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  Éclairage de la crise alimentaire du début du XXIème siècle à la lumière d’un siècle d’histoire de l’agriculture française.

dimanche 8 juin 2008, par Marc Delos

Une agriculture « multifonctionnelle » jusqu’au milieu du XXème siècle.

Le rôle confié à la production agricole à l’issue de la seconde guerre mondiale, soit sur une période qui va de 1955 à 2005, a été restreint à l’alimentation des Hommes dans les pays développés, à l’exclusion de toute autre finalité.

Il s’agit d’une phase de rupture avec les 10 000 ans d’histoire agricole qui précédaient, marqués par une agriculture « multifonctionnelle » à la fois source d’aliments de base, régulièrement insuffisante et à l’origine de famines ou de disette , mais aussi source de fibres textiles utilisés pour la fabrication de cordages et des voiles sans lesquels la navigation était impossible jusqu’au milieu du XIXème siècle, ou destinées à la fabrication de tissus grossiers mais solides, qui serviront fidèlement plusieurs générations de ruraux ou de citadins .

Pour assurer ces productions, le travail en agriculture reposait sur la force du paysan puis sur la traction animale, traction animale généralisée à partir du XIXème siècle jusqu’au sortir de la seconde guerre mondiale. En 1948 seulement 100 000 tracteurs aidaient les agriculteurs dans leurs tâches. Ils seront 10 fois plus nombreux 30 ans plus tard. Des tracteurs plus nombreux, plus efficaces, plus polyvalents, ont remplacé les 3 millions de chevaux de trait et le million de bovins de la fin des années 30 grâce auxquels le sol pouvait être retourné, préparé puis pour les exploitations les plus modernes, semé. Une fois La récolte réalisée ; le grain, la paille et le foin étaient transportés grâce aux mêmes chevaux.

Cultiver le sol : A la sueur des hommes et des animaux.

L’utilisation des chevaux en agriculture s’est largement développée au XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, avec le développement d’une mécanisation adaptée au cheval, semoirs, faucheuses, herses, charrues….avec une préférence pour les bœufs dans la moitié sud de la France et les zones de montagne. Cet emploi a presque complètement disparu dans les pays développés avec la motorisation (tracteurs, motoculteurs, automoteurs...) entre 1950 et 1970. L’efficacité ou l’efficience de l’agriculture par actif reposera sur l’augmentation de puissance permise par les « chevaux vapeur » et, parallèlement, sur la libération des surfaces consacrées à l’alimentation des chevaux, culture d’avoine comme source d’énergie mais aussi prairies, comme base de l’alimentation. Le nombre de chevaux de trait en France a décru avec la mécanisation, la France comptait 3 millions de chevaux de trait en 1931 passant à 2 millions en 1956 , à 1 millions en 1966 et seulement à 40 000 en 1985.

L’évolution des surfaces consacrée à la culture de l’avoine assurant l’énergie du cheval pour tirer la charrue, illustre cette évolution et cette époque épique et équine. Ces surfaces ont fortement régressé avec la fin de la traction animale. Les 3 millions de chevaux encore utilisés en agriculture pour le labour et la traction avant la première guerre mondiale nécessitaient 3 millions d’ha d’avoine avant la seconde guerre mondiale. Cette surface était alors encore significative et traduisait une mécanisation embryonnaire en agriculture. L’avoine était cultivée pour cette utilisation à hauteur de 4 millions d’ha pour 25 millions de terres labourables au début du XXème siècle. En 1965 ans, cette surface avoisinait 1 million d’ha, pour ne plus représenter aujourd’hui que quelques 100 000 ha essentiellement destinés aux chevaux de course des haras et de façon marginale à l’alimentation humaine. Un cheval en 1950 avait donc besoin d’un ha d’avoine, source d’énergie et d’un ha de prairie pour le foin, surfaces consacrées quasi exclusivement à la force de traction en agriculture. Au moins 6 millions d’hectares de bonnes terres étaient donc consacrées à la production des « biocarburants d’antan » permettant d’assurer la force de traction animale en France. Du cheval tracteur au chevaux vapeur ou le baril de pétrole devient boisseau d’avoine.

