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  La santé ne peut être traitée comme une marchandise

mardi 4 mai 2004, par François-Xavier Barandiaran

L’une des premières conséquences de la déroute électorale de la droite aura été, à propos de la réforme de la Sécu, de nous avoir permis d’échapper au pire ! En effet, dans les tablettes de l’ex-ministre Mattéi, inspiré par les pressions du Medef, il n’était question que d’équilibre comptable d’un système dépeint comme de plus en plus « coûteux » et « incontrôlable ». Les maîtres mots étaient les suivants :
- introduire la concurrence, tant au niveau des « offreurs de soins » : hôpitaux et cliniques privées, médecine publique et médecine libérale, qu’en ce qui concerne les « payeurs de soins » (CNAM, complémentaires, caisses de prévoyance et assureurs privés)
- différencier les gros risques et les petits risques, à travers « le panier de soins », en trois niveaux : o gros risques couverts par une sorte de sécurité sociale universelle o petits risques, renvoyés vers les complémentaires, qui auraient joué un rôle plus important que l’actuel (à savoir, le ticket modérateur) o et, pour les plus riches, une surcomplémentaire, confiée aux assureurs privés. Le tout enrobé du joli mot de « responsabilisation », soit faire payer davantage aux malades, aboutissant à désolidariser le système de santé, en créant des niveaux de couverture à l’aune des richesses de chacun. Et, comme le gouvernement s’était fixé la date butoir du 14 juillet, et pour éviter les débats et les manifestations qui avaient accompagné la réforme des retraites, il était de plus en plus question de court-circuiter le débat à l’Assemblée Nationale, en procédant par ordonnances. Patatras ! Le vote-sanction a changé la donne : changement de ton et de tempo, après la création du nouveau gouvernement. C’est le Président qui lance un appel « à l’union nationale » (rien que cela !) pour sauver la Sécu. C’est le nouveau ministre qui « veut prendre le temps de consulter d’abord tous les acteurs » et mener ce chantier de façon « à remettre les partenaires sociaux au cœur du système ». Dont acte. Pour nous, qui rêvons de démocratie participative, c’est le moment de contribuer par nos débats à la réforme de la Sécurité Sociale Parce qu’il n’y a pas de doute sur l’urgence à réformer notre système de santé, même si encore récemment l’OMS l’a déclaré comme le plus performant au monde ! Les déficits de la branche assurance-maladie deviennent abyssaux, la qualité des soins à l’hôpital se dégrade, la permanence des soins n’est plus assurée sur l’ensemble du territoire, l’égalité des soins pour tous est de moins en moins réelle….Pas la peine d’allonger la liste ! Ce même débat a lieu actuellement dans presque tous les pays européens, qui ont, chacun selon son passé et son idiosyncrasie, des systèmes différents, et qui doivent faire face, comme la France, au coût croissant de la santé publique, compte tenu des recettes en baisse à cause du chômage, et des dépenses en hausse, suite aux innovations technologiques de la médecine et à l’allongement généralisé de la longévité. Devant la dérive des coûts de la santé tous les gouvernements ont les yeux rivés sur la part du PIB des dépenses de santé (la France avec 9,5% se classe en neuvième position en Europe et onzième dans l’OCDE). Partout, l’influence du libéralisme économique se fait sentir poussant au désengagement de l’Etat et à la privatisation. En un mot, on introduit des critères économiques, en désolidarisant le système de santé. En effet, comme l’expliquent Les Notes de la Fondation Copernic, la théorie dominante présente la dépense de santé comme un poids pour l’économie : « le financement par des prélèvements obligatoires, tout particulièrement des prélèvements sociaux, est considéré comme un handicap pour l’économie, pour la croissance et pour l’emploi »…. « tout ce qui est financé de façon publique exerce un effet d’éviction au détriment du privé » ( « Main basse sur l’assurance maladie »,Editions Syllepse, dont je recommande vivement la lecture). Alors que, s’il y a un lien entre l’économie et la santé, et un déficit de financement, il provient essentiellement du manque d’emploi, -les millions de chômeurs qui ne cotisent pas- et de la baisse des charges salariales qui est censée être bénéfique pour l’emploi. Après d’autres pays européens, voilà, donc, la France à la veille d’une réforme de la sécurité sociale. Moult commissions avaient planché sur la question, lors des gouvernements précédents. Mais, à l’heure où j’écris ces lignes, ni le gouvernement Raffarin III, ni les partis de la gauche, n’ont dévoilé leurs projets. Le PS attend que Douste-Blazy annonce le sien pour proposer sa solution alternative. Notre débat, donc, prendra toute sa place en la période actuelle. De la complexité de la question j’ai extrait quelques points : 1- Les problèmes de fonctionnement de l’hôpital, aggravés par la politique malthusienne de suppression de lits menée depuis quelques lustres, avec les lourdeurs incontestables de gestion, à cause de la triple hiérarchie médicale, soignante et administrative. Il n’y a pas de doute qu’une meilleure organisation du travail permettrait d’obtenir des gains substantiels de productivité dans l’offre de soins. Mais, ce qui n’est pas négociable, c’est le maintien de l’hôpital, comme un lieu ouvert à tous, et de la CMU, sans aucune condition de ressources, soit un maillage du territoire par des établissements publics ouverts à tous. On ne peut que soutenir les urgentistes et le Dr Pelloux, quand ils disent que supprimer des lits ou des maternités, c’est encombrer les services d’urgence ou courir le risque d’une hécatombe, comme celle provoquée par la canicule de l’été dernier. 