Le Café Politique

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  La "constitution" est morte.... vive l’Europe !

samedi 4 juin 2005, par François Saint Pierre

« Bruxelles fourmille de plans « B », « C » et « D », » titrait Le Figaro du 3 juin. Après le non Français et le non Néerlandais, l’Europe est en crise, mais elle bouge encore ! Le dépit légitime des partisans du oui n’est pas encore estompé que l’Europe se prépare à rebondir, tant mieux !

L’histoire a tranché, ceux qui ont cru que cette constitution serait acceptée se sont trompés. Pour autant le bilan est loin d’être négatif. Si dans beaucoup de pays le vote par les parlements n’a pas permis de provoquer un grand débat, en France les électeurs ont contredit tous les discours désabusés sur la dépolitisation des masses. Le résultat du référendum a choqué les dirigeants européens, il a pourtant, sur le fond, été compris comme la volonté de ne pas entériner les défauts d’une construction technocratique. La France ne sera pas le "mouton noir" de l’Europe et elle ne sera mise à l’écart, elle peut même contrairement à tous les pronostics retrouver un peu de prestige auprès des peuples de l’Europe. Plus profondément ce vote négatif n’est pas la fin de l’histoire européenne, en effet le "non" n’est plus ce qu’il était. Certains interprètent ce résultat comme une volonté de repli nationaliste, cette lecture qui a pour fonction de culpabiliser les électeurs ne résiste pas à l’analyse des résultats. Pour le philosophe Philippe Raynaud : "Ce qui l’a emporté, c’est avant tout une problématique sociale, antilibérale et anticapitaliste. Si les gens craignent la concurrence d’ouvriers payés six fois moins qu’eux, cela en fait-il des xénophobes ?". De même les électeurs du oui ne sont pas tous, loin de là, des partisans de l’ultralibéralisme.

L’Europe est déjà là, présente dans beaucoup de nos lois qui pourtant nous semblent franco-françaises, mais aussi dans les multiples imbrications économiques. La question de la subsidiarité, qui revient à penser l’autonomie des États nationaux mérite d’être approfondie, de la même manière qu’en France on pose la question de la décentralisation. Dans cette période de mondialisation intense, la question de la souveraineté a évolué, il ne s’agit pas de défendre envers et contre tout le cadre national mais d’articuler les différents niveaux d’appartenance pour que le citoyen puisse participer aux choix qui engagent son avenir.

Le désaveu des responsables politiques français est réel, mais ce désaveu se retrouve depuis 25 ans, d’élection en élection, c’est donc qu’il y a aussi la désapprobation d’un choix qui est en commun à tous les partis de gouvernement. La faiblesse du gouvernement Raffarin a certainement gêné le camp du oui mais résumer ce référendum à un plébiscite à l’envers, en laissant supposer qu’un bon gouvernement aurait changé le résultat me paraît totalement erroné. Ce qui a été désavoué, c’est le fonctionnement actuel de la société. Les choix de la construction européenne, en accord avec ceux de nos dirigeants de droite et de gauche, en sont en partie responsables. Voter non, c’était refuser la continuation de choix antérieurs. Voter oui, c’était penser que ce texte grâce à quelques compromis entre les libéraux et les sociaux démocrates était un bon rempart contre l’arrogance actuelle de l’ultralibéralisme.

La droite est en difficulté, de tradition étatique elle ne sait pas comment faire pour adapter ses troupes à la modernité libérale. La droite souverainiste est de moins en moins prête à faire des compromis avec la droite de gouvernement. 20% de l’électorat UMP et 25% de celui de l’UDF n’a pas voulu suivre les consignes de vote. Jacques Chirac s’est fortement impliqué pour le oui, face à un puissant désaveu sa réponse est pathétique : il vire Raffarin qui est déjà usé jusqu’à la corde !. Concurrent dans la course à l’Elysée, De Villepin et Sarkosy ont tous deux pour l’UMP défendu le oui, en faire les numéros 1 et 2 de ce nouveau gouvernement c’est faire le choix de la perversité politicienne contre l’intérêt de la France. Parler de 100 jours, pour arrêter la dégradation de l’emploi, c’est confondre les effets de manche médiatique et le réel des citoyens.

La gauche est coupée en deux, sa principale difficulté c’est comme le dit Jérome Jaffré de la SOFRES que : « le vote oui est globalement indexé au prix du mètre carré du logement dans lequel vit l’électeur ». Le discours des dirigeants du parti socialiste et des verts n’est plus du tout en phase avec les classes populaires. Les intellectuels traditionnellement de gauche sont très partagés, bon nombre, surtout chez les jeunes, se reconnaissent plus dans l’altermondialisme que dans les tactiques social-libérales défendues par les directions. L’enjeu immédiat pour ces deux partis est de démontrer une forte capacité à surmonter les désaccords internes. Il est normal que les militants choisissent les options politiques, mais si on veut que les électeurs suivent, il faut une cohérence entre le choix des militants et le désir des sympathisants. Le désaccord entre le vote du 29 mai et les référendums internes du PS et des Verts doit être analysé, se contenter comme après le 21 avril 2002 de culpabiliser des électeurs infidèles n’est pas la solution. Le 02/12/2004 le même Jérôme Jaffré écrivait suite au référendum interne dans Le Monde : « Pour les sympathisants et électeurs du parti, c’est clair, à travers tous les sondages qui ont été publiés juste avant le vote et qui, à mon sens, ont impressionné les adhérents eux-mêmes, car plus de 60 % des sympathisants se prononçaient pour le "oui", et une victoire du "non" au sein du parti aurait donc créé un décalage impressionnant entre le parti et sa base électorale. » Il faudrait peut-être reconnaître, six mois plus tard, qu’il y a eu, une fois de plus, un peu trop de crédulité dans des sondages qui n’avaient pas, si loin du scrutin, de signification. En politique comme ailleurs on se grandit de reconnaître ses erreurs.

Les médias essayent de ramener les enjeux post électoraux à la campagne présidentielle de 2007. Le Président en exercice a montré les limites de sa fonction et de son pouvoir. Certes, l’autoritarisme d’un Sarkosy mérite de faire en sorte de lui enlever toute chance de parler un jour au nom de la France, mais cette campagne passionnante a bien montré que le débat politique ne pouvait se résumer au choix du prochain président. La question européenne doit rester plus que jamais au centre du débat car elle permet de penser correctement les grands enjeux économiques et sociaux. A l’heure où la Chine et l’Inde émergent sur le plan international, la question de l’Europe puissance politique ne doit pas non plus être négligée. Si les dirigeants actuels ne sont pas capables de gérer cette crise de croissance, il appartient aux peuples d’Europe de les remplacer....démocratiquement. Les français on bien répondu à la question posée : on veut bien de l’Europe mais pas celle proposée par la Convention. Ce refus va certainement arrêter le processus constitutionnel à nous tous de faire en sorte que ce ne soit pas la fin du projet européen.