Le Café Politique

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  Compte-rendu : "Bilan social et politique d’une mobilisation exceptionnelle"

samedi 29 janvier 2011, par Annie-Claude Verchère

Les réflexions proposées lors de ce café politique ont pour objet les mouvements sociaux pendant les débats parlementaires sur la réforme des retraites, les tensions sociales qu’ils traduisent, les questions qu’ils posent.

Quelle analyse sociale, syndicale, politique ? la position des jeunes, une question générationnelle ? quelle suites ? quelle influence des pays émergents, quelle concurrence économique et sociale ? quelle partage des richesses ?

En réponse , les interventions ont porté sur les conditions de travail et de salaire des salariés, l’externalisation des missions, le tissu économique, le client-roi, les PME, le profit et le PIB, la mondialisation, et aussi le régime parlementaire, la démocratie, la légitimité des représentations, pour conclure sur l’importance des contre-pouvoirs.

Cette soirée a bénéficié de la présence de Nicolas Séné, journaliste indépendant spécialisé dans les questions sociales, il vient de publier une enquête sur les conditions de travail dans l’informatique « Derrière l’écran de la révolution sociale (ResPublica Edition). Il démontre, exemples vécus à l’appui, comment les cadres des SSII sombrent d’année en année dans un marasme professionnel, moral et personnel de plus en plus profond. Un malaise nouveau, typique du capitalisme actuel, dont personne ne semble avoir encore pris la mesure.

Intervention de Nicolas Séné, journaliste, faisant part de ce travail auprès d’ingénieurs en informatique (bac + 5) et de son analyse sur les conséquences de la sous-traitance sur ces travailleurs. Ces ingénieurs sont des salariés des SSII sociétés d’ économie high-tech ; à partir des résultats de son enquête sur la précarisation de ces cadres, il dénonce la mise en régie des salariés, illégale, et la gestion des ressources humaines qui reposent sur des commerciaux – « les marchands de viande » , mais aussi le turn-over hallucinant, la rentabilité à tous crins pour répondre aux clients.

L’« intercontrat ».

Ces ingénieurs au travail constitue un laboratoire sociale pour le patronat, il sont placés chez le client par les commerciaux : Nicolas SENE dénonce cette gestion d’ingénieurs par ces commerciaux (des bac +2 , et +4) ; si d’autres clients se manifestent pour un même problème, l’ingénieur se retrouve avec une tâche de travail augmenté, des urgences à gérer pour deux clients (notion d’intercontrat)... externalisé chez un des clients....stress, conditions de travail difficile... De même, d’autres situations doivent nous préoccuper :
-  Le statut d’auto-entrepreneur, la personne quitte son statut de salarié « protégé » pour devenir son patron, et donc sous-traitant d’autres structures
-  Les CDI de chantier créé sur 2-3 ans
-  Le souhait de licenciement pour inadaptation du marché

Première partie du débat :

- Première réaction : les sociétés en informatique ont toujours travaillé par mise à disposition, des lois ont essayé d’encadrer le travail temporaire.

- Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le sentiment de domination ; les conditions de travail et de salaire sont à prendre ou à laisser ; si l’entreprise veut rester concurrentielle dans ce contexte de mondialisation, elle doit se battre. Quelles réponses ? baisser les impôts, baisser les coûts, et si ce n’est pas possible, baisser le niveau de protection sociale, augmenter l’âge de la retraite ; et ce discours apparait comme le seul discours de vérité. C’est un discours libéral. D’autres positions :
-  libéro-sociale : mettre en place des systèmes pour « la casse »
-  de gauche « classique » : ajouter des contraintes dans le droit du travail
-  de « droite anti-mondialisation » : se recentrer chez nous, avec un espace de solidarité dans la nation.
-  altermondialiste : nous sommes dans une société de productivité, de consommation, et non de répartition des richesses.

Les sociétés de prestations de service existent, ce n’est pas récent, mais ce qui est nouveau, c’est le statut de client. Le client a toutes les informations, leur accès est facilité par les réseaux de communication (internet), il est très exigeant, il cherche le prix le moins cher, compétitif ; et donc l’entreprise doit d’adapter en permanence pour être compétitive dans un environnement « mouvant ».

