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  La gauche peut-elle mourir ?

lundi 22 mars 2021, par François Saint Pierre

L’axe gauche-droite qui correspond à une longue histoire, et accessoirement à la logique de notre constitution, semble être devenu obsolète. Les français pronostiquent pour 2022 un duel totalement étranger à cette dualité, entre les champions d’un souverainisme un peu xénophobe et les partisans d’un mondialisme teinté d’étatisme autoritaire.

La gauche et la droite sont des notions politiques relatives, dont la naissance remonte à 1789 lors d’une répartition des députés, ceux qui étaient favorables à conserver du pouvoir au roi s’étant regrouper à droite du président de l’Assemblée constituante. A la droite : la propriété, le conservatisme et la hiérarchie, à la gauche : l’égalité, le changement, la solidarité. Mais cet axe n’est pas figé et les deux camps revendiquent la liberté, la laïcité ou la fraternité. Si cet axe disparaissait, ce ne serait pas la fin du monde, mais ce serait un recul pour notre démocratie qui a besoin de lisibilité pour organiser le débat public et prendre des décisions.

Si la droite classique est un peu à l’étroit entre une extrême droite national-populiste et une "République en Marche" néolibérale, la gauche a perdu récemment son centre de gravité social-démocrate. La gauche s’est construite sur l’idée d’égalité et de justice sociale contre toutes les dominations et contre la vision d’une société qui justifie par pragmatisme les hiérarchies sociales et économiques. Héritière successivement des lumières, du libéralisme politique, du républicanisme, du mouvement socialiste et plus récemment de la pensée altermondialiste et écologique, elle est en difficulté pour construire une vision commune lors des grands rendez-vous électoraux.

En manque d’utopie, mais en excès de promesses

L’élection présidentielle ayant phagocyté toutes les autres élections, la logique partisane pousse chaque parti politique à être présent au premier tour et conduit logiquement à la disparition de la gauche au second. Cela conduit à mettre l’accent sur les différences pour essayer de s’imposer comme le parti leader et bénéficier d’un ralliement préalable. Combats sans merci lors des autres élections qui donnent l’impression d’une gauche bien plus divisée qu’elle n’est en réalité. Si ce sectarisme est en partie lié à la faiblesse démocratique de notre constitution, il s’appuie aussi sur la tendance à mélanger allègrement l’objectif d’une prise de position politique et les moyens pour y arriver. Proposer des moyens irréalistes n’est pas forcément plus à gauche que faire des propositions modestes, efficaces et bien acceptées par la population. La dichotomie droite gauche permet de comprendre rapidement des prises de positions politiques, mais cela n’a pas grand sens d’en faire un axe du bien et du mal.

Notre système constitutionnel a transformé nos campagnes électorales en présentation quasi commerciale d’un catalogue de promesses. Tous les élus qui ont eu accès aux responsabilités politiques ont compris qu’il était difficile de transformer une promesse en réalité. Si l’aspect financier est souvent mis en avant pour justifier les promesses non tenues, cela traduit essentiellement une illusion bien ancrée dans notre imaginaire sur la capacité d’action des politiques. En effet, si certaines décisions peuvent être prises avec pas mal d’autonomie, la plupart des choix importants demandent l’accord de nombreux intervenants. Nos sociétés sont basées sur un réseau complexe de porteurs d’intérêts et de pouvoirs qui ne se limite pas au simplisme de l’élection qui fabrique une majorité et une opposition. L’organisation du monde en États souverains favorise cette illusion. La souveraineté est en principe illimitée, mais si on n’est pas d’accord avec l’idéologie mondialement dominante la résistance peut conduire à une marginalisation extrême, comme la Corée du Nord ou l’Iran. La démocratie n’est plus que locale et les promesses qui concernent de près ou de loin des intérêts non nationaux ne seront réalisables que si elles ont l’acceptation implicite d’une économie mondialisée.

De nombreux enjeux collectifs, comme le changement climatique ou la gestion des pandémies n’ont de sens qu’à l’échelle mondiale. Sur ces enjeux une proposition essentiellement nationale n’a aucun sens. Par exemple : proposer de sauver le climat par la construction de centrales nucléaires en France n’est acceptable que si on propose de tolérer la construction de plusieurs milliers de centrales nucléaires dans tous les continents. De même, éradiquer le Sars-cov 2 suppose un effort mondial et non de mettre en œuvre une super campagne de vaccination dans les pays riches.

La social-démocratie un échec relatif

La social-démocratie a pour principe d’accepter une société dominée par le marché, mais d’ajouter suffisamment de redistribution et de régulation pour satisfaire l’essentiel des principes socialistes. L’intuition social-démocrate c’est d’avoir compris que l’État ne devait pas prétendre à une mainmise totale sur la vie des gens. La propriété privée et le marché ont aussi un rôle à jouer. C’est au nom d’une liberté individuelle abstraite que souvent ce choix est justifié, mais cette position qui se veut pragmatique a trop souvent conduit la gauche sociale-démocrate à finir en adepte de la théorie du ruissellement.

Si la construction d’un État providence dans certains pays nordiques peut être vue comme positive, la social-démocratie n’a pas réussi à maîtriser l’hubris du capitalisme financiarisé. La redistribution contribue à ralentir la progression des inégalités sociales, mais les régulations du système productif sont trop faibles pour empêcher l’explosion des inégalités de patrimoine. Le principe du marché comme facteur important d’auto-organisation de la société ne permet pas de faire émerger le pouvoir du peuple sur les choix collectifs. De manière caricaturale et malgré leur bonne volonté personnelle, les élus apparaissent trop souvent comme des valets du capital chargés de gommer les excès et de gérer les catastrophes. Le niveau d’autonomie qu’on laisse aux marchés doit rester au cœur d’une réflexion de ce que doit être une gauche moderne. Pour rééquilibrer le rapport entre l’État et la liberté individuelle, au-delà des nécessaires régulations, il faut développer des biens communs dont l’autonomie doit être garantie par des institutions indépendantes.

