Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  Sarko, l’Américain

mercredi 5 décembre 2007, par François-Xavier Barandiaran

Le laps de temps qui nous sépare de l’élection présidentielle est trop court pour définir de façon définitive quelle sera la politique de la France, mais il nous permet, néanmoins, de pointer les lignes de rupture, d’inflexions nouvelles et de continuité par rapport à la période chiraquienne. Le « non » des français au projet de Constitution européenne avait paralysé le Président Chirac dans sa politique vis-à-vis de l’Europe. Faisant fi de la volonté majoritaire des français, le Président Sarkozy a rebondi aussitôt après son élection pour s’attribuer le mérite de remettre en marche le train de l’Europe, en proposant le fameux « mini traité simplifié » qui a été adopté par les 27 chefs d’Etat à Lisbonne et qui doit être ratifié par tous les pays européens dans les mois à venir. Ce traité, qui n’est ni mini ni simplifié, fait rentrer par la fenêtre ce que les français et les néerlandais avaient jeté par la porte en 2005 : en effet, il n’a de cesse de bâtir une Europe mercantile et financière, enterrant le rêve d’une Europe populaire et sociale, voulue par les citoyens, seul chemin pour aboutir un jour à une Europe politique. D’où la nécessité de consulter à nouveau les citoyens au moyen d’un référendum !

A la différence de Chirac, qui avait créé son axe anti-guerre en Irak sur l’appui de la Russie, Sarkozy n’est pas un ami de Poutine. Pendant la campagne électorale, il avait même annoncé haut et fort sa résolution de dire ses quatre vérités au nouveau Tsar de Russie sur les droits de l’homme et les atrocités de la guerre en Tchétchénie. Mais, lors de sa récente visite au Kremlin, il s’est contenté seulement de quelques remarques courtoises ! Et le voyage qu’il vient d’effectuer en Chine a prouvé, s’il en était besoin, que les considérations de réalisme économique – et écologiques, c’est nouveau !- l’emportent aisément sur les remarques de droit-de-l’hommisme et de respect des droits des peuples, dont se targuent les démocraties occidentales. Certes, Sarkozy y est allé un peu plus loin que Chirac, en demandant publiquement au président Hu Jintao d’accomplir « des progrès supplémentaires » dans le respect des droits de l’homme, mais ses critiques étaient en robées de tellement de compliments !

Une constante qui se dessine dans la ligne sarkozyenne, c’est de faire des coups d’éclat en essayant de prendre tout le monde de court : ainsi, alors que l’Europe est engagée depuis 1995 dans le partenariat euro-méditerranéen, dit Processus de Barcelone, dès sa campagne électorale Sarkozy a lancé le projet français d’Union Méditerranéenne qui prendrait la forme d’un forum d’échange annuel. L’objectif annoncé est louable : l’intégration, la collaboration énergétique et écologique et le dialogue des cultures entre les deux rives de la Méditerranée. Mais, alors que la Commission Européenne avance cahin-caha pour donner corps au Processus de Barcelone, pourquoi la France seule ferait mieux que tous les autres ? C’est encore un numéro en solo du Président Sarkozy. Comment un projet de ce type, vague et non concerté, pourrait aboutir, alors que la France s’aligne sur la politique des U.S.A., honnie unanimement par « la rue arabe », s’affiche comme le grand ami des israéliens, n’arrive pas à solder son contentieux historique avec l’Algérie, s’enferme dans une politique drastique de l’immigration et s’oppose à l’entrée de la Turquie dans l’Europe (encore qu’on commence à mettre quelques bémols sur les propos tenus pendant la campagne électorale, en acceptant la poursuite des négociations de l’Europe avec la Turquie) ?

Restons au Sud de la Méditerranée et plus précisément dans les anciennes colonies d’Afrique : depuis quelques semaines les journaux nous parlent de « l’Arche de Zoé ». Au-delà des faux pas d’une association menée par son fondateur, mi-baroudeur, mi-illuminé, le gouvernement s’est mélangé les pinceaux dans la conduite de cette affaire, qui cache encore beaucoup de points d’ombre, pour aboutir à l’opération de sauvetage du Président-Superman, suivie de cette déclaration incroyable : « J’irai chercher tous ceux qui restent, quoi qu’ils aient fait ». Provoquant au Tchad un tollé d’indignation ! Il y a derrière tout cela un relent de colonialisme, comme au bon vieux temps de la « Françafrique ». On intervient en Afrique comme dans un pays conquis et on bafoue la justice tchadienne. En toile de fond se trouve l’alignement de la France derrière le sillage du Congrès Américain qui pense que seule une intervention armée contre le Soudan, - qui fait partie de « l’Axe du mal »-, pourra arrêter les combats et les massacres du Darfour. Au lieu d’écouter les analyses des gens, comme Rony Brauman, fondateur de Médecins sans frontières, et d’autres ONG qui connaissent bien la région et qui proposent d’autres voies de solution. Et que penser du discours de Sarkozy à Dakar, -qui se voulait pourtant amical-, sinon qu’il s’est comporté en donneur de leçons, avec la suffisance du « blanc » qui admoneste « les petits africains » ? « Le drame de l’Afrique, leur a-t-il dit, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Mais, qui est cet « homme africain » à l’essence immuable, qui ne s’élance pas vers l’avenir ? Foin des vicissitudes de l’histoire, de la traite séculaire des noirs ni de la longue colonisation ! Foin de l’exploitation actuelle de l’Afrique par les multinationales ni de l’asservissement de ces pays aux intérêts des occidentaux et bientôt de la Chine !