2- L’implication concertée du corps médical, hospitalier et ambulatoire, crispé majoritairement sur une conception très libérale de la médecine, freinant des quatre fers la mise en place de l’informatisation par la carte Vitale et du médecin référent. Alors que d’autres médecins, au lieu de faire de la résistance, ouvrent des voies nouvelles dans la pratique quotidienne, à travers la médecine mutualiste, les centres de santé et la médecine de groupe ou les réseaux de soins qui mettent en place une prise en charge globale du patient. Comme dit l’un d’eux : « nous soignons des gens, pas des organes ». Pour réussir la réforme à venir, on ne pourra pas faire l’impasse sur des questions comme le maintien exclusif du paiement à l’acte, la liberté sans aucune contrainte de prescription et d’installation, défendus âprement par les toubibs, ou le respect des tarifs conventionnels, allègrement dépassés, aujourd’hui, par beaucoup de spécialistes, etc … Qualité médicale et efficacité économique ne sont sûrement pas incompatibles ! 3- Un mot a fait florès depuis quelque temps : responsabiliser le patient, mais dans un sens très restrictif, celui de lui faire prendre conscience de certains gaspillages évitables. Certes, tout un chacun est appelé à devenir responsable. Mais, je pense que chaque consommateur de soins est aussi un citoyen à qui il faudrait offrir une place beaucoup plus importante dans la définition du système de santé. Dans un domaine qui touche le plus profondément chacun d’entre nous, puisqu’il s’agit de la vie, de la souffrance, de la maladie et de la mort, il serait temps que le public, les gens qui pensent, soient de plus en plus associés. Ce n’est qu’en mars 2002 que la loi a reconnu les réseaux de santé qui permettent l’accès aux soins, dans le cas de pathologies comme le sida, avec la participation interdisciplinaire des usagers. Il faudrait promouvoir les innovations organisationnelles dans le système de soins, comme les centres de santé gérés par des associations, les réseaux ville-hôpital ou les associations de soins à domicile. 4- Le rôle des laboratoires pharmaceutiques est à revoir, au moment où un grand débat s’ouvre sur la recherche en France. De nombreuses voix dénoncent la mainmise des laboratoires sur la Sécu à travers la politique du prix des médicaments, l’influence du marketing desdits laboratoires sur la prescription des médecins, la prépotence des experts, la politique des brevets, etc… A l’instar du « Collectif Européen et médicaments », demandons la transparence dans la politique des médicaments : quels brevets, qui établit le prix des médicaments, qui en évalue l’efficacité… ? Beaucoup d’autres pistes devront être explorées, et non des moindres : -Certaines plus techniques, comme celles de la gouvernance (qui doit gérer la S.Sociale ?) ou du financement (augmentation des cotisations et/ou de la CSG, modification de l’assiette de calcul des charges patronales avec un transfert des charges salariales vers la plus-value des revenus financiers des entreprises ?)
- D’autres, plus en amont, comme la carence actuelle de tout ce qui touche à la prévention : notre système est essentiellement curatif et non préventif. La médecine du travail ou la médecine scolaire sont laissées en friche.
- Ou davantage induites par nos modes de vie : on ferme les yeux sur la morbidité et la mortalité inhérentes à toutes les pollutions créées par notre industrie ou nos voitures. On s’inquiète des nuisances du tabac, mais on ignore les milliers de morts dues à la pollution atmosphérique ; on est fier du taux très bas de mortalité périnatale, mais on passe sous silence l’augmentation des bronchiolites ou autres maladies respiratoires chez les nouveaux bébés !
- Ou, enfin, anthropo-philosophiques, comme la non prévision de solutions à trouver pour l’accompagnement de la vieillesse, alors que les plus de 80 ans se compteront, de plus en plus, par millions ; ou la question des soins palliatifs dans une société où l’euthanasie active apparaît comme une solution ultime. Il n’y a pas de sujet sociétal qui touche aussi profondément l’ensemble de la société.A une époque où l’insécurité sociale devient la norme, défendons avec bec et ongles le droit de tous et de chacun à être solidairement bien soignés lorsqu’on sera malade.