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  La fin de l’idéal républicain et l’avènement de la démocratie libérale musclée

lundi 6 janvier 2020, par François Saint Pierre

Si pendant la révolution la droite était royaliste et la gauche républicaine, après bien des vicissitudes historiques, la droite française a fini par se rallier au modèle républicain. Même si l’interprétation des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité laisse la place à une dialectique gauche-droite, la République a, depuis la fin de la guerre de 39/45 et les avancées sociales du CNR, donné un cadre raisonnable aux tensions entre les élites et les classes populaires.

La République suppose une nation et donc un peuple porteur d’un horizon commun qui se traduit par un socle de valeurs morales et sociales partagées. Sous les coups de boutoir de la mondialisation économique libérale et de la crise environnementale planétaire, le concept de nation, pourtant support essentiel des mécanismes démocratiques est de plus en plus remis en cause. L’échec de la social-démocratie à réguler les flux financiers et à maintenir suffisamment de redistribution pour compenser les inégalités du système économique a déstabilisé les classes populaires. Les classes moyennes supérieures en acceptant la mondialisation et la montée en puissance de l’Europe se sont coupées de la classe ouvrière. Petit à petit les valeurs de réussite individuelle et de compétition ont pris le pas sur les anciennes valeurs. Cette évolution qui s’est aussi traduite dans les territoires par des métropoles prêtes à la mondialisation et des territoires en déclin a été légitimement interprétée comme une archipellisation de la société et une sécession des élites. La crise des gilets jaunes et les très fortes tensions sociales liées à la réforme des retraites semblent annoncer, sous des formes nouvelles, le grand retour de la lutte des classes.

Les crises du quinquennat de François Hollande ont marqué les dernières étapes de cette évolution historique. Le think tank socialiste Terra Nova l’a théorisé, Macron en a tiré les conséquences. L’éclatement idéologique des classes populaires dont les représentations ne coïncident plus avec le discours porté par le pouvoir et les médias, met une grande majorité des français quasiment hors-jeu dans notre système électoral. Les élites économiques, sociales, médiatiques et politiques n’ont quasiment plus besoin de faire des compromis avec les classes moyennes pour défendre leurs intérêts.

L’affirmation que la seule légitimité politique est l’élection du président au suffrage universel, ce qui lui donne une position "jupitérienne" qui met en veilleuse tous les corps intermédiaires, renvoie pour le temps du mandat, à une conception d’un pouvoir pyramidal proche de l’absolutisme royal. Les élites économiques, qui ont depuis longtemps investi le système médiatique, savent bien que l’opinion publique n’est pas la seule addition des consciences individuelles. Si aux Etats-Unis l’élection se joue beaucoup pendant la campagne à coup de millions de dollars, en France l’opinion publique se travaille en continue par une armada de communicants et d’experts qui expliquent qu’il n’y a pas d’alternative à la politique proposée par le gouvernement.

Malgré ses divisions idéologiques profondes le peuple résiste. Le libéralisme mondialisé qui remplace la fraternité républicaine n’a pas convaincu les classes populaires. Faire payer, via la taxe carbone, le sauvetage de la planète aux classes moyennes n’est pas plus acceptable que de dire aux travailleurs qu’il faut changer le système de retraites, car il est plus généreux que celui des suédois ou des allemands. Alors que les revenus financiers de 2019 ont été exceptionnels, peut-on continuer à faire des lois qui augmentent les inégalités sous prétexte de concurrence économique ?

Macron et son parti ont marginalisé le concept de République au nom d’une démocratie libérale qui se voulait progressiste, mais face aux manifestations des gilets jaunes et des travailleurs son libéralisme est devenu autoritaire et violent. La crainte du terrorisme a favorisé les tendances sécuritaires inhérentes à tout pouvoir, mais justifier l’usage des LBD et des grenades offensives contre les manifestants, comme cela a été souvent fait par des élus LREM en se comparant aux pouvoirs Chinois ou Russe démontre paradoxalement cette inquiétante dérive.

Les élites qui ont renoncé à la valeur d’égalité en invoquant des théories fumeuses sur le ruissellement ont aussi montré leur manque de rigueur morale. Déjà dans la Rome antique Caton l’Ancien fustigeait le manque de frugalité de la noblesse romaine, son manque de respect des règles et la nécessaire solidarité entre la plèbe et l’aristocratie. Les élites doivent être exemplaires si elles veulent être respectées. La méritocratie républicaine n’est pas égalitariste, mais elle demande aux meilleurs d’assumer leurs responsabilités, d’avoir du respect pour les moins fortunés et de ne pas tomber dans l’excès. Notre système économique très inégalitaire et la coupure entre les dirigeants et le peuple se sont traduits par de multiples scandales qui discréditent les élites. Traiter les adversaires de populistes serait bien plus crédible si le nombre d’affaires n’était pas aussi important.

