Dès lors, processus d’apprentissage et processus décisionnel s’interpénètrent. Le degré de participation de l’élu à la décision détermine son apprentissage intercommunal et inversement la participation à la décision communautaire est conditionnée par son niveau d’apprentissage. Dans ce contexte, certains maires semblent condamnés à demeurer en retrait des dispositifs décisionnels, enfermés dans ce « cercle vicieux » où pour participer ils doivent opérer des apprentissages que seule une participation effective est en mesure de leurs transmettre.

Le manque de participation d’une grande partie des élus, justifié (selon les leaders) en autre par un manque d’expertise ou une compréhension lacunaire des mécanismes et enjeux intercommunaux, constitue un frein à la coopération. Dans ce contexte l’organisation intercommunale se présente telle une mécanique à plusieurs vitesses, une machine discriminante où acculturés (experts), en voie d’acculturation et « réticents » se côtoient.

Leviers de changements et implication citoyenne ?

Le déficit d’expertise de certains élus prive l’organisation d’une partie importante de ses forces. Accroître l’expertise technique et territoriale des maires pourrait constituer un premier levier du changement. Il s’agit bien de la formation des maires en général, à l’intercommunalité en particulier.

Si l’on augmente la capacité à décider des maires, il convient aussi de réinterroger le système décisionnel. Nombre de rapports ou articles scientifiques traitant de l’intercommunalité évoquent un manque de légitimité démocratique du fait de l’absence d’élection directe des représentants communautaires. La dernière réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 semble pallier ce déficit en proposant d’élire les délégués communautaires dans le cadre de l’élection municipale au suffrage universel direct… Si ce changement apparaît majeur, réassurant le sentiment démocratique, suffit-il à modifier la mécanique décisionnelle intercommunale ? L’étude des intercommunalités toulousaines montre que les conseils communautaires, où siègent les représentants communautaires, forment le plus souvent des chambres d’enregistrements d’une décision prise dans des cercles plus restreints et sélectifs. La réforme du mode d’élection des délégués communautaires modifiera-t-elle ce système gouvernemental ? De plus, que penser du vote d’une population identifiée par la quasi-totalité des maires interrogés comme « ignorante voire désintéressée par la chose intercommunale » ? Si inciter les habitants à décider accélère leurs apprentissages à l’intercommunalité, un effort d’information parait nécessaire. Dans ce cadre le maire a un rôle important à jouer. Mais est-ce dans son intérêt ?

Les réformes territoriales et fiscales, la disparition de la taxe professionnelle auront beau modifier la nature des ressources et des institutions, les acteurs locaux se confronteront toujours aux défis de la coopération territorialisée (reconstruction identitaire, régulation politique, ingénierie territoriale). Il s’agit là du véritable enjeu, parachever cet espace intercommunal qui pour nombre d’élus et de citoyens n’est pas encore territoire.

Lilian LOUBET Géographe-Aménageur (LISST-Cieu)