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  Peut-on encore espérer sauver le climat, et la démocratie ?

dimanche 3 avril 2011, par Freddy Le Saux, Thierry Caminel

Alors que la catastrophe de Fukushima aurait dû être le point de départ d’une remise en cause de notre modèle de croissance basé sur l’énergie abondante, on constate partout dans le monde l’accélération de développement des énergies fossiles, essentiellement gaz et charbon.

Aux États-Unis par exemple, Obama vient d’autoriser de très importante augmentations de la production de charbon et la reprise de l’off-shore dans le golfe du Mexique [1]. Le Japon prévoit, pour se substituer au nucléaire, d’importer du gaz russe et du charbon chinois . L’Europe, elle, va importer toujours plus de gaz russe et de la Caspienne, notamment grâce aux nouveaux gazoducs et à cause de la libéralisation du marché de l’énergie [2]. Partout dans le monde c’est la ruée sur les dernières réserves, par exemple en Arctique, rendu exploitable grâce à l’accélération rapide de la fonte des glaces, ou sur les gaz de schistes.

Oubliés, les débats sur l’urgence climatique et les bons sentiments. Continuons "business as usual", avec l’illusion de croissance basée sur l’exploitation de la planète. Tant que ça dure.

Certes on promet le développement des énergies renouvelables, de "green techs", on évoque une "transition énergétique". Vu les ordres de grandeur, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Car tant que nous aurons besoin d’autant d’énergie bon marché pour nous déplacer, nous chauffer et nous nourrir, il n’y aura pas de bonnes solutions. Ce n’est pas seulement le type d’énergie qui est le problème, c’est la quantité. Nous faisons le chemin à l’envers en accompagnant l’éolien et le photovoltaïque, en débattant sur les gaz de schistes, en s’inquiétant s’il faut sortir du nucléaire maintenant ou dans vingt ans.

Tous les scénarios sérieux montrent que les solutions résident dans la sobriété, des changements de comportements , une organisation différente de la société, une économie relocalisée, qui sont les seuls gisements d’économies d’énergies capables de jouer sur les ordres de grandeur du chemin que nous avons à parcourir. Tout le reste se perd dans un puits sans fond. [3]

Pour combler ce puits, il faut changer d’imaginaire, c’est-à-dire changer de civilisation. La crise écologique est déjà là, et c’est elle qui est à l’origine de la crise économique, parce que l’économie actuelle a besoin d’un monde infini pour s’épanouir. Nous avons dépassé les capacités de cette planète depuis longtemps et on regarde ailleurs. Chacun s’occupe de son nouveau petit business, qui du photovoltaïque, qui des gaz de schistes, qui de son EPR, qui de son CSC, qui de sa solution technologique, même si chacun sait très bien que là n’est pas la solution. Changer la forme, pour ne pas changer le fond.

La crise économique va entrainer la crise politique, parce qu’il n’y a plus de bonne solution pour répondre à notre imaginaire actuel. Et l’actualité française augure d’un avenir sombre [4]. La crise économique et les chocs pétroliers réduiront également, considérablement, nos moyens d’intervention. Sans moyen, dans nos économies libérales endettées, la pente naturelle va vers le repli sur soi, les solutions les moins chères et les plus polluantes.

A ne pas parler vrai, on se prépare des lendemains sombres. Le parler-vrai, c’est que nous vivons au-dessus des moyens de la planète, nous devons changer de mode de vie. Nous devons accepter la finitude de la planète, notamment des énergies fossiles. L’intelligence collective doit nous permettre de construire un monde socialement et écologiquement viable, la persistance à s’occuper des problèmes secondaires nous ramènera plus sûrement à la bougie.

Le parler-vrai, c’est dire que pour arrêter le nucléaire, stabiliser d’urgence la température de la terre, réduire les conséquences des pénuries de pétrole, la seule réelle marge de manœuvre est la sobriété dans les pays développés. Seule la décroissance rapide des consommations énergétiques permettra d’éviter "la peste et le choléra".

Un tel plan de descente énergétique doit être au centre d’un programme écologique. Il n’y a que 2 solutions connues : l’augmentation continue du prix de l’énergie, et les quotas d’énergie individuels [5].

Les quotas ont l’avantage que tout le monde est à la même enseigne, tout un chacun a un droit égal à l’énergie, même quand celle-ci viendra à manquer, et on a la garantie de satisfaire les objectifs de réduction. Les Anglais travaillent sur le sujet depuis 10 ans, au plus haut niveau, y compris parlementaire, et estiment que c’est le système qui a le plus de chance d’être accepté socialement. Il n’y a pas problème majeur d’un point de vue technique, économique, législatif.

On peut on discuter pour l’améliorer, ou trouver autre chose. Beaucoup de travail reste notamment à faire pour imaginer une démocratie écologique, satisfaisant aux besoins de nos enfants et reconsidérant ce qui nous apparaît comme acquis. L’important est de discuter sans détour des moyens pour rendre désirable une société sobre, refonder notre sens du bien commun, rendre résiliente d’urgence notre société trop dépendante à l’énergie [6]. Rester dans le déni alimente la frustration croissante des citoyens, mettant en péril la démocratie.

Parlons vrai, parlons de sobriété énergétique avant de parler de transition énergétique, remettons les bœufs devant la charrue.

- Thierry Caminel, Freddy Le Saux.

Notes et réf : [1] Voir par exemple : http://www.grist.org/article/2011-0...

[2] Rappelons à ce sujet que le gaz naturel n’a rien de ’propre’. Son exploitation favorise les guerres, le maintien des régimes totalitaires et les mafias. Les fuites dans les gazoducs, inévitables, le rendent probablement aussi nocif pour le climat que le pétrole. Le gaz pouvant être produit localement ("de schiste") provoque lui des dégâts environnementaux considérables.
- Le chantier du gazoduc Nord Stream alimentant l’Allemagne en gaz russe a démarré : http://fr.rian.ru/business/20110304...
- Sur la ruée vers le gaz de schistes : http://petrole.blog.lemonde.fr/2011...

[3] On ne peut notamment pas trop compter sur l’amélioration de l’efficacité, limitée par plein de facteurs. Ainsi la séquestration carbone est difficilement défendable, les smart grids, l’interconnections des réseaux et toutes les technologies qui ne jouent qu’à la marge, ont leurs limites, souvent sous-estimées (acceptation sociale, investissements, matériaux, effet rebond, EROI, contraintes géopolitique, ... ). Lire par ex : http://www.carbone4.com/fr/actualit...

- L’intensité énergétique dans le monde (l’efficacité énergétique) ne s’améliore que de 1 % par an. Lire à ce sujet les analyses de Tim Jackson : http://www.ted.com/talks/tim_jackso... (video en VOST)
- Concernant les scénarios "facteur 4 et 100% EnR", tous à notre connaissance requièrent une augmentation des consommations de gaz et/ou des solutions technologiques inexistantes à ce jour ou discutables, et aucun ne s’inscrit dans un monde en crise économique.

[4] Lire à ce sujet : http://www.lesechos.fr/opinions/poi...

[5] Voir http://decroissance.blog.lemonde.fr...

[6] http://villesentransition.net/ ; ...