Le Café Politique

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  Tour d’horizon avant l’orage

samedi 1er mai 2004, par François Saint Pierre


- En 2003, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’espérance de vie a baissé. En cause, évidemment, l’incapacité de notre système à réagir à la canicule et à l’augmentation concomitante de la pollution.
- 5% des personnes consomment la moitié des dépenses et le vieillissement de la population ne peut que faire augmenter la demande de soins.
- 300 chefs de service et professeurs de médecine ont lancé, le 18 avril 2004, une pétition pour défendre le système hospitalier français, qui leur semble "en train d’être détruit". Manque d’effectifs, restrictions budgétaires, difficile application des 35 heures, urgences sous tension, etc.
- Le ministre de la santé annonce pour 2003 un déficit de 12 milliards d’euros pour le budget de la CNAM.
- Le récent mouvement des chercheurs est parti de l’INSERM. Les grands laboratoires privés français sont en crise, et il faut l’intervention de l’État pour les empêcher de se faire croquer par les multinationales…..
- Il y a une vingtaine d’années, la médecine tenait des discours triomphalistes, après il est vrai quelques grandes victoires comme l’éradication de la variole ou la maîtrise de la tuberculose. Aujourd’hui, le risque de grandes épidémies est toujours là. Les succès sur le cancer et les maladies cardio-vasculaires ne sont que très partiels et ne compensent pas l’augmentation de la prévalence, due à la dégradation de l’environnement et des modes de vie.
- Sur le plan mondial, la santé des populations est fortement corrélée à la paix et au développement économique. Le bilan global est lamentable, l’Afrique en plein naufrage est incapable de faire face à l’épidémie de SIDA et voit même dans beaucoup de pays régresser l’espérance de vie. Santé et économie. La santé est la question transversale par excellence, intrication complexe de privé et de public, de sciences et de morale, d’économique et d’humanitaire, de droit et de charité. Dans l’économie du monde occidental, la santé prend une place de plus en plus importante, la part des dépenses de santé a été en pourcentage du PIB multiplié par 4 depuis la guerre. Difficultés pour trouver de nouveaux médicaments efficaces, incapacité de généraliser l’emploi de techniques performantes mais coûteuses, abandon des grandes ambitions médicales et sociales de l’hôpital, le système semble à bout de souffle…. Peut-on continuer à garantir le fonctionnement d’une protection sanitaire où chacun cotise suivant ses moyens et se fait soigner suivant ses besoins ? La santé, qui est une affaire privée, peut-elle aussi rester une ambition nationale ? Comme pour une vieille machine, ont peut laisser l’ensemble se dégrader, petit à petit, avec un entretien minimal et changer le tout, une fois arrivé au bout du rouleau, mais on peut aussi envisager une suite de réformes importantes qui à terme régénéreraient l’ensemble. L’humeur du moment est officiellement à la deuxième solution. Depuis quelques temps la "philosophie" de cette possible réforme est médiatisée. Responsabilité des acteurs, concurrence entre privé et public, définition d’un panier de soins indispensables et remboursables pour tous (cf. la désastreuse définition des besoins fondamentaux pour le tiers-monde par la banque mondiale dans les années 1970, sous l’impulsion de Mac Namara…). Actuellement la CNAM prend en charge les 3/4 des dépenses de santé, pour équilibrer son budget, il suffit de baisser ce pourcentage en ne remboursant qu’une partie des soins essentiels, en laissant le reste aux mutuelles, aux assurances privées et aux portefeuilles des malades. Avec une telle réforme on peut durer 10 ans, et en plus on aura un prototype pour la suite…. Il suffira de refaire pareil et de baisser la part de la sécurité sociale. Quelques économies par-ci par-là, et quelques améliorations sur la gestion, faciliteront l’acceptabilité