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  Le mal-être des grandes agglomérations

Une croissance mal gérée

mardi 22 janvier 2008, par Renaud Laurette

Depuis des décennies, Toulouse attire inexorablement de nouveaux arrivants en masse. Où vont-ils ? La ville elle-même s’est bien remplie, repoussant sur la périphérie les derniers champs, tel celui de Limayrac, qui a laissé place à un tout nouveau quartier au début 2000. Mais les communes périphériques ont depuis longtemps également une vocation d’accueil. Alors lointains faubourgs, elles développèrent pour la plupart un mode d’habitat différent de celui du centre ville. Oubliant les immeubles, elles favorisèrent les grandes parcelles et les pavillons. D’importance modeste à l’aube des années 70, elles accueillaient pour des budgets raisonnables des arrivants ayant soif d’espace, dont une partie fuyait l’engorgement de la région parisienne, tandis qu’une autre, arrivant de la région même, trouvait là un compromis honorable entre la ville et la campagne.

Ce n’est que vingt ans plus tard que l’on s’aperçut réellement du changement qui s’opérait en profondeur. Toulouse, connaissant un certain essor économique autour de l’aéronautique et du spatial, attirait toujours. On construisit la rocade. Les prix intra-muros commencèrent à grimper et habiter en périphérie devint un choix économique. Les nouveaux amateurs de tranquillité durent s’éloigner un peu. Mais déjà la ville rejoignait ses faubourgs qui devenaient à leur tour de petites villes. Pour autant, elles ne changèrent pas leur mode de développement : grandes parcelles et pavillons. Un détail pourtant changea : le terrain devint plus rare, donc plus cher, et une certaine sélection financière commença progressivement à s’opérer.

Ce phénomène, particulièrement perceptible sur Toulouse, n’est pas le fait de cette seule métropole. L’étalement des banlieues est une constation générale, qui a pesé dans les motivations de la loi "Solidarité et Renouvellement Urbain" (SRU) de 2000. La loi SRU

Cette loi constitue une réforme importante de l’urbanisme, dont elle modifie assez largement le code. Elle traite bien d’autres aspects que la croissance des agglomérations, mais accorde tout de même une place de choix à ce problème. C’est en effet un problème, et ceci pour plusieurs raisons :
- l’étalement lui-même multiplie les raisons de se déplacer, donc les besoins en transports et en infrastructure, ce qui coûte à la collectivité ;
- en parallèle, ce même étalement rend inefficace les solutions de transport en commun car l’habitat est trop dispersé ; l’individuel prend le pas sur le collectif, ce qui génère bouchons, pollutions et nuisances, ainsi qu’une course aux rocades et aux échangeurs ;
- la saturation progressive du centre génère une spéculation immobilière, incompatible de la mixité sociale ;

Quelles réponses propose donc la loi SRU ?

Les orientations majeures de cette loi tournent autour de deux idées directrices : densification et mixité. Densification pour économiser l’espace dans l’optique d’un développement durable, et pour réduire la demande en transport. Mixité sociale, au travers d’une densité minimale de logements sociaux, pour éviter les effets de ghetto. Mixité entre habitat et activité, pour limiter encore la demande en transport.

Du fait de cette loi, les communes voulant continuer à croître, au travers de grandes opérations telles que des zones d’aménagement concerté (ZAC), ont dû transformer leur Plan d’Occupation des Sols (POS) en Plan Local d’Urbanisme (PLU). Le PLU, comparé au POS, apporte une vision plus globale du développement de la commune, en mêlant les réflexions Urbanisme et Transport dans une perspective de développement durable ; à ce titre, il s’agit indiscutablement d’une avancée significative en matière d’aménagement urbain. Mais il apporte une contrainte forte de densification de bâti, a peine atténuée par la loi "Urbanisme et Habitat" votée en 2002.

Nous sommes donc aujourd’hui dans un contexte législatif qui favorise la densification, en réponse à un postulat de croissance perpétuelle des grandes agglomérations. Tout se passe comme si personne ne s’interrogeait sur l’opportunité pour ces métropoles de continuer à croitre. Vers un meilleur maillage du territoire

Tout comme certains se posent la question des limites de l’Europe, ne faut-il pas se poser celle des limites des métropoles ?

