Le Café Politique

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  Les limites du réformisme.

mercredi 29 mars 2006, par François Saint Pierre

Dans les grands médias on peut lire et entendre que notre société est désespérément bloquée, inapte à s’adapter à la modernité libérale et aux contraintes économiques liées à la mondialisation. Cette incapacité à se transformer serait même la principale source du supposé "déclin de la France". Les partis de droite, après avoir longtemps tenu une position ambiguë : "le changement dans la continuité", sont prêts à passer à une stratégie de rupture, quitte à affronter le mécontentement des foules. Si, officiellement, le pouvoir continue à se réclamer d’une culture de la négociation, c’est de plus en plus le passage en force. Le parlement "tique" un peu, mais en général cautionne, les syndicats peuvent encore faire défiler plus d’un million de personnes dans les rues, mais depuis quelques années, ils ne semblent pas assez puissants pour faire changer les décisions prises par le gouvernement.

Le désir de changer profondément la société n’est pas que l’apanage des libéraux. Il existe deux grandes motivations respectables pour vouloir transformer radicalement la société : la justice sociale et l’écologie. Ces deux raisons, pourtant extrêmement valables, ne sont défendues que par des minorités sous représentées dans notre système démocratique. Ces "doux rêveurs", par leur dynamisme militant, constituent cependant une force politique non négligeable. Au-delà de la volonté des hommes, le changement climatique ou la crise énergétique peuvent aussi conduire notre société à modifier drastiquement sa manière de vivre.

Le conservatisme n’a pas bonne presse en France, la plupart des français se veulent réformistes, c’est ce qui caractérise les partis de gouvernement. Dans les années récentes, la société a beaucoup évoluée sur le plan anthropologique, beaucoup moins au niveau économique ou politique et notre modèle social, dont on a pu pendant longtemps être fier, semble moins bien adapté que celui des pays nordiques.

Si bon nombre de transformations se font sans trop de difficultés par des successions de lois, sur certaines questions la France semble préférer le modèle de la crise, en espérant qu’elle provoquera une rupture salutaire. Notre démocratie semble incapable de traiter politiquement certains problèmes de fonds, qui n’arrivent même pas à émerger dans le débat politique, car ils semblent liés à une temporalité par trop déconnectée des échéances électorales. C’est le cas des grands enjeux écologiques comme le changement climatique, l’eau, l’énergie, la pollution, mais aussi de la répartition des avantages et des charges entre les générations. En mai 1968, c’est la remise en cause du vieux modèle patriarcal et moraliste de notre société qui a été le principal moteur du mouvement initié par les étudiants. Actuellement la tension qui monte se cristallise autour du CPE, mais c’est l’adaptation aux difficultés du moment, par la construction lente mais en profondeur d’une société à deux vitesses qui pose problème. D’un côté les "rentiers", dotés d’un statut social et d’un patrimoine financier, immobilier et culturel et de l’autre, les travailleurs plus ou moins précarisés, les chômeurs et les exclus en tout genre (cf. la "crise des banlieues"). Si les cinquantenaires sont plutôt du côté des rentiers, les jeunes sont de plus en plus du côté des précaires. La solidarité familiale a permis d’anesthésier une bonne partie de la jeunesse, qui a accepté sans trop de problèmes cette évolution. Proposer un horizon de 45 ans de travail avec plus de 10 ans de statut précaire, au commencement de la vie active, est difficilement acceptable pour la génération concernée, même si cela est fait au nom de lois votées "démocratiquement". La démocratie ne se caractérise pas uniquement par la règle majoritaire, le respect des minorités, l’intérêt collectif et la justice sociale font aussi partie des principes de base, qui sont loin d’être toujours respectés.

Notre société a développé un bon arsenal sécuritaire qui peut lui permettre de résister à des émeutes urbaines. Le pouvoir en place au nom de sa légitimité électorale et de ses certitudes idéologiques peut continuer à passer en force. Les tensions internes à la société, accentuées par des mesures maladroites et mal négociées peuvent pourtant conduire à une crise importante. Dans l’histoire française, toutes les crises n’ont pas été négatives, certaines ont débouchées sur des ruptures positives. Pour autant, ne faudrait-il pas chercher à obtenir des transformations sociales importantes sans avoir les effets pervers inhérents à ces situations plus ou moins incontrôlables ?

L’ensemble de notre système politique semble obsolète, l’élection présidentielle de 2002 et le référendum de 2005 ont bien montré l’inadéquation de l’offre politique avec la demande sociale. Les partis politiques prennent le pouvoir sur des programmes construits pour gérer le court terme et ils cherchent plutôt à s’adapter aux contraintes électorales et médiatiques du moment plutôt que d’engager des réflexions de fond. Tous les ingrédients sont présents pour alimenter la révolte de pans entiers de la société. Si les urnes sont incapables d’arrêter cette "révolution" réactionnaire, proposée par les tenants de la société de consommation libérale, il n’est pas sur qu’il soit possible ni souhaitable d’éviter cette crise qui couve depuis quelques temps.