Le Café Politique

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  Et si la « rue » avait raison ?

vendredi 31 mars 2006, par François-Xavier Barandiaran

Jeunes et adultes, parents et enfants, dans un mouvement intergénérationnel, une majorité des français, représentée par les sondages et par le nombre grandissant de manifestants, réclament le retrait du CPE et du CNE, devant le regard éberlué de la presse étrangère. Alors que des voix de sirène des louangeurs du néolibéralisme ou les discours péremptoires des économistes du MEDEF proposent la flexibilité comme panacée au chômage, nos concitoyens refusent que les jeunes, et les salariés en général, deviennent « la variable d’ajustement » des aléas du marché. Après avoir accaparé la plus grosse part des richesses créées depuis 30 ans, le capital voudrait que les salariés soient les seules victimes sacrifiées aux adaptations exigées par la nouvelle économie.

Le CPE, tel un puissant répulsif à la politique de la droite, s’est transformé en un révélateur d’angoisse des nouvelles générations et en un catalyseur de l’unité de lutte entre étudiants et salariés. Quelques mois après la révolte des jeunes « des quartiers », qui se sentent déjà dehors, voilà celle des jeunes des classes moyennes qui ont peur de les y rejoindre. Dans un mouvement défensif tous proclament le même désir d’intégration. Oui ! Contre l’entêtement du gouvernement Villepin et du Président Chirac, « la rue » a raison ! Et c’est peut-être encore une « exception française » que de ne pas vouloir passer sous les fourches caudines du néolibéralisme !

Mais, ce que la France vit depuis quelques semaines est aussi significatif des blocages de notre société : du recours incessant à la loi, en court-circuitant la société civile et les associations citoyennes ; de l’incapacité de dialogue entre forces sociales et politiques ; de la crise de la représentativité politique : d’après un récent sondage, 69% des français pensent que les hommes politiques ne se préoccupent pas de ce qu’ils pensent ; du mépris à l’égard des syndicats, alors que la loi relative au dialogue social, de mai 2004, stipulait : « le gouvernement prend l’engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail » ; de la faiblesse des syndicats, doublée d’une volonté du patronat de les affaiblir encore davantage ; de leur incapacité, accaparés qu’ils sont par la défense des « droits acquis », d’attirer les nouvelles catégories : jeunes, précaires et chômeurs ; du manque de pragmatisme des forces sociales et politiques devant les transformations nécessaires pour s’adapter à une économie globalisée ; enfin, de la fuite générale de notre société dans un passé glorieux et historique : une République, issue de la Révolution, mais qui devient incapable de répondre aux situations nouvelles.

Comment dépasser le nominalisme républicain dans lequel notre société,-y compris les partis politiques-, se réfugie, pour que la devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » puisse continuer à fonder le vivre-ensemble, dans ce siècle qui ne fait que commencer ?

Partons d’un constat : le monde a changé, et il faut remonter aux « trente glorieuses » pour retrouver une société sans chômage. Peu nombreux doivent être, aujourd’hui, ceux qui n’ont pas compris qu’un grand effort d’adaptation aux nouvelles donnes du marché, pour garder la compétitivité de la France, doit voir le jour. Mais, à l’intérieur d’un effort collectif national qui exige la remise en question de nos habitudes et de certaines traditions sociales.

Les plus réfractaires de nos concitoyens comprendraient la nécessité des réformes, si les sacrifices qu’on leur demande étaient précédés d’un nouveau statut professionnel, garanti par la mise en place d’un système de nouveaux droits : de prise en charge en cas de perte d’emploi, de formation et d’incitation à la recherche d’un nouveau travail. Après la lecture du livre « Faut-il brûler le modèle social français » d’A.Lefebvre et D.Méda, (Seuil, mars 2006), je pense au modèle nordique, qui allie à l’efficacité économique un haut niveau de protection sociale. Non pas, parce qu’il est un modèle parfait, et encore moins, qu’il soit transférable tel quel en France ! Mais, parce qu’il peut nous inciter, dans le respect de notre tradition républicaine et de notre idiosyncrasie, à chercher des solutions aux problèmes de la nouvelle distribution du travail. Quand on en parle dans notre pays, c’est pour aller « piquer » quelques idées simplistes : flexibilité totale de l’emploi en échange de fortes indemnités de chômage et d’un accompagnement efficace et contraignant du chômeur.

En réalité, il s’agit d’un véritable projet national (avec quelques différences selon les pays), qui traduit une façon d’être sociale : la capacité de chaque individu, de chaque entreprise et de la société tout entière de s’adapter et de chercher le résultat optimal au moyen de la négociation collective. Ainsi, la flexibilité n’est pas seulement un avantage pour l’employeur, mais aussi la possibilité pour le salarié de faire valoir ses besoins personnels, comme le temps partiel choisi, ou de suivre une formation pour changer d’orientation professionnelle. L’intervention de l’État est forte, mais les modalités pratiques passent par les collectivités locales, qui gèrent au plus près des personnes les services sociaux. Toutes les mesures sociales sont destinées à l’individu (et non à la famille), dans un grand respect de l’égalité de l’homme et de la femme. Les négociations se déroulent dans la tradition de dialogue et de recherche de consensus entre le patronat et des syndicats puissants, auxquels adhèrent environ 80% des salariés. L’investissement dans l’éducation et la formation permet un immense effort d’apprentissage tout au long de la vie.

Évidemment, ce système est financé par une part importante du PIB, une pression fiscale élevée et un taux de TVA bien supérieur au nôtre, « qui (permettent) de garantir que personne ne sera exclu de la société parce qu’il est sans emploi » (op.cit. page 63) Ce qui permet d’affirmer aux auteurs que , même en cas de perte d’emploi, les périodes de chômage « sont davantage des périodes de transition que de drame », et que la philosophie sous-jacente à ce système est que « la personne sans emploi a des droits et des devoirs (notamment chercher activement un emploi), comme la société à laquelle elle appartient » (ibid. page 84).

Alors, quelle que soit l’issue du mouvement actuel, quelles perspectives pour la France ? Bien que les syndicats commencent à parler de « sécuriser les parcours de formation » et même d’une « sécurité sociale professionnelle », nous sommes encore loin de l’ébauche d’un tel système. Lors du meeting unitaire à Toulouse, le 29 mars, de tous les partis de gauche, plus la LCR et LO (signe de bon augure pour l’avenir ?), le secrétaire du PS, Kader Arif, a affirmé : « les français…veulent que nous nous concertions sur un projet global pour mettre fin à la précarité ». C’est, en tous cas, une attente pressante du peuple de gauche, maintenant que le président Chirac, après avoir promulgué la loi, annonce un nouveau débat à l’Assemblée Nationale et des concertations avec les forces syndicales et estudiantines.

C’est, en tous cas, une attente pressante du peuple de gauche, maintenant que le président Chirac, après avoir promulgué la loi, annonce un nouveau débat à l’Assemblée Nationale et des concertations avec les forces syndicales et estudiantines.