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  "La main invisible" a-t-elle des doigts magiques ?

vendredi 5 octobre 2007, par François Saint Pierre

L’économie est l’activité humaine qui consiste à la production, la distribution, la répartition, l’échange et la consommation de produits et services. Une économie de marché est un système économique qui s’organise autour du marché, régulé par la confrontation de l’offre et de la demande, dans un environnement supposé concurrentiel. Mais si dans le langage courant on identifie souvent l’économie à l’économie de marché, cette dernière coexiste avec :

• l’économie souterraine qui est l’ensemble des activités productrices de biens et services qui échappent au contrôle de l’État (trafic de drogue, travail au noir, proxénétisme...). Cette économie tient compte aussi en grande partie de la loi de l’offre et de la demande.

• l’économie domestique qui fonctionne sur un système d’échange non monétarisé (ex : le jardin, les femmes au foyer... qui permet de ne pas acheter ses légumes ou de ne pas embaucher une personne à domicile...).

• l’économie publique sous la responsabilité de l’État et des collectivités locales.

• L’économie sociale, économie hybride qui, contrairement à l’économie de marché, n’a pas pour objectif de maximiser les profits. En France cela correspond aux statuts des coopératives, des mutuelles, des associations et des fondations

Toute classification est forcément simplificatrice et toutes ces économies interagissent. Les modèles construits par les sciences économiques permettent en partie de décrire et de comprendre les processus. On peut utiliser ces modèles soit pour faire des arbitrages sur des problèmes spécifiques, soit pour proposer des grandes orientations en vue de transformer la société. Le partage gauche/droite se structure essentiellement sur l’importance et l’autonomie de l’économie de marché. La gauche a depuis longtemps abandonné le mythe d’une économie totalement publique, par contre la droite fait encore semblant de croire au mythe d’une économie de marché, capable seule de réguler l’économie mondiale. Les libéraux rêvent d’un grand marché où les marchandises et les services circuleraient sans problèmes, les grands organismes édictant un minimum de normes au niveau mondial et les gouvernements assurant la police locale pour garantir le respect des règles de la concurrence.

Dans le réel de l’économie nous sommes bien loin du modèle libéral. Le rôle des États est très important et ces derniers participent à grand nombre de services (éducation, santé, transports, réseaux, etc...). L’économie domestique joue un rôle important dans le confort de chacun mais n’est pas vraiment prise en compte par les indicateurs habituels comme le PIB qui s’intéresse aux biens et services qui ont une évaluation monétaire. Les États, mais aussi les grandes organisations internationales jouent aussi un rôle de régulation globale que le marché n’a jamais bien rempli. En effet la confrontation entre offre et demande se fait localement, avec une information partielle et avec très peu de capacité d’anticipations à long terme. Le marché est incapable seul de tenir compte, dans les arbitrages sur la valeur des "choses", des effets pervers qui interviendront plus tard. Par exemple, ce n’est pas le marché qui peut pousser les industriels à prendre des mesures couteuses pour contrer l’évolution climatique actuelle ou pour protéger les salariés d’hypothétiques risques sanitaires (cf. l’amiante). Ces mesures doivent être imposées par les États, via des normes et une fiscalité adaptée, avec une harmonisation mondiale. « Si le système de marché est une danse, c’est l’État qui fournit la piste et l’orchestre » Charles Lindblom dans The Market System (2001).

Tout le monde semble s’accorder sur la nécessité de minimiser l’économie souterraine et la plupart des citoyens estime que l’économie domestique, malgré des évolutions rapides, est plus du ressort des "us et coutumes" que sous la responsabilité directe du politique. La place d’une économie publique qui garantit les droits fondamentaux et le fonctionnement des services publics est par contre un enjeu politique fondamental qui est en général assez bien perçu par les citoyens.