de la réforme. Si en plus, quelques "bien-portants" peuvent, grâce à la concurrence des assurances privées (encouragée par des mesures fiscales….), faire des économies, il y aura alors suffisamment de lobbies médiatiques pour persuader la France profonde que cette réforme est non seulement inévitable mais performante ! On sent bien que ce scénario idyllique pour le gouvernement est mal en point. La "gauche" revigorée par le résultat des régionales conteste le diagnostic. Il suffirait d’un peu de reprise pour combler le déficit et, avec quelques pour cents de croissance, on peut même réinjecter un peu de justice et augmenter la qualité de la prise en charge ! On attend pourtant prudemment le dernier moment pour dévoiler une contre-réforme. Les premières propositions des mercenaires du MEDEF comme Daniel Bouton ou des intellectuels comme Béatrice Magnoni d’Intignano sont quasiment désavouées par tous. Si une réforme doit émerger, ce sera dans la douleur et dans la contestation car, même pour une partie de la droite conservatrice, la protection sociale inspirée des idéaux de la résistance garde un grand prestige ! Certes, il manque 12 milliards mais le budget de l’État est en déficit de 57 milliards, et effectivement la moindre embellie économique suffirait pour obtenir un solde positif. L’augmentation récente des consultations, sans aucune contre partie du côté des ressources ou des dépenses, ne pouvait conduire qu’à cette situation de déficit. Moment propice pour convaincre médiatiquement l’opinion qu’il fallait des "sauveurs" courageux comme pour la précédente réforme des retraites. Pour autant, ne rien faire en pariant sur une éternelle croissance à plus de 2% n’est pas évident loin de là, même les spéculateurs savent que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et l’utopie d’une croissance infinie peut entraîner des conséquences redoutables. Comme solution alternative, on peut augmenter les recettes en taxant fortement les revenus financiers des entreprises et des ménages, ce qui aurait comme avantage de rééquilibrer le partage des richesses, en 30 ans la part des salaires directs et indirects dans la richesse produite a baissé d’environ 10%. Les cotisations sociales correspondent à un salaire indirect et, contrairement aux discours du MEDEF, n’affectent pas directement la compétitivité des entreprises. Baisser les cotisations sociales patronales correspond de fait à une baisse des salaires, en obligeant le travailleur à financer sur son salaire direct des dépenses qui étaient prises en charges par les cotisations sociales. Modifier l’équilibre salaires directs/salaires indirects revient à déplacer la frontière entre l’individu et le collectif et à affaiblir les mécanismes de solidarité dans la communauté nationale, évidemment les hauts revenus ont intérêt à augmenter la part directe quitte à prendre des assurances individuelles (qui coûtent aussi chers aux pauvres qu’aux riches). D’autres propositions pour améliorer l’efficacité et l’équité du financement proposent de modifier la répartition du financement entre catégories sociales ou l’importance et l’assiette de la CSG, il est important que l’ensemble des partenaires sociaux se joignent aux politiques pour proposer les modifications les plus justes. Certaines mesures financières incitatives, qui tiennent compte du rapport masse salariale/plus values, peuvent aussi être efficaces pour orienter la pratique des entreprises vers une gestion plus sociale. Pour les dépenses, il y a un consensus pour continuer de mettre en œuvre les changements liés à l’évaluation de l’intérêt thérapeutique des méthodes de soins. Les réformes de structures sont plus difficiles. Le corps médical et les entreprises privées liées à la santé sont prêtes à défendre leurs intérêts par tous les moyens, en effet, le système de soins est en grande partie libéral et subventionné. C’est du côté privé qu’il faut regarder pour trouver une importante inflation (+21,5% en 