Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  Quelques pistes pour un projet gouvernemental de gauche

mardi 4 mai 2004, par François-Xavier Barandiaran

Quelques pistes pour un projet gouvernemental de gauche

Peu se souviennent que la classification des forces politiques en termes de droite et de gauche remonte à la Révolution Française. En effet, dans l’Assemblée Constituante se situaient à droite de la présidence les députés opposés aux réformes républicaines et à gauche les partisans des idées révolutionnaires. A cette époque, il s’agissait, pour ainsi dire, d’une simple classification topographique.

Aujourd’hui, il est autrement plus ardu et complexe d’aborder la question, après deux siècles d’évolution des idées sociales et, notamment, après l’effondrement des grandes idéologies et l’avènement de la société postmoderne, si pertinemment analysée par M.Gauchet : triomphe de l’individualisme et de l’esprit d’entreprise, consécration d’une société civile obnubilée par l’essor de l’économie, recul de l’idée même de projet collectif, comme ciment du vivre-ensemble, et triomphe des particularismes, si bien que l’État se transforme, petit à petit, en simple arbitre dans la confrontation des intérêts corporatistes. E.Todd ne dit rien d’autre, quand il parle d’une stratification de la société.

Je laisse à d’autres le soin de définir ce qu’est la droite, alors que, certainement, par delà les concepts, il suffit d’inventorier toutes les actions du gouvernement Raffarin depuis deux ans pour comprendre quels sont les objectifs de la droite et de quelle classe sociale il défend les intérêts. Le renvoi vers le « blanc bonnet, bonnet blanc », qui était à la mode lors du gouvernement de la gauche plurielle, n’est plus compréhensible, maintenant.

Dans ces lignes, je ne traiterai pas, non plus, la question de l’extrême gauche qui, en fidélité au marxisme-léninisme, se croit, droite dans son intransigeance idéologique, l’avant-garde de la classe ouvrière, en attendant que les masses la rejoignent pour faire la révolution anticapitaliste.

Il ne reste, donc, plus que les forces politiques qui veulent réformer la société, en étant des gestionnaires des rapports sociaux, et en essayant de conquérir le pouvoir par le jeu de l’alternance. A force de décanter, on pourrait penser que la tâche de définition se simplifierait et, pourtant, la difficulté demeure, non seulement parce qu’il y a une diversité de partis (tous ceux de l’ex-gauche plurielle), mais encore, à cause des débats et des fractures qui les traversent tous.

Effectivement, depuis la déroute de la présidentielle, en 2002, tous ces partis continuent de vivre une période de re-définition : citons, pour mémoire, les trois grandes tendances du PS, la trop riche palette de nuances des Verts, les remises en question de la période de participation au pouvoir et la nouvelle place que se cherche le PC, le recentrage sur des idées de gauche du Mouvement des citoyens,etc...

Pendant cette période de convalescence imposée, nous sommes nombreux -et pas comme de simples spectateurs : à preuve l’action de notre café politique- à guetter l’évolution de ces partis, en espérant qu’à nouveau, et de façon plus solide et cohérente que sous les présidences de Mitterrand et de Chirac, les projets des uns et des autres permettront de recréer une plate-forme commune de gouvernement. Si parmi ces partis le PS a une place centrale, il est obvie qu’il n’y a pas d’autre perspective d’évincer la droite que dans la coalition de tous les partis de gauche derrière un programme commun de gouvernement. Mais, avant de reprendre les échanges pour établir une stratégie commune, chaque parti de l’ex-gauche plurielle doit affiner son projet politique Chacun apporterait, ainsi, sa spécificité, sans se diluer dans un ensemble.

Dès lors, sur quel projet politique cela serait-il possible ? Sans prétendre à l’exhaustivité on peut avancer quelques pistes :

· Un véritable projet de société : s’il y a une leçon à tirer de l’échec de la candidature Jospin, c’est qu’un bilan honorable ne suffit pas à refaire la confiance d’une majorité des français dans la gauche. Si le mot ne paraissait pas trop fort, après tant de déceptions, on avancerait celui d’utopie, pour faire sortir de leur désespérance tous ceux qui ne croient plus à la politique. Mais, une utopie réaliste et participative, offrant une alternative à l’économisme ambiant et portant au niveau de la gestion du pouvoir les aspirations des mouvements sociaux .

