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  La gauche après la défaite

mercredi 9 mai 2007, par François Saint Pierre

Large victoire au second tour de Nicolas Sarkozy. Le résultat honorable de Ségolène Royal au premier tour avait été obtenu au prix d’un fort appel au vote utile, difficile avec une gauche du parti socialiste à 10% et 18,5% d’électeurs au centre, d’espérer faire mieux que 47% au second tour même avec une très forte mobilisation militante. Si Nicolas Sarkozy a eu des difficultés à convaincre au centre cela a été largement compensé par un fort affaiblissement de l’extrême droite. Paradoxalement cet affaiblissement des extrêmes et cette convergence vers le centre s’est traduit par un président qui s’est fait élire sur une posture très à droite, plus proche des positions néoconservatrices de Bush que de la tradition de la droite républicaine française.

Mais en France le centre a toujours été perçu comme étant à droite. Avec cette grille d’analyse, on a donc dans cette élection la preuve d’une forte "droitisation" de la société française. Les personnes de plus de 65 ans ont voté massivement pour Nicolas Sarkozy et l’évolution démographique joue en faveur de la droite conservatrice. La gauche traditionnelle est effectivement largement minoritaire, et elle ne peut envisager de participer à une alternance politique, que si elle fait alliance avec le centre démocrate contre la droite conservatrice. Telle est l’analyse de Michel Rocard. Sur le moment, ceux qui ont contesté cette analyse l’on fait sur la base de la victoire potentielle de Ségolène Royal. Après coup et vu l’ampleur de la défaite on ne peut contester cette analyse que par un "mea culpa" sur la stratégie électorale de la gauche.

La gauche après les élections régionales et les multiples errements du gouvernement Raffarin semblait alors en bonne position pour effacer la déroute de 2002 et reprendre la main en 2007. Le Référendum sur la constitution a montré l’ambiguïté profonde de la gauche. Division marginale pour certains, mais alors, pourquoi la gauche n’a-t-elle pas été capable de faire un choix unitaire en passant sur ses divergences internes ? En fait la question de la Constitution mettait l’accent sur les questions essentielles de la politique. Quel peuple voulons-nous constituer et quels seront demain les espaces de solidarité ? Quel niveau de régulation du capitalisme faut-il introduire au niveau européen ? Sur ces questions, une part de la gauche a montré qu’elle était effectivement très proche des thèses centristes version Bayrou. La gauche moderniste et conquérante, sûre de sa capacité à s’adapter à la mondialisation en marche, s’est gaussée de la peur du plombier polonais, pas les prolétaires. Les classes sociales défavorisées ont eu une fois de plus l’impression que le PS était bien le parti des classes moyennes plus ou moins protégées par le statut de la fonction publique. La gauche a fini de perdre dans ce Référendum sa boussole idéologique. Une partie restait très critique avec les formes modernes du libéralisme rejoignant dans le camp du NON les nationalistes conservateurs et les catégories sociales en déclin. Une autre partie tout en maintenant quelques critiques s’est dite prête à jouer le jeu d’une constitution d’inspiration très libérale. Ce grand écart n’a pas été résorbé. La gauche a abordé les élections présidentielles coupée en deux, une partie alignée sur les positions des démocrates américains, l’autre, trompée par une victoire qui ne lui appartenait pas vraiment, encore dans l’illusion de sa capacité à transformer le monde.

Il était donc impossible de faire émerger à temps un candidat qui fasse l’unanimité au parti socialiste. La procédure tardive mise en place ne pouvait qu’entériner les divergences. Le choix de Ségolène Royal entre le centriste DSK et le rallié à la gauche dure Fabius a été un non choix que les militants ont entériné en s’appuyant sur des sondages sans signification ou sur des arguments sexistes qui ne devraient pas intervenir en politique. Pas de ligne claire mais une candidate soutenue par des conseillers assez hétéroclites. Certains jours, le programme du PS est mis en avant, le lendemain ce sont des initiatives personnelles qui font l’actualité. Des éléphants à la tribune et puis quelques jours après les mêmes dans les placards avant de les ressortir pour servir de potiche. En fait on a assisté à l’instabilité idéologique d’un parti qui a hésité jusqu’au bout sur la tactique à prendre. Malgré son grand âge, Le Pen n’avait pas encore abandonné la place du diable dans la société française et la diabolisation trop tardive de Nicolas Sarkozy a fini par discréditer la campagne de la gauche. L’énergie et la pugnacité de Ségolène Royal ne pouvait pas compenser la faiblesse du parti socialiste face à la puissance de l’UMP, qui avait de son côté réussi à faire son unité. Pire, le ralliement d’une partie de l’électorat de gauche à François Bayrou a mis au grand jour la double nature de la gauche. DSK le grand perdant des primaires socialistes a été perçu malgré toutes ses dénégations comme le premier ministre idéal de François Bayrou !

La gauche de la gauche avait pour socle d’une potentielle union un NON à la Constitution. Ce n’est pas en quelques mois et quelques réunions hâtives de collectifs informels que l’on transcende les clivages entre des partis lourdement chargés d’histoire. La gauche de la gauche a montré une fois de plus que les positions extrêmes sont trop souvent un mélange d’idéalisme utopique et de militantisme très ciblé. Attitudes certes efficaces localement ou sur quelques enjeux planétaires, comme le changement climatique, mais assez décalés des préoccupations principales des citoyens au niveau national. Le traumatisme du premier tour de 2002 et l’appel du vote utile a fini par réduire à pas grand-chose cet électorat. La somme des voix des deux candidats qui se réclamaient d’une écologie politique plus ou moins altermondialiste est de 3%. Les partis d’inspiration marxiste sont à 7,5%. Pour sauver le soldat Royal en difficulté dans les sondages, la gauche du PS a, en bonne partie, sacrifié ses convictions.

Il y a donc bien eu erreur, mais celle-ci ne saurait se résumer à une erreur de casting. La gauche a perdu son scénario. Pourquoi pas une recomposition politique avec un parti démocrate et un parti de gauche utopiste ? Pourquoi pas une scission du PS avec une part qui ferait alliance avec le Mouvement des démocrates et l’autre qui construirait une alliance avec les restes de la gauche de la gauche. ? Pourquoi pas un aggiornamento au PS qui choisirait une fois pour toutes une stratégie globalement cohérente, soit dans la tradition sociale-démocrate, soit dans la tradition jaurésienne ? Pourquoi ne pas laisser filer la situation, en se disant qu’après quelques années de droite dure, les électeurs reviendront au bercail ? Mais dans tous les cas il est important qu’un travail de fond soit fait pour aider les gens de gauche à se retrouver idéologiquement. Dans cette société qui a profondément muté et qui doit se préparer à affronter des crises majeures, la gauche doit être capable de proposer un projet de société qui soit suffisamment utopique pour faire rêver et qui soit suffisamment réaliste pour être crédible.