- La commission européenne a constaté dans un rapport « Europe et emploi » en 2007 que l’on a perdu 10 points de salaire par rapport au PIB depuis 1982, soit un glissement de 200 milliards, de quoi financer les retraites ... En 1982, les profits étaient relativement bas , ils sont passés de 4 à 8% du PIB, ce déplacement est allé aux finances, aux banques, aux milliardaires ; des couches sociales moyennes ont été paupérisées (8% sont tombés dans l’extrême pauvreté) au profit de 1% de la population, une infime minorité. D’autres rapports entre classes sociales sont à définir.

- Le client est « roi », mais avec certaines règles commerciales. La mondialisation a aussi des outils pour contrôler des flux des affaires :OMC, ONU, ... pour réguler les échanges entre les pays. Il existe des institutions nationales et supranationales qui doivent se donner des règles adaptées à l’arrivée des pays émergents.

Deuxième intervention de Nicolas SENE, posant des questions : Sur l’aspect réglementaire, différences entre le public et le privé, différence entre l’intérim et la sous-traitance Un salarié « mis en régie » : dans quel local ? pour qui ? pour un ou deux contrats de la société vendus par un seul commercial ? Le commercial doit placer son portefeuille dans la négation de l’humain. L’homme doit pouvoir s’épanouir dans le travail mais aussi en tant que citoyen et dans sa famille. Ces sociétés privées peuvent-elles redevenir publiques avec des règles sociales respectueuses de la personne ? Quel rapport de force dans le monde du travail ? il y a nécessité de diffuser l’information, d’organiser des débats.

Deuxième partie du débat :

- Le salarié est mis dans des situations de plus en plus précaires, les revendications avec les manifestations dans la rue sont fortes, quelles suites ? existe-t-il un sentiment de fatalité ? des clients sont-ils plus « roi » que d’autres ?

- Réflexion sur notre régime parlementaire et la force des citoyens : en France, à cause de la constitution de la 5° république, le Président décide, quelque soit le nombre de manifestations. En Angleterre, le Premier Ministre ne décide pas seul ; en Suisse, il existe des référendums d’initiative populaire. En France, les salariés acceptent ce régime, les syndicats sont en position de faiblesse ; il existe un déficit démocratique, les gens doivent accaparer les problèmes, par exemple en donnant une force aux associations au contact avec les citoyens. Ce point sera complété par une autre intervention : il existe deux légitimité, celle des urnes, celle de la rue. Le dernier mot doit appartenir au peuple, quand ? dans la rue, dans les urnes ? Quels systèmes de référendum en Europe ? En 2008, l’article 11 de la constitution concerne la mise en place d’un référendum d’initiative parlementaire (1/4 du Parlement) et populaire (10%), mais la loi organique n’a pas encore été votée, et des études montrent que la mise en place de ce référendum n’est pas réalisable si un collectif de plus de 5% est exigé. En Italie, 500 000 signatures suffisent pour avoir un référendum d’initiative populaire. Concernant les élections, est-ce normal qu’il n’y ait qu’une élection présidentielle tous les 5 ans, sans remise en cause en milieu de mandat comme aux Etats Unis. Quelle légitimité a le pouvoir actuel en se référant aux élections européennes « 28% de 50% des votants pour l’UMP, soit 14%) et aux élections cantonales avec 55% d’abstentions (17% pour l’UMP au second tour) Quelle légitimité pour l’Assemblée Nationale ? non représentative de l’ensemble du corps électoral (abstentions), et des catégories socioprofessionnelles ( les salariés = 51% de la population et 1% au Parlement) Des demandes sont exprimées : pas de cumul de mandat, deux mandats maximum, pour avoir un renouvellement des politiques, des projets qui font rêver, et donnent envie de voter. Convaincre pour gouverner, c’est possible si les décisions sont équitables pour une majorité de citoyens

Débat sur l’externalisation des fonctions répétitives, mais aussi d’autres tâches avec transfert de technologies, ce qui entraîne des pertes de compétence en France. Ainsi, le logiciel a été une spécialité française, avant l’arrivée de concurrence avec l’Inde...

Dans notre tissu économique, un très petit nombre d’entreprise sont concernées par les dividendes très importants, ce sont celles du CAC40. Plus de 98% ont moins de 50 salariés et font la richesse de notre pays, leurs patrons ont pris et prennent des risques dans le contexte économique actuel. Notre pays est un pays où il fit bon vivre, nous devons avoir conscience de nos atouts.

Quel bilan des manifestations ? Les syndicats en sont-ils sortis plus renforcés ?