A l’issue de la seconde guerre mondiale, la rupture reposera exclusivement sur l’utilisation du pétrole, pétrole qui permettra de « nourrir » les tracteurs qui remplaceront les chevaux et bovins force de traction des paysans du début du XXème siècle. Pétrole avec lequel l’industrie chimique : Rhône-Poulenc, Bayer , Dupont de Nemours, fabriquera les fibres synthétiques industrielles, nylon, pour les cordages qui désormais n’équipe plus que les yachts de loisir lorsqu’ils sont à voile, mais aussi nylon, tergal … qui désormais ,avec le coton importé et même seuls, remplaceront le lin, la laine dans les textiles plus largement utilisés dans la vie quotidienne auparavant . Les surfaces en chanvre passeront de plusieurs centaines de milliers d’ha à moins de 1000 en 1960. On ne se transmettra donc plus les draps confectionnés avec ces textiles, les tissus devenant trop fragiles et devant être régulièrement renouvelés dans la logique de la société de consommation.

Avant la révolution dite « verte », qui concernera aussi le tiers monde entre 1960 et 1980 et la progression de la production par unité de surface, on envisagera même de transformer le pétrole en source de protéines et d’aliments via la multiplication de bactéries s’en « nourrissant », bactéries à leur tour transformées en aliments pour les animaux voire les humains. Le fameux bifteck de pétrole, aliment promis aux générations post moderne ne verra heureusement jamais le jour dans la pratique.

L’agriculture grâce à la progression des rendements, grâce aux surfaces libérées par la fin de la traction animale et malgré l’emprise croissante des villes et des voies de communication sur les surfaces souvent les plus productives diversifiera ses productions, plus de légumes, des produits plus divers , plus de fruits, mais aussi plus de céréales pour nourrir du bétail pour des citadins souhaitant consommer plus régulièrement et en plus grande quantité des protéines animales. Le tout moins cher en relatif, disponible en toutes saisons et transporté sur de plus grandes distances.

L’alimentation, bien primordial, devient accessoire en Europe de l’ouest.

Cette phase sera une phase d’agrandissement des exploitations, de leur spécialisation, de la baisse drastique des actifs en agriculture et de la baisse des prix des produits alimentaires, baisse considérable en francs constants pour les produits agricoles et les agriculteurs. Cette baisse a été possible par les augmentations de rendement et correspond à une baisse plus modérée mais baisse quand même pour le consommateur. La plus value est alors captée par l’industrie agroalimentaire et la distribution. Cet effort a permis de faire en sorte que le coût de l’alimentation passe de 30 % du budget des familles en 1960 à moins de 15% aujourd’hui, même avec la captation de valeur ajoutée qu’assurent désormais industrie alimentaire et distribution. Dans les PVD, cette proportion reste souvent voisine de 70% et renvoie aux 72 % du budget consacré à l’alimentation au début du siècle en France : le bon vieux temps ?

Une fois la demande intérieure satisfaite, au plan français puis au plan européen dès le début des années 70, les excédents seront exportés principalement dans les pays en voie de développement concurrençant les agricultures vivrières de régions en raison de l’efficacité des systèmes de production en Europe mais aussi des prix de production garantis par la PAC…avec en marge, création des stocks aussi lourds que coûteux à maintenir (Cf ouvrages de J Berthelot).

De la confiance limitée à accorder aux prospectives officielles.

La réforme de la PAC en 1992 avait pour finalité de corriger cette situation de stocks élevés en retirant de la production des surfaces mises en jachère et en limitant la pression d’exportation sur les pays en voie de développement. Cette réforme anticipait une mise en valeur des terres d’Europe de l’Est et ses fameux tchernozems. Cette évolution devait être rapide entraînant une baisse plus important des prix. Une seconde réforme préparée à la fin des années 90, annoncée en 2003, devait voir, à partir de 2008, les agriculteurs se reconvertir en jardiniers du paysage, bien plus préoccupés par le nombre de papillons fréquentant leurs champs que par le poids de blé récolté. Ce blé dont le prix selon les prévisions de la prospective de la FAO et de l’OCDE de 2005 devrait valoir entre 50 et 100 € la tonne en 2008. De fait ce prix dépassera largement 250 € la tonne à partir d’août 2007, avec un plancher entre de 150 et 200 € la tonne.

Ce tableau qui décrit les 30 glorieuses de l’agriculture, qui s’étalent en fait sur 50 ans, repose sur un pétrole abondant, facile à extraire et bon marché. Il s’agit clairement d’un anachronisme dans l’histoire des Hommes. Il repose sur la confiscation par deux générations d’humains d’une ressource fossile limitée pour sa partie la plus accessible. Certainement le plus grand scandale qu’aucun média ne souligne. Où le boisseau d’avoine redevient baril de pétrole.

