Le Café Politique

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  La politique, c’est aussi une affaire de confiance

mercredi 4 mai 2005, par François-Xavier Barandiaran

Qui a dit que les français ne s’intéressent plus à la politique ? Depuis quelques semaines les réunions-débats sur le projet de Constitution européenne font salle comble, les livres sur le sujet se vendent par milliers, les médias consacrent des espaces importants à la question et Internet joue pleinement son rôle d’agora virtuelle. Dommage que dans beaucoup d’autres pays européens ce débat n’ait pas eu lieu ! C’est, donc, le premier point positif à mettre à l’actif de cette période pré-référendaire. Il y a comme une volonté de rattrapage pour toutes les décisions prises antérieurement par les hommes politiques sans en référer au peuple. Alors les gens se sont saisis de cette opportunité qui, peut-être, ne se répétera pas de sitôt, et, malgré l’aridité du sujet, beaucoup de personnes font des efforts de lecture pour se créer une opinion personnelle, plutôt que de chercher à connaître celle d’Untel.

Mais, c’est là qu’on doit signaler une première fausse note dans le fonctionnement de notre démocratie : on a beau savoir que la plupart des médias sont aux mains de groupes industriels, on n’en est pas moins scandalisé du matraquage en faveur du « oui ». On pourrait comprendre que la grande majorité des journalistes et d’éditorialistes de ces médias soient favorables au « oui », mais ce qui n’est pas acceptable c’est qu’on n’ait laissé aux partisans du « non » que la portion congrue : à peine 30% d’antenne dans les chaînes de TV ! Il est vrai qu’au fur et à mesure que le « non » s’affirmait dans l’opinion, ces temps derniers, certains médias ont un peu rectifié le tir, en traitant avec moins de mépris et d’arrogance les arguments des partisans du « non ». Il ne nous reste, comme lot de consolation, que la consultation de certains webblogs ou la lecture de Politis, Marianne ou Le Monde Diplomatique. Décontenancés par le décalage entre leurs doctes analyses et la persistance à prôner le « non » de la part d’une grande partie de l’opinion, ces mêmes journalistes ont mis en avant les « peurs », la « grogne » et « l’irrationalité » des français. Mais, faut-il s’étonner de la méfiance de ces citoyens à qui on a promis, lors de chaque traité européen, que les avancées sociales et le recul du chômage surviendraient aussitôt après ? Ils n’y croient plus ! Et il en sera ainsi tant que le taux de chômage sera en augmentation (alors que Raffarin avait pronostiqué une diminution de 10% pour l’année 2005), ainsi que le nombre de Rmistes, des précaires, de SDF ou de travailleurs pauvres qui ne gagnent pas assez pour se payer un logement. La menace de « l’insécurité sociale » plane sur des millions de parents qui craignent, à juste titre, que leurs enfants ne vivent plus mal qu’eux. Les colères d’une société qui voit ses conditions de vie se dégrader se paient en politique tôt ou tard ! D’où le manque de confiance et la crise de la représentation politique. J’emprunte à l’écrivain portugais, J.Saramago, cette définition de la démocratie représentative : « au moment précis où le bulletin est introduit dans l’urne, l’électeur transfère dans d’autres mains, sans autre contrepartie que des promesses entendues pendant la campagne électorale, la parcelle de pouvoir politique qu’il possédait jusqu’alors, en tant que membre de la communauté de citoyens ». Il ne faut pas que ce troc : « ma voix contre votre projet » devienne un marché de dupes ! Ainsi donc, le lien qui unit le citoyen-électeur aux hommes politiques est le résultat d’un « deal », d’une adéquation entre l’espoir et la confiance qu’on accorde aux hommes politiques et la capacité de ceux-ci à répondre aux attentes des gens et à proposer des perspectives. C’est bien une affaire de confiance ! Or, beaucoup de français, depuis l’élection de Chirac avec 82% de voix, vivent en pleine défiance. C’est vraiment une crise de la représentation politique : au 2ème tour de la présidentielle le pays n’avait pas donné un blanc-seing au Président pour qu’il applique la politique la plus à droite qu’on ait connue en France. On voulait tout simplement barrer la route à Le Pen. Et toutes les élections qui ont eu lieu depuis et que la droite a perdues le prouvent.

Un autre requis du bon fonctionnement de la démocratie c’est que les projets des partis politiques soient clairs -« et non faussés » !-, pour que les citoyens puissent faire leur choix en toute connaissance de cause. Prenons un cas précis : depuis les années 80 le PS a accepté progressivement l’économie de marché (selon la formule de Jospin : « oui à une économie de marché, non à une société de marché »), devenant ainsi de moins en moins socialiste et de plus en plus social-démocrate. Avant lui d’autres partis socialistes européens ont connu cette mutation : allemand, travailliste et même les scandinaves. Ce qui les a obligés à définir de nouvelles lignes par rapport aux idéaux sociaux des origines en face de l’économie de plus en plus mondialisée. C’est ce qu’on appelle la social-démocratie, que je me garderai bien d’assimiler aux pratiques des partis de droite : il y a encore des différences, que la comparaison entre le bilan de Jospin et la politique des divers gouvernements Raffarin met aisément en évidence. Le problème du PS est de n’avoir jamais clarifié sa ligne politique : en fait, il en a deux, ce qui est montré, une fois de plus, par les clivages actuels à l’égard du référendum, et qui se traduit, de façon plus générale, par des promesses électorales socialistes, suivies par des pratiques gouvernementales sociales-démocrates. Il ne pourra pas indéfiniment maintenir deux fers au feu.

Même si à notre époque les grands projets idéologiques ne font plus recette, le respect des citoyens et la clarté des chois proposés exigent que les forces politiques usent d’un langage de vérité (pensons au poids qu’on a fait porter à l’Europe pour se dédouaner des choix faits à Paris !), en proposant des solutions où le citoyen pourra distinguer les divers programmes politiques qui lui sont proposés. Les partis politiques n’ont pas à courir derrière l’opinion publique pour y coller le plus près possible (pourquoi la France est le pays où il y a le plus de sondages d’opinion ?). Le rôle d’un parti politique c’est de proposer des solutions, d’en débattre avec les citoyens avant d’obtenir leur voix lors d’élections qui permettent d’accéder à la prise du pouvoir. Malheureusement ils ont tendance, de plus en plus, à devenir des machines à élections, où ce qui prime avant tout, c’est d’avoir des élus. Dès lors, il est plus important de participer à des émissions de divertissement à la TV que d’organiser des débats dans les quartiers. Séduire, plutôt que convaincre. Pourtant, il y a quelques mois des partis, comme le PS, l’UMP et l’UDF, avaient inventé, chacun selon sa formule, une nouvelle forme d’adhésion moins contraignante que la carte d’adhérent classique, pour associer davantage de sympathisants aux débats politiques. Quelle en a été la suite ? On n’en entend plus parler !

Pour conclure ces quelques réflexions, quel que soit le résultat du 29 mai, il faudrait dès le lendemain essayer de maintenir vivante la braise du débat citoyen qui a alimenté la campagne référendaire : partis politiques, courage, la politique peut encore intéresser les citoyens !