Supposons un instant que la loi SRU atteigne pleinement ses objectifs en rendant nos villes durables, socialement équilibrées, et efficaces sur l’offre et la demande en transport. Aurons-nous simultanément atteint ces mêmes caractéristiques au niveau du pays dans son ensemble ?

Sûrement pas. En effet, à continuer à remplir les métropoles aux dépens de leurs régions, on crée en dehors de la métropole la situation que l’on a cherché à combattre en dedans :
- habitat très dispersé, entrainant une inefficacité des services d’intérêt collectif : services publics, transports ;
- faible mixité sociale : la métropole attirant l’activité économique, ne reste en campagne que ceux qui vivent de la terre, ou peuvent s’offrir le luxe d’aller travailler dans la métropole ;
- fracture de la population. Ne restera-t-il demain que des hyper-urbains et des ermites ? qui voudra alors financer l’entretien d’une route de 20 kms menant à un village de 3 habitants ? Faudra-t-il transformer le village en parc d’attraction ?

Certains cyniques pourraient argumenter que 80% de la population étant destinée à moyen terme à habiter dans les métropoles, le problème restant en dehors devient marginal ... mais est-ce bien du développement durable ?

Une autre solution - à contre-courant - pourrait être de freiner délibérément l’expansion urbaine au delà d’un certain seuil. En d’autres termes, résoudre les problèmes liés à l’expansion non par une concentration de la population, mais par sa meilleure répartition entre métropoles, restant chacune d’une taille modérée.

Qu’impliquerait concrètement une telle démarche ? Limiter l’expansion d’une métropole peut se voir sous deux angles : celui du territoire et celui de l’économie. L’aspect territoire est déjà abordé par la loi SRU, qui favorise la densification. Celui de l’économie en revanche n’est pas adressé. De quoi s’agit-il ?

L’activité économique d’une métropole est intimement liée à l’essor des activités générant des emplois à forte valeur ajoutée. En effet, ces activités tirent derrière elles un dynamisme fort : demande en sous-traitance, en éducation, en culture, en services de proximité, etc ... Contenir l’expansion économique d’une métropole consisterait donc à fixer un seuil au delà duquel les dispositions règlementaires décourageraient de telles activités de continuer à croître localement, mais les encourageraient au contraire à répartir leurs activités sur d’autres pôles régionaux. Mais quel seuil définir ? et sur quel paramètre ? La question est d’autant plus difficile, que si la contrainte n’est que locale (au niveau d’une région ou d’un département ou même d’un pays), les entreprises correspondantes auront tôt fait de choisir d’autres terres d’accueil. Faute d’une règlementation harmonisée sur l’ensemble du territoire d’opérations de telles entreprises, la démarche semble donc difficile.

C’est donc bien plus sur l’incitation que sur la contrainte qu’une telle approche doit être envisagée. Ceci implique de la part des élus une concertation très amont avec les porteurs de projets, afin de réfléchir à la répartition des implantations, aux besoins d’infrastructures et de services associés, etc. Les contraintes des entreprises étant ce qu’elles sont, dans un marché de plus en plus concurrentiel, celles-ci iront nécessairement à la facilité. Il appartient donc aux élus en charge de l’aménagement du territoire de créer les conditions qui rendront viables des implantations réparties. Ceci passe par une vision et un effort significatif en terme de maillage des différents réseaux et service.

A cet égard, le rôle du service public est fondamental, car lui seul permet de mettre en œuvre à l’avance et de manière continue dans le temps, les conditions d’un tel maillage. On peut donc légitimement s’inquiéter du démantèlement des services en milieu rural (postes, écoles, hôpitaux) et de la réduction des moyens de communication (délégation de la voirie, démantèlement des voies ferrées, etc). A titre d’exemple, l’inégalité des territoires - et donc des citoyens - devant les nouvelles technologies (ADSL, TNT, téléphonie mobile) est déjà frappante. Vers une autre conception de la ville

En parallèle avec un meilleur maillage, il est utile de réfléchir à la restauration d’un confort de vie urbaine. La pollution, les problèmes de transports, la faible mixité sociale, sont autant de difficultés qu’il faut résoudre, tout en gardant à l’esprit le besoin d’un "chez soi".