L’évolution récente du prix du baril du pétrole et la raréfaction de la ressource facilement exploitable anticipée à cause d’une explosion de la demande est à l’origine d’un changement radical de paradigme. Ce changement a été parfaitement anticipé par les autorités des États Unis d’Amérique avec un adossement de l’agriculture des USA à la logique de défense nationale, évolution complètement ignoré en Europe, où les politiques n’ont fait qu’extrapoler des analyses de la fin du XXème siècle. Le prix du pétrole au delà de 100$ le baril et bientôt 150 $ conduit à un retour à l’équilibre qui prévalait il y a 50 ans mais avec des termes différents, permettant ou imposant, selon le point de vue, de tirer partie de la ressource en carbone organique d’origine végétale dans des termes inconcevables auparavant.

Cette option était trop chère avec un pétrole qui fluctuait entre 10 et 20$ sauf durant les quelques années marquées par le choc pétrolier de 1979 -84. Ce second choc est à l’origine de la politique de biocarburants du Brésil, pays qui a pris un temps d’avance grâce à la culture de la canne à sucre. Elle était impossible avec les rendements agricoles d’avant 1960 et les savoirs en terme de chimie organique et surtout de biotechnologie d’alors. Les progrès dans ces deux domaines permettent désormais de transformer la biomasse ligno-cellulosique soit en chaînes carbonées se substituant au pétrole source d’énergie ( alcool, gaz ou hydrocarbures) ou au pétrole source de biomatériaux.

Manger ou conduire : faut-il choisir ?

L’équation est désormais simple, elle est composée de deux termes en entrée correspondant à l’offre mondiale et de quatre termes en sortie correspondant aux utilisations ou à la demande. L’examen de chacun de ces termes explique la crise actuelle en terme de prix et demain de disponibilités ou d’affectations :

Production agricole (grains + fourrage + fibres+ biomasse + fruit + légumes) + stocks de grains (excédents années antérieures) = Alimentation des humains (food) + Alimentation du bétail qui sera consommé par les humains (feed) + Biomatériaux (amidon pour les bioplastiques, incorporation dans les pneux, augmentation du recours au chanvre, lin ), biotextiles (coton, chanvre, lin ) et bioproduits (lessives et détergeants , huiles végétales en substitution aux huiles minérales dans l’industrie , l’automobile…) + Biocarburants (pour mémoire 36 millions de véhicules particuliers et utilitaires en France+ aéronefs).

Origines de la crise alimentaire actuelle : une crise de l’offre pour le blé et de la demande pour le maïs

Si l’on considère l’évolution des volumes produits et des volumes consommés, on constate, depuis le début des années 2000, une demande pour les principales céréales produites au plan mondial structurellement supérieure à l’offre.

Coté production agricole : l’offre de blé et de riz plafonne. Les rendements par unité de surface ne progressent plus de façon significative, voire régressent dans certains pays européens suite aux contraintes environnementales exercées sur la façon de produire. Ces contraintes justifiées pour certaines, sont aussi bureaucratiques pour d’autres.

Des sécheresses conjoncturelles en Australie en 2006 et 2007 et Ukraine en 2007 expliquent aussi la diminution de l’offre. L’essoufflement de la révolution verte dans les PVD est également observé. L’augmentation du coût des engrais azotés qui accompagnera celui de l’énergie accentuera désormais ce phénomène de façon structurelle.

Seule l’extension des cultures à des nouvelles terres, jachères ou terres non encore cultivées permettra, dans ce contexte, une offre à nouveau excédentaire. C’est principalement du coté de l’innovation partout dans le monde ou d’ une meilleure technicité dans les pays d’Europe de l’est qu’une nouvelle progression structurelle de l’offre sera possible. Actuellement seul le maïs voit une augmentation constante de l’offre de grain liée essentiellement à une augmentation de la production par unité de surface.

Coté stocks : Le déséquilibre production /demande a fait chuter les stocks à partir de 2004 avec une aggravation liée ensuite à des évènements climatiques limitant la production dans certains régions du globe. La crise actuelle est essentiellement une crise du prix et de l’accessibilité de population à faibles revenus à une ressource devenue chère, pas encore une crise de la quantité disponible.

Cette crise était parfaitement prévisible, il est surprenant qu’aucun médias ne s’en soit fait écho avant de la constater dans les faits. Elle a été précipitée par récolte de blé qui a été inférieure aux espérances et aux prévisions en 2007 sans être catastrophique, marquée seulement par une stagnation du volume moyen disponible. Il est révélateur que le déficit de récolte ne sera patent plus la plupart des observateurs qu’à partir de la mi août 2007 alors que de nombreux paramètres permettaient d’anticiper ce constat dès juillet 2007. La récolte de maïs 2007 exceptionnelle à l’automne a été quasiment ignorée alors que son niveau était inespéré, en progression de plus de 15% par rapport à la récolte de maïs 2006 qui constituait déjà un record, un revers sur la récole de cette céréale en 2007 ou une simple stagnation comme pour le blé aurait conduit à une situation bien plus dramatique sur le plan de l’alimentation mondiale, quel média s’en est fait écho ?

