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  "Nouvelles formes de travail et nouvelles lectures de l’inégalité"

samedi 22 mars 2008, par Corinne Siino

Les nouvelles formes de travail développent une très importante flexibilité au sein de la population active. Cette flexibilité des personnes, des horaires, des rémunérations présentée comme base de la compétitivité pose cependant le problème d’une articulation avec les autres formes de la vie sociale des individus : vie familiale, relations sociales, activités de loisirs… Faut-il adapter ces aspects de la vie sociale aux logiques flexibles du travail et de la rentabilité économique. Vaste débat…

Insécurisante pour de plus en plus d’actif, la flexibilité du travail et des revenus, présentée sous l’aspect valorisant de la capacité à s’adapter engendre également de plus en plus de mobilités quotidiennes ou hebdomadaires vers des lieux différenciés de travail. La grande disparité des formes d’emploi et de salariat contribue à une augmentation des déplacements et à des mobilités quotidiennes ininterrompues entre les lieux de résidence des actifs et les espaces de l’agglomération où se concentre l’emploi. Exercer plusieurs emplois à temps partiel ou deux activités différentes dans des lieux différents au cours d’une journée ou d’une semaine permet de travailler plus, pour dépenser plus à travailler. La vulnérabilité dans l’emploi et les inégalités sociales ne dépendent plus seulement des catégories professionnelles mais d’une capacité plus ou moins grande à la mobilité et à en assumer ou compenser les coûts au sein de l’organisation des ménages. L’éloignement constituait déjà par le passé un handicap pour l’accession à l’emploi ou à des lieux de socialisation pour certaines catégories d’actifs qui n’avaient que de faibles revenus et dépendaient des transports en commun. Aujourd’hui, c’est également une incompatibilité des horaires entre les emplois ou « fragments d’emplois » qui permettent d’arriver par le cumul à un salaire équivalent à celui du SMIC, qui dissuade parfois certains actifs d’accéder à l’emploi et les contraint dans l’occupation d’un emploi à temps partiel, voire au chômage lorsque le salaire proposé ne couvre pas les frais de transports et les frais induits de la flexibilité horaire, en particulier pour les ménages qui doivent avoir recours à des gardes d’enfants. Dans ces conditions les ménages aux revenus les plus faibles qui subissent les difficultés liées à la contrainte de mobilité font souvent le choix de la non activité professionnelle de l’un des deux, le plus souvent la femme, car plus fréquemment embauchée seulement à temps partiel et avec un plus faible niveau de rémunération. Ces nouvelles formes d’emplois présentent donc dans les phénomènes de marginalisation de l’activité des différenciations sexuées qui ne sont pas seulement induites par des logiques de métier.

Les localisations résidentielles desservies par des réseaux de transports en commun ou de voies de communications routières efficaces, ou proches de lieux d’échanges multimodaux sont désormais favorisées et attractives pour les ménages. Ceci contribue à des processus de remplacement de population dans les espaces où le cout résidentiel augmente notablement, mais le départ de ceux qui ne peuvent supporter ces augmentations, signifie parfois également l’impossibilité de continuer à occuper le(s) même(s) emploi(s). Aussi les difficultés d’insertion sur le marché du travail augmentent désormais surtout hors de la ville dense et des pôles périphériques bien desservis, dans les espaces qui sont aussi les plus abordables du point de vue des localisations résidentielles. Ces espaces urbains voient leurs taux de chômage et de sous emploi augmenter notablement du fait de l’inadéquation de l’organisation urbaine aux mobilités que supposent aujourd’hui les nouvelles formes de travail qui ne sont plus seulement celles des actifs les moins qualifiés. L’accessibilité et la distance acceptable entre le lieu résidentiel et lieux de travail ne sont pas identiques pour tous les actifs. Pour certains des couts de transports prohibitifs par rapport à leur revenu sont la cause d’un chômage sinon durable, du moins récurent. Pour d’autres la nécessité de cumul de plusieurs activités très éloignées conduit à favoriser la proximité de l’emploi plutôt que son adéquation avec un profil professionnel ou une formation. Ces choix qui ne sont plus seulement dictés par un rapport étroit entre catégorie professionnelle et emploi offert, construisent de nouvelles inégalités sur les marchés du travail, mais aussi de nouvelles formes d’exclusion.

En effet, le revenu réduit par les couts de transport vers l’emploi conditionne les mobilités envisageables pour d’autres motifs. Les inégalités sociales ne se matérialisent donc plus seulement dans les caractéristiques des espaces résidentiels mais dans la diversité de pratiques sociales autres que celles réalisées par internet à partir de son domicile.

Alors que l’espace urbain s’étend de plus en plus et que les agglomérations débordent toujours plus loin de leur limites les nouvelles formes d’emploi induites par l’organisation productive, impliquent une rapidité de réaction et une adaptation immédiate dont les conséquences sont supportées par la population active. Les problèmes d’engorgement posés par la périurbanisation, et la constitution de pôles d’emplois périphériques vers lesquels se rabattent les actifs suscitent des politiques d’infrastructures de transports, mais la mesure de l’impact de ces nouvelles formes d’emploi sur la capacité à la mobilité des ménages au cœur des nouvelles dynamiques des systèmes urbains ne semble pas réellement prise.

Toulouse le 19 mars 2008

Corinne SIINO est maître de conférences à l’Université de Toulouse le Mirail. Ses recherches, menées au sein du Centre Interdisciplinaire d’Études Urbaines, portent sur les rapports entre recompositions sociales et économiques des marchés du travail et développement urbain.