A l’Est de la Méditerranée se trouve le Proche-Orient, qui, pour le moment, est le nombril du monde. La France, ancienne puissance mandataire, y a des responsabilités particulières. Pour amadouer les américains, après le coup d’éclat de l’opposition à la guerre d’Irak, Chirac s’était rapproché vers la fin de son mandat de la politique de Bush, qui considère la Syrie et l’Iran comme les principaux pays de « l’axe du mal ». Par amitié aussi avec le clan des Hariri, dont le père Rafic, ancien Premier Ministre, aurait été assassiné sous l’instigation des syriens. Après quelques hésitations la politique sarkozyenne s’en est démarquée, en gardant la distance par rapport à toutes les forces libanaises, de façon à retrouver l’influence de la France. Ainsi, on a vu notre ministre des Affaires Etrangères reprendre langue avec Bachar-al-Assad pour essayer de régler la question de l’élection présidentielle au Liban et réussir, en échange, de faire inclure le problème du Golan dans l’ordre du jour d’Annapolis. On y retrouve le pragmatisme de notre président ! En revanche, de façon paradoxale les propos de B.Kouchner sur une possible guerre contre l’Iran, au nom de la sauvegarde de l’Etat juif, cadrent parfaitement avec la reconfiguration programmée par l’Administration Bush du Moyen-Orient. Ils sont allés même plus loin que les déclarations officielles des américains, mais pas que les préparatifs guerriers concoctés par les néo-cons qui inspirent la politique de Bush. Dans le même sens Sarkozy fait le forcing pour que les autres pays européens s’inscrivent dans cette vision va-t-en-guerre contre l’Iran, ce qui, pour le moment, n’est le cas que de la Grande-Bretagne. Nous trouvons là aussi « les deux poids deux mesures », puisque Sarkozy avait déclaré à l’Assemblée Générale de l’ONU que la France était prête à aider tous les pays qui le désirent à se doter de l’énergie nucléaire. Mais, dans le cas de l’Iran on envisage la guerre, comme si seulement dans son cas cette énergie pouvait être le prélude à l’arme atomique ! Derrière tout cela il est loisible de voir la main des USA, attentifs non seulement à la sécurité d’Israël, mais aussi à soutenir ses deux plus fidèles alliés dans la région, l’Egypte et l’Arabie Saoudite, deux pays sunnites inquiets de voir grandir l’influence dans la région du rival shiite, l’Iran. Nous devrions garder toujours présentes à l’esprit ces phrases clairvoyantes de H.Vedrine : « Il n’y aura de paix au Moyen-Orient tant qu’on n’aura pas résolu le conflit israélo-palestinien » et « Rien n’envenime plus la relation Islam-Occident qu’un statu quo au Proche-Orient » Quelle est la place de la France dans ce conflit ? A la tiédeur de Chirac a succédé un appui marqué de Sarkozy à la politique d’Israël. On ne peut pas le dire mieux que D.Martinon, porte-parole de l’Elysée, devant le CRIF le 21 novembre dernier : « Le terme de lune de miel n’est pas trop fort pour caractériser les relations franco palestiniennes ». Bien sûr, B.Kouchner fait la navette entre Jérusalem et Ramallah, mais les rappels des droits des palestiniens qu’on entend depuis des années sont inertes, routiniers et, par conséquent, inefficaces. Tout comme les résolutions de l’ONU ! Alors que le gouvernement français soutient, par exemple, la construction par Alstom et Véolia, entreprises bien françaises, du tramway qui reliera Jérusalem aux trois colonies juives en territoire palestinien qui sont en train de couper la Cisjordanie en deux ! Mais, comment pourrait-il en être autrement, quand on se souvient de ce que le candidat Sarkozy avait déclaré à Washington en novembre 2006 : « Je veux dire combien je me sens proche d’Israël. Israël est la victime. Il doit tout faire pour éviter de passer pour l’agresseur ».

Après tout ce qui précède on peut affirmer que les craintes manifestées par M.Chemillier-Gendreau, quelques jours avant l’élection de Sarkozy, se sont avérées justes : Sarko va gommer « le peu de positif dans la tradition française, c’est-à-dire, la ligne d’opposition au diktat anglo-saxon ». Voilà, donc, la plus grande rupture en politique étrangère : l’alignement derrière Bush et sa lutte antiterroriste, sa croisade contre « l’axe du mal », sa volonté de voir la France réintégrer le commandement de l’OTAN…. Bien qu’il s’en défende : « alliés ne veut pas dire alignés », la politique étrangère de Sarkozy s’identifie progressivement à la vision des néo-conservateurs américains quand il déclare que « la crise du nucléaire iranien est sans doute la plus grave menace qui pèse aujourd’hui sur l’ordre international » Voilà la plus grande rupture avec le chiraco-villepinisme, qui dans ce domaine poursuivait l’attitude gaulliste de ne pas s’aligner sur les USA. Non, vraiment, le surnom « Sarko, l’Américain » n’est pas usurpé !