2003 pour la part des grands laboratoires). La gestion de la protection sociale est aussi une question délicate, la tendance à aller vers l’étatisation de la protection sociale présente le risque de la transformer en assistance pour les plus pauvres d’inspiration "béveridgienne" plutôt qu’en caisse de solidarité mutualisée. Il est pourtant assez légitime de penser que la protection sociale doit avoir un lien fort avec l’État car elle concerne tous le monde. Parmi les nombreuses idées qui circulent en ce moment, certaines sont déjà en application dans d’autres pays. La plus fréquente est celle du médecin référent qui serait non pas payé à l’acte mais sous forme d’un contrat par patient. Ce système connu depuis fort longtemps des Chinois a fait ses preuves, et le médecin a, dans ce cas, intérêt à minimiser les visites inutiles plutôt qu’à les maximaliser. Les remboursements pourraient être modulés ; 100% pour ceux qui acceptent le médecin référent nettement moins pour les autres. Idem pour les médecins, le niveau de conventionnement pouvant être proportionnel à leur volonté d’accepter des contraintes (par exemple : + dans les zones sous médicalisées – dans les sur médicalisées). Il est normal d’utiliser des incitations financières pour ceux qui jouent le jeu d’une politique de santé économe et efficace à condition de laisser un peu de souplesse à l’ensemble (possibilité de changement de médecin ou du niveau de conventionnement pour le praticien) Ce sujet, qui est le problème franco-français du moment, est aussi un problème mondial. Les multinationales s’opposent le plus possible à l’utilisation dans le tiers monde des copies des médicaments de la tri-thérapie contre le SIDA alors que c’est un organisme public américain le CNI qui a trouvé la molécule d’AZT (et qui a donné ses droits à Glaxo !). La production de médicaments essentiels bon marché est abandonnée et les laboratoires proposent pour les remplacer des nouvelles molécules guère plus efficaces mais à coût prohibitif pour les pays pauvres. Santé et profits ne sont pas sur la même longueur d’onde. Plus généralement, l’AGCS concerne aussi la santé et pousse vers l’adoption d’un système très libéral où l’offre de soins est dans les mains du secteur privé, quitte à faire quelques aménagement dans les cas extrême avec "la loi du marché". Si les soins sont importants pour la santé, il n’y aura pas de vrais progrès sans l’augmentation de la qualité de l’environnement culturel, social et économique des populations. La circulation à l’intérieur de l’Europe implique une protection sociale, grosso modo, équivalente. Toute réforme du système doit aussi avoir en tête une idée de convergence vers un modèle européen, qui est aussi en ce moment d’inspiration libérale. Dans cette ambiance résister aux sirènes du néo-libéralisme charitable sera difficile. Cet enjeu extrêmement important pour l’avenir de notre santé ne doit pas nous faire oublier qu’il en existe bien d’autres.
- Organisation de l’hôpital. Un numerus clausus mal géré, une absence de prévision sur les besoins, des conditions dégradées qui ont favorisé le départ des personnels, des 35 heures inadaptés, une gestion comptable à courte vu qui a sacrifié les intérêts à moyens et longs termes en équipements et qui favorise les interventions économiquement rentable plutôt que l’intérêt des malades, une relève en personnel de qualité qui n’est plus garantie L’obsession budgétaire a mis nos hôpitaux publics en grande difficulté et dans l’incapacité de bien remplir ses missions fondamentales. L’hôpital n’est pas là pour choisir ses pathologies et ses patients mais pour accueillir toute la misère sanitaire, celle des riches mais aussi celle des pauvres. Les CHU, en plus, se doivent d’être en pointe dans la recherche et l’innovation médicale. Si, pour des raisons d’efficacité, la gestion des hôpitaux publics doit être améliorée il ne faut pas les transformer en entreprises obsédées par la rentabilité financière.