L’idéal démocratique basé sur l’égalité n’a pas besoin de se prétendre social. Être démocrate c’est revendiquer l’autonomie des citoyens, au-delà de l’égalité des droits, cela nécessite suffisamment d’égalité dans la vie réelle pour que chacun puisse vivre libre et participer activement au destin commun.

La gauche et les appartenances

Historiquement, la gauche s’est développée sur une inspiration universaliste. Concept ambigu qui pour beaucoup est plus un symptôme d’arrogance idéologique, que la prise de conscience des multiples interdépendances qui lient tous les humains. La famille et la patrie ont toujours été les appartenances privilégiées par la droite conservatrice, la droite néo-libérale par contre s’est ralliée à la mondialisation de l’économie et de la finance. De même, la gauche s’est divisée sur cette question. La frange sensible aux questions environnementales ou aux luttes sociétales comme le féminisme et le racisme a mis l’accent sur le fait que nous habitons tous la même terre. Les héritiers des luttes ouvrières ont plutôt valorisé la république comme notre point d’ancrage essentiel.

La gauche n’a pas su affronter cette question et certains ont évolué vers un nationalisme républicain et d’autres dans la survalorisation sectaire de l’appartenance à des communautés opprimées. Cela s’est traduit par ce que Philippe Corcuff appelle le "confusionnisme". Lorsque des notables sociaux-démocrates rallient le gouvernement néolibéral de Macron ou lorsque d’anciens intellectuels de gauche publient des articles dans le Figaro ou se mettent à combattre l’épouvantail de l’islamo-gauchisme, cela interroge sur la solidité des convictions de ceux qui se réclament encore de gauche. Une réflexion globale sur le concept de souveraineté nationale et les enjeux géopolitiques, sur les risques du communautarisme des opprimés et sur le danger d’un discours trop abstrait qui n’aurait aucun lien avec le local est à mener de toute urgence.

La croissance est-elle encore de gauche ?

Longtemps la croissance était de droite et de gauche. Portée par le progrès scientifique et technique, la croissance, associée positivement à la société de consommation, était l’espoir d’un monde meilleur. Depuis une cinquantaine d’années le taux de croissance diminue en France, mais les économistes comptent encore sur sa future positivité pour éponger la dette liée à la crise sanitaire. Par contre petit à petit la croissance mesurée par le PIB s’est montrée problématique avec des idées de gauche.

- La croissance n’a pas vraiment amélioré la justice sociale et le ruissellement ne se fait que très partiellement

- Le productivisme moteur de la croissance est orthogonal aux enjeux environnementaux.

La tentative de définir une croissance verte n’a accouché pour l’instant que du "greenwashing". Comment transformer une croissance liée à l’augmentation des biens de productions en une croissance de la qualité de vie plus égalitaire et plus respectueuse de l’environnement ? Les différentes composantes de gauche sont loin de proposer des solutions qui pourraient servir de base à un programme commun. L’énergie nucléaire ou l’usage des pesticides font partie de ces épines dans le pied qui peuvent faire douter de la capacité de la gauche à gouverner.

Construire une maison commune

Les différentes composantes de la gauche sont historiquement et idéologiquement trop distinctes pour envisager de les voir dans l’immédiat se regrouper au sein d’un grand parti. Dans notre système constitutionnel les alliances se font toujours au détriment des partis minoritaires qui ne sont réduits qu’à des forces d’appoint et l’absence d’alliance peut conduire à une très forte marginalisation comme cela a été le cas pour les partis d’inspiration trotskiste. Pour éviter les oubliettes de l’histoire et faire des accords gagnant-gagnant, il faut d’abord arrêter de mettre systématiquement en avant le spécifique pour souligner ce qui a de commun dans la démarche de tous les partis de gauche. Le point central reste la lutte contre toutes les dominations, que cela soit celle des humains sur la nature, celle des hommes sur les femmes, des puissants sur les faibles ou des riches sur les pauvres.

Point n’est besoin de renier l’histoire de la Commune ou les multiples luttes menées par les travailleurs, mais par contre il faut montrer que les luttes contre les dominations ne sont pas indépendantes. Ce sont les pauvres du monde entier qui souffriront le plus du réchauffement climatique et de la dégradation de l’environnement.

La gauche comme concept politique peut disparaître. Les années qui suivent donneront peut-être une nouvelle conception de la politique où les affrontements ne seront plus liés à des questions d’inégalités ou de domination, mais à des enjeux d’appartenance, de croissance ou d’environnement. Comme beaucoup, je pense que ce serait dommage de ne plus défendre l’égalité et le respect de tous les êtres vivants lors des choix démocratiques. La balle est dans le camp de tous les militants des partis politiques pour faire en sorte que dans un premier temps les valeurs de gauche ne disparaissent pas du débat public et que dans un deuxième temps les partis de gauche retrouvent la crédibilité nécessaire pour peser sur l’histoire.

Les valeurs doivent s’articuler avec des propositions concrètes. La critique des décisions du pouvoir ne peut suffire pour retrouver le chemin des succès électoraux. Sur tous les nombreux enjeux actuels, qui vont du terrorisme à la gestion de la crise sanitaire, en passant par la cirse sociale et économique, les composantes de gauche doivent travailler ensemble pour proposer des stratégies alternatives qui inspirent confiance.