· Un projet de société qui considère les citoyens comme des adultes intelligents. Assez des promesses, quand on est dans l’opposition, qui deviennent du « réalisme », quand on est au gouvernement ! Assez de débats occultés parce que « les citoyens ne comprendraient pas », par exemple, au sujet des contraintes de l’économie mondialisée ou des avantages et des inconvénients induits par l’appartenance à l’Europe : elle a bon dos, quand on lui attribue tous les maux de la France. Il me vient à l’esprit le souvenir de Mendès-France qui considérait que les politiques doivent dire toujours la vérité et solliciter la raison de leurs concitoyens, quoi qu’il en coûte. Pensons à la leçon magistrale que viennent de nous donner les électeurs espagnols !

· Dans un monde qui se caractérise par la précarité, l’incertitude devant l’avenir et l’insécurité sociale, il est évident qu’on ne peut plus aspirer à un socialisme planifié mettant chacun à l’abri de tous les risques inhérents à notre mode de société. Et, pourtant, l’objectif d’un programme politique de gauche restera toujours de garantir une sécurité d’appartenance à la vie sociale à tous ceux qui passent à la marge parce qu’ils ont perdu le travail, le logement, la santé… C’est là le cœur de la difficulté : répondre à des attentes contradictoires, alors que le vent souffle du côté de ce qu’on aurait appelé, autrefois, l’esprit petit-bourgeois. Comment incarner une nouvelle alliance sociale de toutes ces catégories aux intérêts divergents, qui ont peur de l’avenir et qui sont tentées par les impasses identitaires, sécuritaires, xénophobes ?

· Il semble que le seuil en dessous duquel un projet politique ne peut pas prétendre être de gauche est celui du maintien des services publics pour tous, et, en particulier, pour les catégories populaires. Ce que le sociologue R.Castel définissait ainsi dans Le Monde : « droit à être soigné lorsqu’on est malade, droit à un logement pour s’abriter, droit à des prestations décentes en cas de cessation d’activité, soit provisoire (alternance entre deux emplois), soit définitive (retraite), droit à l’éducation et à une formation permanente pour pouvoir assumer positivement le changement… »

· La mère de toutes les incertitudes étant la question de l’emploi, pour les jeunes qui démarrent la vie professionnelle avec tant de difficultés ou en passant par des emplois précaires, et pour les moins jeunes que le risque du chômage angoisse, que doit-on attendre d’un projet de gauche ? Il serait illusoire de penser que la loi peut interdire le chômage ! En revanche, on peut espérer que les forces de gauche proposent « une sécurité sociale du travail qui éradique le chômage. Un salarié…sera soit au travail dans son entreprise, soit en formation, soit en congé parental…mais ne sera jamais laissé sans revenu et sans statut » Ce serait bien que ces paroles d’Henri Weber deviennent l’un des piliers de l’utopie réaliste que nous attendons d’un projet de gauche !

· Un projet, enfin, ouvert : 1) d’une part, à la dimension de l’Europe (mais, quelle Europe ?) et de la planète(rapport entre pays riches et pays pauvres), et, 2) d’autre part, aux contradictions évidentes entre l’aspiration à la croissance économique et les dégâts écologiques qu’on est en train d’infliger à la biosphère.

Voilà des questions que les partis de gauche ne font qu’effleurer. Heureusement que le mouvement altermondialiste (dont je ne parle pas plus amplement dans ces lignes, m’étant limité strictement aux partis politiques) est là pour soulever ces questions dans sa lutte de conscientisation contre le libéralisme mondial !

La tâche est urgente pour les partis de l’ex-gauche plurielle, qui seraient encouragés à poursuivre leur travail d’élaboration d’un projet, en cas d’échec de la droite aux prochaines élections, ou, au contraire, davantage assommés, en cas de victoire de celle-ci. D’autant plus que la droite est déjà très majoritaire dans l’UE des quinze et que la victoire in extremis des socialistes espagnols ne fait que compenser celle de la droite grecque il y a quelques semaines. Ce rapport de force ne pourra, d’ailleurs, que se confirmer après l’admission des dix nouveaux membres le premier Mai.

Courage, encore un effort, camarades !

F-Xavier Barandiaran