L’économie sociale est souvent perçue comme une économie subventionnée par l’État, qui est bonne pour les pauvres et qui permet quelques emplois de seconde catégorie. Autant vaut-il mieux mettre tout cela dans le service public sous la responsabilité directe de l’État, pense beaucoup de monde à commencer par Jean Jaurès : "L’État est la coopérative suprême, celle vers laquelle tendent, comme vers une asymptote, toutes les autres formes de coopératives". Pour les libéraux l’économie sociale n’est pas un problème tant qu’elle est non rentable. Si elle devient un tant soit peu concurrentielle, elle ne respecte plus le crédo libéral de la concurrence libre et non faussée.

Pourtant cette économie hybride peut être efficace et productrice de service aussi bien que l’économie de marché. Le secteur bancaire et assuranciel à même montré que ce modèle pouvait dans certains cas être très performant. ( secteur assurantiel ou bancaire...) et si cette économie s’appuie souvent sur des subventions elle sait aussi dans certains cas s’en passer. Cette économie à travers le dynamisme de beaucoup d’associations a souvent montré qu’elle est apte à prendre en compte des externalités ignorées par l’économie soumise à la logique du profit. De plus elle peut fonctionner sur le modèle démocratique, ce qui n’est pas le cas de l’économie de marché où l’importance de chacun des acteurs est proportionnelle au poids économique.

Si le marché est du côté de la liberté et le public du côté de l’égalité, l’économie sociale est plutôt du côté de la fraternité. L’économie sociale est bien plus que le partage des bénéfices du travail de manière équitable, c’est aussi la prise en compte des solidarités locales et globales qui lient les hommes. Entre économie de marché et économie publique il faut définir la place de l’économie sociale et certainement modifier quelques règles (juridiques et fiscales) pour étendre son domaine et sa capacité à se développer. Il ne faut surtout pas l’enfermer dans la sous-traitance des politiques publiques.

Au niveau mondial deux mécanismes qui sont dans la logique de l’économie sociale se mettent en place : commerce équitable et micro crédit. Ce qui est surprenant c’est de voir comment l’économie de marché essaye d’intégrer ces deux concepts. La Banque Mondiale défend une micro finance vu comme un élément concurrentiel essentiel pour répondre aux besoins de financement des populations pauvres ! De même le commerce équitable est de plus en plus phagocyté par les multinationales de la distribution qui font de l’éthique un slogan publicitaire. La stratégie libérale actuelle consiste à mettre dans l’espace économique du marché concurrentiel des secteurs traditionnellement sous responsabilité publique, à faire pression sur les États pour qu’ils minimisent les contraintes mais aussi à ne pas laisser trop d’espace aux formes hybrides d’économie. Seuls les secteurs qui ne semblent pas capables de générer le moindre profit étant laissés à l’économie publique qui à son tour ne rêvent que de les sous traiter aux ONG.

"La main invisible" d’Adam Smith à ses limites. L’intérêt collectif est un peu plus que la somme des intérêts privés. L’économie pour satisfaire les besoins de l’humanité sans compromettre les intérêts des générations futures doit être plurielle, et ne doit pas au nom de la liberté des plus puissants laisser le marché envahir tout l’espace. C’est aux politiques de proposer des règles normatives, juridiques et fiscales qui permettent à chacun des modes économiques de fonctionner correctement et de s’articuler avec les autres modes. L’Europe et la mondialisation nous oblige à faire des propositions qui soient en harmonie avec les autres échelons de l’économie mondiale. L’économie sociale est porteuse de diversité, ce qui est un atout pour éviter un monde uniformisé et standardisé, comme nous le propose trop souvent les grandes multinationales.

La gauche, orpheline de son modèle simpliste, défend au cas par cas des positions critiques contre ce modèle libéral, mais elle semble avoir perdu une bonne part de sa capacité de proposition. La gauche mondiale retrouvera sa crédibilité, quand elle sera capable de présenter une réflexion conséquente sur un modèle économique efficace, socialement juste et écologiquement durable.