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  Se déplacer à Toulouse

samedi 16 octobre 2010, par François Saint Pierre

Toulouse a manqué la première révolution industrielle. Au centre d’une région rurale où l’on faisait peu d’enfants par famille depuis fort longtemps et où en plus on les envoyait longtemps à l’école, Toulouse, au moment de l’émergence des technologies modernes, a su trouver la main-d’œuvre qualifiée et les terrains bons marchés nécessaires au développement économique. Université scientifique, recherche et technologies de pointe lui ont permis de devenir pendant les trente glorieuses une ville dynamique et attirante. La réussite du secteur aérospatial mais aussi le festival la Novela sont des exemples qui prouvent que Toulouse a réussi à capitaliser pour longtemps sur ce point. Le dynamisme toulousain s’est nourri sans états d’âme des compétences régionales et cela sans retour important pour la couronne de villes moyennes, seul semblait compter l’autonomisation de la ville par rapport à Paris. Tout ce développement s’est opéré dans une période où l’individualisation libérale des pratiques sociales a remplacé les vieux modèles de vie. Toulouse sans être loin de là, une mégapole, a donc suivi une logique urbaine qui s’apparente plus aux villes de la Cote Ouest des États-Unis, qu’aux grandes cités européennes du 19ème siècle.

L’urbanisme et l’organisation des déplacements ont été, pendant ces années là, pensés suivant le paradigme de la voiture comme instrument de liberté et de confort. Inutile de se tasser en ville, on pouvait investir sur des terrains peu onéreux, construire sa villa avec jardin et pour les plus fortunés avoir une piscine privée. Vingt minutes de voiture pour aller au travail et tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

L’agglomération toulousaine est ainsi devenue peu dense et consommatrice de 680 ha par an de terres agricoles. Quelques kilomètres de rocades et des milliers de places de parking ont permis de maintenir longtemps cette logique. Les bus ont assuré un service minimum pour relier les faubourgs au centre ville, ignorant par ailleurs complètement le monde du travail et le développement industrieux de l’ouest toulousain. Le tramway qui avait fonctionné depuis 1887 a été jugé archaïque et abandonné en 1957. Dans les années 1980 après de longs débats la ville optait pour le métro dans sa version moderne qu’était le VAL. Choix onéreux qui a eu l’inconvénient majeur de ponctionner presque tout l’argent disponible pour les transports publics. Du coup, la notion de réseau de transport n’a pas été développée et le pourcentage de déplacement en transport en commun est resté un des plus bas de France (19% dans la dernière enquête). Si pour les toulousains du centre ville la marche à pied est restée un moyen efficace de se déplacer, l’étalement urbain a rendu l’usage des modes doux peu adapté. De plus Toulouse a gardé pendant longtemps, dans le partage de l’espace public, la prééminence de la voiture sur tous les autres modes de déplacements. La sécurité des piétons et des cyclistes a été souvent l’argument utilisé pour favoriser l’efficacité du déplacement en voiture, ces derniers devant s’adapter, aux contraintes imposées par la circulation des automobiles. L’exemple type est celui de l’organisation des ronds-points qui augmente le flux de circulation automobile mais aussi le risque pour les deux roues et rallonge le trajet des piétons.

Dans les années 2000, la saturation du réseau routier et des parkings, la médiocrité des indicateurs sur la qualité de l’air, mais aussi la conscience naissante des enjeux énergétiques et climatiques ont fini par faire comprendre à tous la gravité de la situation. Analyse qui s’est traduite en 2007 par la volonté de la nouvelle équipe municipale de réviser le Plan de Déplacement Urbain et le Schéma de Cohérence Territorial. Au-delà des rappels habituels sur la sécurité et l’efficacité du système de transport l’objectif du PDU et du SCOT est bien de faire une métropole dynamique, mais en accord avec les principes mis en avant pendant le Grenelle de l’Environnement.

Hélas pour Toulouse, la construction du métro a entraîné une très forte dette dont le remboursement rend difficile les investissements. Dans un contexte de déprime budgétaire la plupart des maires de l’agglomération préfèrent, pour des raisons électorales, défendre des projets de courts termes et à forte visibilité sociale. Une fois posés les grands principes, qui font l’unanimité, force est de constater que la volonté politique pour les mettre en œuvre n’est pas tout à fait au rendez-vous. Si l’aspect financier bloque la plupart des projets, la question urbaine est aussi loin d’être réglée. Une ville doit être assez compacte pour avoir des transports en commun bien cadencés et rentables. Une ville diluée induit des transports en commun inefficaces et chers (un déplacement en TC à Toulouse coûte en réalité en moyenne 7 €) et rends les modes doux inadaptés en dehors du centre ville.