Quel système de retraite ? Le service à la carte : les pays nordiques ont mis 10 ans pour le mettre en place, avec un certain consensus social ; il faut se donner le temps de construire un système. Les réformes en Allemagne s’étalent jusqu’en 2028 pour arriver à un âge de départ à la retraite à 67 ans, soumis à condition dans le contrat social passé avec les syndicats. Ce débat concerne tout le monde, avec mise à plat des différentes thématiques, répartition des richesses, augmentation des cotisations ? capacité à créer de la richesse ? retraite par point ? (il faut réfléchir à la valeur du point au moment où l’on arrive à la retraite). Ce calendrier de 8 mois en France pour un dialogue sociale sur cette réforme des retraites est trop court pour aller au fond des sujets. Les débats « citoyens » continuent, dans plusieurs collectifs en interprofessionnel.

Les financements des retraites : La Cour des Comptes a rendu un rapport le 8 septembre 2010, complétant les rapports annuels des trois dernières années sur l’incidence de plusieurs réductions de niches fiscales, et le suivi des recommandations dites sur les niches sociales dont les niches fiscales des entreprises, ces mesures pourraient servir à financer une partie du déficit des caisses de retraite. A l’horizon de 2020, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) évalue le besoin de financement du système de retraite entre 40 et 49 milliards d’euros , il faut en récupérer 30 actuellement.

Sur le plan économique : Le tissu social des entreprises en France a permis de résister à la crise financière, cependant la compétition internationale reste et il manque une régulation sociale ; le secteur alternatif est peu audible et manque de crédibilité, ceci est étonnant. Notre compétitivité internationale n’est pas si brillante, la Chine cherche des sous-traitants en France. Nous devons savoir nous battre pour un monde plus juste sur le long terme, être concurrentiel avec prise en compte des valeurs : les allemands respectent mieux leurs travailleurs, leurs ingénieurs (salaires...)

Autre intervention de Nicolas SENE Les PME deviennent des sous-traitants de la grande distribution, elles ne participent plus ou peu à l’innovation. Nous devons rechercher des financements plus justes, la suppression du bouclier fiscale et de l’ISF, taxer la production du patrimoine . Nous pouvons nous inspirer des objectifs du Conseil National de la Résistance, la collectivité doit aider ceux qui sont au bord du chemin. Or, les réformes tendent vers la privatisation, et s’attaquent aux acquis sociaux comme un rouleau-compresseur.

La mondialisation Dans la décennie 1980, il y a une libéralisation des capitaux avec exportation vers les pays émergeant. Des entreprises produisent comme en Chine, et font des bénéfices au détriment d’ une main d’œuvre exploité, les groupes internationaux en sont les gagnants . Il y a nécessité de réguler ces systèmes de délocalisation vers les pays à bas salaire, de mieux respecter les avantages mutuels gagnant-gagnant. Les chinois sortent d’une vrai misère. La Bolivie, en émergence, vote un âge de retraite à 58 ans ( 63 actuellement). Un objectif pourrait être la scolarisation de tous les enfants de moins de 16 ans dans le monde :cela équivaudrait au budget des crèmes glacées en Europe. Le modèle de la mondialisation est très injuste, quand il y a des licenciements, les actions montent ! Il faut décortiquer les textes, faire un constat sur lequel on pourrait être d’accord et trouver des solutions alternatives.

En Europe, il n’y a pas d’institution autre que celle du traité européen, la règle est donc la liberté du Marché ! L’Europe joue son rôle quand elle intervient pour la Grèce endettée, ou pour l’Irlande, des règles sont être respectées pour réduire les dettes des pays européens . La Chine vient d’acheter le port du Pirée et une partie de la dette de la Grèce, c’est une entrée importante en Europe. Le chômage est un élément structurel de l’économie, la société « va bien » s’il y a un gros volant de chômeurs, 5% de chômeurs en France équivaut à 2 millions de chômeurs ! Le plein emploi correspond à 4,5% de chômage. Le taux en Angleterre est de 3,5%. Il manque des règlements, des institutions dans le territoire de l’Union Européenne.

Nous sommes dans un monde en mouvement, compétitif avec une grande rapidité des échanges, basé sur un libéralisme, même un ultra libéralisme ; notre modèle d’efficacité économique est basé sur la compétitivité, or l’Histoire montre que l’on s’est trompé ; les bonnes structures sont celles équilibrées avec des contre-pouvoirs, nous traversons plusieurs crises, en partie par manque de contre-pouvoirs. La compétitivité commence à l’école, notre système enseignant ne doit pas être inégalitaire.