La densification promue par la loi SRU vise à adresser le problème des transports et une partie de celui de la pollution en réduisant les besoins en déplacement. En revanche, la loi ne s’intéresse pas à la qualité de l’habitat qui résulte de cette densification : l’initiative des projets est laissée aux mairies et au communautés d’agglomération, à travers les documents règlementaires que sont respectivement le Plan Local d’Urbanisme (PLU) pour la commune, et le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) pour l’agglomération.

Les élus locaux, et avec eux les aménageurs et architectes, portent ainsi la responsabilité de l’évolution du cadre de vie des citadins.

Quels sont donc les éléments essentiels de ce confort ? Ne peut-on l’atteindre sous une autre forme qu’un pavillon avec piscine au milieu d’un jardin ? L’économie d’espace étant requise, il faut identifier les clefs de la perception du confort, afin de les restituer sous une forme plus compatible avec le cadre urbain.

- Tranquillité et intimité. être chez soi, c’est d’abord être à l’abri du regard et des oreilles des autres. Le regard, c’est une affaire de formes, de perspectives, de terrasses cachées, de vis à vis évités. Le bruit, c’est affaire de matériaux, tant pour l’isolation que pour la réverbération ; comme pour le regard, la végétation et le relief sont également essentiels. Les clefs de l’intimité sont donc dans la créativité de l’architecte et son aptitude à se servir du terrain.

- Dynamisme et convivialité. Vivre en ville, c’est vivre en commun. Non pas en subissant la proximité des autres mais en tirant avantage par les opportunités de rencontre, de culture, d’échange, par la richesse des services disponibles (enseignement, santé, commerces, ...). C’est une affaire de lieu de vie : créer des espaces où les gens aient envie de se retrouver, de créer, d’entreprendre, ou simplement de se distraire. Nos villes sont aujourd’hui trop accueillantes aux voitures, et bien insuffisamment aux piétons. Créer de tels lieux de rencontre doit donc être un impératif de l’urbaniste.

- Proximité et vie de quartier. Pour se rencontrer, il faut être à pied, ou peut-être à vélo, c’est à dire avoir renoncé à son véhicule. Dans une société où nous avons l’habitude d’engloutir des kilomètres pour faire nos courses ou pour nos sorties, ce renoncement ne peut s’effectuer que si une offre très locale existe, à portée de semelle, et sans contrainte excessive. Ceci plaide pour un développement de l’activité de quartier, pour des liaisons inter-quartier en transports en commun performants.

- Une nature partagée. Pour nombre d’entre nous, le jardin est un espace de tranquillité pour les enfants, et une portion de nature bien à soi, loin des regards et des nuisances. Malheureusement, multiplier les grandes parcelles ne va guère dans le sens du développement durable. Comment alors réduire les terrains individuels sans renoncer à la jouissance de grands espaces verts ? Là encore, l’urbaniste doit apporter ses réponses, par la mise en place de jardins partagés mais protégés, le maintient de terrasses intimes, et une judicieuse gestion des perspectives. Quelles applications à Balma demain ?

Tout ceci n’est peut-être qu’un rêve, ou une vague collection d’idées mal dégrossies. Mais pour incomplètes, mal formulées, ou utopistes qu’elles soient, ces pistes traduisent une réelle attente de l’ensemble de la population.

Sous une forme, ou sous une autre, il faudra bien trouver des réponses aux questions suivantes :
- comment modérer la croissance du Grand Toulouse et mieux l’équilibrer vis-à-vis des autres pôles de Midi-Pyrénées ?
- Comment concilier un besoin réel d’économiser le territoire, et une aspiration légitime à une bonne qualité de vie ?
- Comment faire évoluer nos villes pour les rendre plus accueillantes, tout en les rendant économes d’énergie, d’espace et de ressources ?

Ignorer ces questions pour les aménagements de demain à Balma serait plus qu’une erreur : ce serait une faute. Tout comme le serait la croyance fataliste en une expansion toujours accélérée du Grand Toulouse.

vendredi 22 décembre 2006