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  Art, société et politique

dimanche 6 juin 2010, par Thérèse Bosc

Vaste sujet dont les différentes pistes de réflexion sont données en préambule par François Saint Pierre dans sa présentation, le débat s’ouvrant tout naturellement sur le rapport marchand existant entre la société actuelle et l’œuvre créatrice. Plus précisément encore, sur l’influence exercée par la société en général, sur l’art et le travail des créateurs, même si la composante économique est souvent la plus contraignante et la plus pernicieuse. Et par là même, sur une démarche politique, au sens noble du terme.

Bien des auteurs compétents et autorisés ont traité ce sujet. Ne citons que l’ouvrage récent de Pierre-Michel Menger : « Le travail créateur, s’accomplir dans l’incertain » (Gallimard Seuil - Hautes études). N’ayant fait aucune recherche approfondie sur le sujet, je me contenterai de parler de ce que je connais, ce que je ressens et les questions que je me pose sur ma propre liberté d’expression dans ma modeste pratique personnelle.

Je connais surtout le domaine de la peinture dans lequel j’essaie de m’exprimer depuis quelques années. Mon propos concernera donc toujours les réflexions qui sont les miennes dans ma propre pratique en tant que peintre.

D’abord, qu’est ce qu’un artiste ? Je laisse la définition du dictionnaire. Pour moi, l’artiste est celui qui s’engage dans la création, dans une expression personnelle entièrement inédite. Deux pistes de réflexion s’ouvrent à moi : I, l’artiste agissant sur la société, II, l’artiste manipulé par la société.

I- L’artiste agissant ou croyant agir sur la société.

L’acte créateur est dû, chez un artiste sincère, à un immense besoin de dire, de montrer. Il est avide de rencontres émotionnelles avec le public, car il est entendu pour moi, que la création, pour exister vraiment, doit aller jusqu’à la monstration. (cf. Didier Anzieu dans « le corps de l’œuvre » NRF Gallimard). L’artiste a besoin dans un grand nombre de cas, de faire part de sa sensibilité, de ses émotions, parfois même de sa colère, intime ou d’ordre social, humanitaire ou politique, souhaitant peut- être, dans ce dernier cas, susciter des réactions dans son public, voire sur la société qu’il aimerait modifier, surtout s’il est un artiste connu. (Picasso, Goya et bien d’autres en sont des exemples.)

L’œuvre produite peut aussi vouloir, soit témoigner, soit choquer, dans un but esthétique, pour créer une nouvelle tendance ou une rupture avec les modes en cours. Il y a donc, là aussi, impact sur la société, toujours dans la mesure où l’artiste jouit d’une certaine notoriété, et où, parfois, une partie du public, pensera pouvoir tirer avantage de ces ruptures, de ces chocs, ou de ces colères. (marchands d’art, courants d’opinons…) Cela nous amène au deuxième point :

II- L’artiste « manipulé » par la société :

Pour continuer à s’exprimer, selon ma petite expérience, l’artiste a besoin de plusieurs facteurs :

1) avoir intimement le sentiment qu’il a réussi à dire ou montrer ce qu’il voulait,

2) toucher, par le biais d’une émotion, pas nécessairement esthétique, le plus grand nombre de « regardeurs »,

3) avoir les moyens matériels, donc financiers de pouvoir exercer son art.

Les deux premiers points mettent en jeu la sincérité et l’engagement de l’artiste. Si cette sincérité est réelle, le peintre ne doit aucunement céder de façon consciente à aucun critère de mode, aucun argument susceptible de flatter son ego ni d’influencer sa pratique, en vue d’une quelconque reconnaissance, d’ailleurs légitimement souhaitée. J’ajouterai qu’un doute cruel, parfois très intense, vient brouiller le regard du créateur sur la qualité et l’attrait pour les autres, de son propre travail.

Le troisième point est très lié aux deux premiers, car le peintre, comme tous les artistes, n’est le plus souvent, renseigné sur l’apparente valeur de son travail, que par les réactions de son public. Réactions d’encouragements, de contentement, de plaisir, d’émotion, que l’on a du mal à croire, tant on est en proie au doute. Pour devenir crédibles et encourager vraiment l’artiste, ces réactions doivent se transformer en une reconnaissance plus tangible, soit, bien évidemment, par l’acquisition des œuvres, contre de l’argent ou sous forme d’échange, entre artistes. Achats d’œuvres absolument nécessaires quand on ne bénéficie pas de revenus annexes conséquents. Comment vivre de son art si le manque d’une réelle notoriété favorisant l’achat ou la commande d’œuvres ne permet pas ces échanges marchands ?

Pourtant, n’a t-il jamais existé de bons peintres, inconnus ou niés par la mode ambiante du moment ? (cf. Van Gogh)

On comprend donc le dilemme dans lequel est plongé l’artiste, qui aimerait s’exprimer, librement, pour la « Beauté de l’Art ». La satisfaction d’un ego, malgré tout légitime, et celle indispensable de ses besoins, pour vivre et acheter son matériel, en font la proie toute désignée de la société qui l’entoure, par le biais des modes, et bien sûr du marché de l’art, risquant de l’entraîner à quelques compromissions et mettant à mal sa liberté d’artiste.

Comment réussir à échapper à cette pression absolument insupportable pour un créateur ? Pression qui peut même se montrer insidieuse si l’artiste est, de façon inconsciente, influencé par la mode ambiante et par l’attrait d’un gain substantiel nécessaire dans bien des cas. Ceci, dans notre société, est intimement lié.

Quelle solution ?

La solution qui vient à l’esprit est celle d’un changement de mentalité vis à vis des artistes et bien sûr d’un changement de politique visant à reconnaître les œuvres artistiques comme indispensables à l’accomplissement de toute société. Par le biais, en amont, d’une éducation publique adéquate, de qualité, et bien sûr, de la mise en place d’une politique permettant aux artistes de vivre de leur art.

Se pose un nouveau problème : quel système trouver pour ne pas aboutir à la formation d’artistes, dépendant, pour vivre et créer, d’un pouvoir politique quel qu’il soit, comme on a pu le voir à d’autres époques, dans d’autres nations ? (« Arts dégénérés », arts officiels…)

L’enjeu primordial en est la liberté de l’artiste et celle de tous les amateurs d’art, donc de l’Art lui-même.

Je ne suis pas en mesure de répondre à cela et j’attends le débat avec impatience pour avoir quelques pistes.

Thérèse BOSC, peintre de l’ART en MOUVEMENT