Coté demande : l’offre en maïs a été absorbée par la demande, essentiellement liée à l’augmentation de la production de protéines animales (besoin en feed) correspondant à la modification du régime alimentaire des populations chinoises et indiennes. La transformation de l’amidon de maïs en bioéthanol aux USA qui mobilise plus de 6 millions d’ha de cette production, est un artefact et ne peut expliquer qu’une partie du déséquilibre sur cette production et de l’envolée du prix du maïs qui suit désormais celle du pétrole. 6 millions d’ha soit la surface consacrée exclusivement à fournir l’énergie à la force de traction animale de l’agriculture en France avant 1950. Cette utilisation entrera cependant à terme en concurrence avec les autres affectations de la production agricole, concurrence déterminée par les niveaux du cours du pétrole.

Avec des éléments de preuves indiscutables pour illustrer chaque point de l’assertion « Biofuels reduce air toxics emissions, greenhouse gas buildup, dependence on imported oil, and trade deficits, and support agricultural and rural economies », il paraît peu probable de voir les USA revenir sur leur plan de développement des biocarburants, y compris de première génération et de l’utilisation plus large de la biomasse à des fins non alimentaires. http://www.eere.energy.gov/states/a...

Le déséquilibre pour le blé et le riz vient de l’augmentation de la demande pour l’alimentation humaine (food) sans contre partie au niveau de l’offre contrairement au maïs, même si un équilibre existe entre l’affectation du maïs et celle du blé, en terme d’occupation des sols ou d’utilisation en alimentation animale (feed). Il n’existe pas de façon pratique actuellement d’impact de la transformation de blé en biéthanol sur le prix de la ressource.

Perspectives pour la transformation blé-éthanol :La transformation de blé en bioéthanol est tout au plus un moyen pour absorber une offre qui ne trouverait pas preneur sur le marché, outil de stabilisation des cours afin de maintenir une stimulation de l’offre et d’éviter une trop forte volatilité des cours préjudiciable pour l’ensemble des acteurs à l’exception des spéculateurs. A 125 € la tonne, la transformation de blé en biocarburant est en effet peu attractive pour les agriculteurs français, moyen éventuel d’écouler une marchandise de médiocre qualité alimentaire en l’état suite à une contamination par des contaminants naturels mais néanmoins toxiques pour les animaux : les mycotoxines.

La France est un confetti mais un confetti fertile, trop fertile ?

Perspectives pour la production agricole : Sauf à convaincre ou à contraindre un grand nombre d’humain de manger moins et surtout de manger moins de protéines animales, l’augmentation de la demande de grains et de biomasse d’origine agricole apparaît inéluctable et de plus en plus rapide avec une affectation à l’une ou l’autre des finalités devant faire l’objet d’arbitrages financiers et politiques. Des utilisations non alimentaires de plus en plus diverses s’ajouteront à la nourriture des humains et des animaux, elles seront déterminées par le cours du baril de pétrole.

Si des campagnes médiatiques d’une rare médiocrité alimentent les conversations de salon en Europe en général et en France en particulier, sur la faim dans le monde, le caractère immoral des biocarburants et le nécessaire équilibre nord/sud, les plans des grands pays producteurs ou consommateurs de denrées agricoles à travers le monde sont clairement établis et se moquent des considérations d’intellectuels de la « vieille Europe », région dont l’impact sur la politique mondiale ne cesse de décroître.

L’Europe n’est qu’une variable d’ajustement dans ce cadre et la France qu’un confetti sur l’échiquier agrostratégique mondial. Confetti mais confetti qui dispose de grandes étendues de sols raisonnablement fertiles et peu dégradés. La France dispose surtout d’un climat d’une rare régularité grâce à une façade maritime exposée à des vents dominants chargés d’humidité après avoir parcouru l’atlantique. De formidables châteaux d’eaux constitués par des montagnes élevées, bien réparties sur son territoire, complètent les atouts de l’agriculture française. C’est beaucoup, beaucoup trop pour ne pas attirer un ensemble de prédateurs, financiers et industries de tous poils et de toutes origines, dont l’intérêt n’est pas convergeant avec celui de la paysannerie française, performante et organisée, qui reste, pour l’instant, maître de ce territoire et de sa production.

http://www.passioncereales.fr/pdf/2... Pour des tableaux qui montrent l’évolution sur une trentaine d’année de la production et des stocks pour les principales céréales, ainsi que la répartition en terme d’usage de la production céréalière européenne.