- Pouvoir médical Il y a longtemps que les médecins sont sortis du champ strict du soin. Les frontières sont floues. Toxicomanies, dopages, déviations sociales, échecs scolaires, alimentation etc… on assiste à une médicalisation de la question sociale. Comme du temps du communisme stalinien, le politique sous-traite des problèmes pénibles aux médecins ! Il est normal d’avoir un point de vue médical sur tous ces problèmes, mais les médecins doivent avoir une autonomie de pratique et non la responsabilité quasi totale de ces problématiques sociales. Dans trop de secteurs notre ancienne société patriarcale a investi la médecine d’un rôle paternel, le patient étant considéré comme un ignorant et un irresponsable (comme il n’y a pas si longtemps les femmes et les enfants). La consultation du dossier médical est encore embryonnaire, les associations d’usagers sont marginalisées et trop peu nombreuses, malgré l’incontestable apport que certaines ont su apporter dans des domaines difficiles comme le SIDA. L’institution tant dans sa composante administrative que médicale n’a pas envie de négocier ni directement avec les patients ni avec les associations.
- Recherche médicale. Peut-on se contenter de lancer un plan cancer, après une campagne en faveur du décodage du génome ou, faut-il faire des efforts tout azimut, dans un secteur qui est non seulement crucial en terme de santé mais aussi en terme économique ? Peut-on laisser les laboratoires privés contrôler soit directement, soit indirectement, l’ensemble du processus de recherche. La recherche médicale a besoin de moyen et d’indépendance. La santé peut parfois passer par des nouveaux médicaments et des nouvelles techniques qui ont un grand intérêt économique mais dans bien des cas les résultats de la recherche présentent plus un intérêt collectif à long terme qu’un moyen de faire des bénéfices à court terme.
- Pollution / environnement Les dernières études confirment l’impact sanitaire des problèmes environnementaux. On a bien pointé les dérives écologiques de l’ex-empire soviétique mais on a oublié que sous des formes différentes notre société a fortement dégradé la qualité de l’environnement tant au niveau local que sur l’ensemble de la planète. Les effets des pollutions diverses ont longtemps été refoulés ou au mieux sous-estimés. Les conséquences de l’effet de serre peuvent s’avérer catastrophique, la gestion des énergies fossiles est totalement contraire à tous nos discours mielleux sur le développement durable. Il est surprenant que la variable écologique soit restée aussi marginale dans la scène politique française.
- Évaluation des techniques médicales et des risques sanitaires. Quels indicateurs pour la santé et pour la pratique médicale ? Un secteur sous développé. L’imprévoyance se nourrit de l’ignorance. La médecine du travail n’a pas les moyens de faire les contrôles indispensables. Les évaluations sanitaires sont en grandes parties financées et contrôlées par les entreprises privées. L’utilisation abusive de l’amiante ou la mise sur le marché trop rapide d’OGM, mais aussi bien d’autres affaires montrent que notre société fait souvent des expertises après coup sur un mode judiciaire, plutôt qu’avant sur un mode préventif. Si on doit imposer un travail d’évaluation aux entreprises privées il faut aussi mettre en place un secteur financé par des fonds publics ou des associations indépendantes pouvant jouir d’une grande autonomie par rapport aux pouvoirs de l’État, des organisations professionnelles ou des grands lobbies privés. Le droit d’accès aux données et aux détails des motivations justifiant les avis des experts doit être autorisé à ceux qui veulent mener une contre expertise.
- Prévention On a mis récemment l’accent sur une prise en charge par chacun de sa santé par l’intermédiaire de son mode de vie. Cette démarche est légitime, elle mérite d’être poursuivie en encourageant une culture médicale de base générale (premiers secours, premiers soins, connaissances des risques sanitaires etc…) plutôt qu’en culpabilisant à outrance. Cependant, l’État doit aussi au niveau collectif montrer qu’il prend en charge ses responsabilités sanitaires en faisant son travail d’expertise d’élaboration de normes, de contrôle, d’information etc…
- Problèmes des normes en bioéthique. Problèmes pratiques relativement marginaux mais dont l’importance symbolique ne doit pas être sous-estimée. La citoyenneté se construit sur un territoire et sur un espace de valeurs. Les débats sur le clonage thérapeutique, sur les techniques d’AMP, sur l’euthanasie ou la souffrance des animaux permettent aux citoyens de se placer dans une perspective qui transcende le côté gestionnaire de la politique.