Difficile de changer très rapidement la conception de l’habitat individuel. Le modèle du lotissement clairsemé reste pour beaucoup de citoyen un idéal. La préservation des terres agricoles et naturelles, l’intérêt d’un maraîchage à proximité, l’effet néfaste de cet urbanisme sur les transports, sur la qualité de l’air ou sur la production de CO2 ne le préoccupe pas encore assez par rapport aux avantages individuels et familiaux qu’il pense gagner. L’augmentation du prix des carburants a un impact limité sur l’usage de la voiture. En effet économiser une demi-heure ou une heure dans les déplacements quotidiens, même si cela se paye par une bonne dose de stress et de multiples inconvénients pour la société, semble à beaucoup le meilleur choix. Par contre, la réflexion sur l’emplacement des terrains à bâtir commence à tenir compte de cette variable. Dans les questions d’habitats et de déplacements il est naturel de mettre en avant son intérêt individuel, mais si la situation collective se dégrade par notre incapacité de penser globalement et à long terme, le bilan pour chacun sera au final négatif. Les élus les plus lucides sont souvent obligés de gérer une forte contradiction entre leurs convictions et les demandes contraires à l’intérêt général de beaucoup de leurs électeurs.

Si Toulouse ne veut pas se retrouver paralysée par des embouteillages polluants et fortement pénalisants pour toute la population, il faut favoriser les déplacements autres qu’en voiture et donc investir dans des équipements pour les transports en commun, adapter la ville aux modes doux et orienter énergiquement l’urbanisation vers une architecture dense au centre et "en groseilles" à la périphérie. Si cela n’est pas mis en place, il ne restera que le choix entre supprimer énergiquement les places de stationnements et la création d’un péage urbain. Les grands principes posés et la volonté de mettre de l’argent trouvés, il faudra aussi faire des choix complexes. Le métro est très performant pas son débit et sa fréquence, mais il coûte très cher au km, le tramway est nettement moins onéreux et les services rendus sont cependant assez bons, les bus à haut niveau de service ont l’avantage indéniable de pouvoir construire, à coût relativement réduit et rapidement, un réseau conséquent. L’usage du train et son corollaire le tram/train est une piste que Toulouse commence à peine à explorer, la modernisation du réseau existant et la rénovation profonde de la gare Matabiau permettraient peut-être de réconcilier Toulouse avec le rail. Il est par contre certain qu’une excellente connaissance de l’état général du réseau de déplacements, dans tous les modes possibles, peut permettre d’optimiser l’efficacité du système et aider en direct le citoyen à faire un choix adapté à ses besoins.

Les arbitrages concrets au-delà des questions de principe font aussi intervenir une logique d’équilibre entre le centre et la périphérie et entre les quartiers ou les diverses communes de l’agglomération. En situation de pénurie beaucoup pensent, avec raison, qu’il est légitime d’investir là où ils se trouvent et rêvent d’avoir un équipement de transport public efficace devant leur porte. Les tensions actuelles entre le Sicoval et le reste de l’agglomération en sont l’exemple caricatural.

Le SCOT et le PDU ne sont pas encore adoptés, après une période optimiste, la tendance actuelle est plutôt à une révision à la baisse des objectifs. La phase enquête publique doit bientôt commencer pour le SCOT, le PDU pourtant arrêté par la délibération du Conseil Syndical de Tisseo du 10 juillet 2009 semble s’être enlisé dans les sables mouvants de la politique locale. Il faut donc peser jusqu’au bout sur ces textes pour leur redonner un peu d’ambition.

Participer sur ce sujet au débat démocratique peut se faire, soit à titre individuel, soit en tant qu’association de bien des manières. Si la participation aux instances de négociations est utile, il ne faut pas sous estimer les actions de résistances ponctuelles. Ces dernières mettent en avant les contradictions des choix effectués et obligent les responsables politiques à s’interroger ; la peur du désaveu de l’électeur potentiel reste encore le principal moteur des choix en politique. Depuis 1997, le Collectif PDU regroupe à Toulouse toutes les associations qui s’intéressent à ce sujet. Après avoir été ignorées pendant des années, les convictions soutenues par ce collectif commencent à être un peu entendues sur tous les dossiers. Le Collectif a servi de caisse de résonance à quelques luttes symboliques comme la Liaison Multimodale Sud Est, la Voie du Canal de Saint Martory, ou l’abattage des platanes de la RN88. Certes quelques satisfactions, mais beaucoup d’inquiétudes et de nombreux combats à mener pour que Toulouse s’intègre harmonieusement dans les nouvelles contraintes liées à la disparition programmée des énergies fossiles, et aux enjeux du dérèglement climatique tout en devenant une métropole agréable à vivre.