Le peuple n’a pas courbé l’échine, si le système électoral totalement biaisé donne l’avantage aux classes supérieures, il est légitime que les classes populaires se défendent dans la rue et sur les lieux de travail pour empêcher une dérive inacceptable. Pour autant, s’il veut gagner, le peuple, doit impérativement unir ses forces pour donner plus de cohérence à ses actions. L’actuelle absence de débouchés politiques pour porter la voix de la majorité des français est inquiétante.

Le célèbre politologue Huntington écrivait en 1975 : "pour que les dirigeants puissent diriger, il faut installer de l’apathie politique." Cette idée antidémocratique est au cœur des politiques menées par les gouvernements successifs. 45 ans plus tard une partie des citoyens a totalement décroché de la vie collective et une bonne partie du reste se contente de choisir tous les 5 ans, à partir de quelques promesses, un président de la République parmi les candidats que les partis, de moins en moins représentatifs, proposent.

Pour autant bon nombre de français qui avait plus ou moins décroché de la vie politique, poussés par une inquiétude sur leur avenir et sur celui de leurs descendants se demandent si la confiance accordée à nos élites pour tenir les rênes du pays est bien méritée. Le choix d’une mondialisation économique libérale en inquiète beaucoup, cela explique le retour d’un souverainisme, qui se traduit trop souvent par une peur des migrations et la volonté d’un repli sur soi. Du côté des classes moyennes diplômées les inquiétudes sur les enjeux environnementaux les poussent au contraire à mettre en avant des solutions valables pour tous les habitants de la planète. Utopique programme d’une mondialisation sociale et écologique qui n’est pas comprise par les classes populaires. Un pied dans chaque camp les travailleurs voient bien que les élites, dans cette période économique incertaine, sont plus que jamais décidés à conserver leur part du gâteau et leur capacité de profiter des biens de consommation, même lorsque cette consommation excessive nuit à la planète. L’abandon d’une politique salariale correcte, qui est remplacée par des primes d’activité ou des soutiens aux plus pauvres, transforme beaucoup de salariés modestes en assistés. Humiliation pour beaucoup de travailleurs modestes qui pensaient avoir une utilité sociale réelle et mériter par leur travail de quoi vivre dignement.

Cela donne évidemment des expressions politiques distinctes suivant le cocktail de ces idées fortes. Le Rassemblement National et Debout la France privilégient le souverainisme. La France Insoumise essaye de rajouter la défense de l’écologie au traditionnel combat contre les inégalités sociales, mais a du mal à gérer sa composante souverainiste. Les survivants du parti socialiste tentent de remettre leur logiciel de lutte sociale à jour, tout en sauvant une image pro-environnementale fortement dégradée, mais ils ne font aucune analyse de la demande souverainiste, ni une remise à plat de l’échec d’une vision politique trop basée sur la redistribution des richesses et pas assez sur la régulation du marché. Les écologistes musclent avec raison leur tradition sociale et rejettent catégoriquement tout conservatisme sociétal et toute tentation souverainiste.

Dans ces conditions les élites qui savent très bien hiérarchiser les choix politiques en fonction des intérêts économiques et se regrouper quand il faut pour conserver le pouvoir, appliquent la stratégie du dernier des Horaces face aux trois Curiaces. Pour résister à cette stratégie il est nécessaire de s’appuyer sur les luttes sociales, de tenir compte des enjeux environnementaux et de repenser collectivement la question de la souveraineté nationale. La trop rapide disqualification du souverainisme au nom du risque de la possible dérive nationaliste ou xénophobe doit être remplacée par une réflexion en profondeur sur le rôle démocratique des diverses appartenances, qu’elles soient fondées sur la commune, la région, la nation, l’Europe ou la planète. C’est une condition préalable à toute possibilité de réelle alternance politique en France.

Cette analyse franco-française semble contredire la réussite des candidats qualifiés de populistes un peu partout dans le monde. Au-delà du comportement un peu chaotique de certains dirigeants on peut se demander si malgré les apparences la France est si différente et si on n’a pas tout simplement une version un peu snob du populisme qui s’adresserait majoritairement aux classes supérieures. Le populisme de droite, qui gagne du terrain, reste basé sur la soumission aux logiques du capital et du productivisme, y compris dans sa version culturelle comme Netflix. Partout on retrouve l’utilisation débridée des médias et des réseaux sociaux pour imposer la vérité gouvernementale. On retrouve aussi la même compromission avec les pouvoirs autoritaires comme on a pu le voir dans l’affaire Kashoggi. Et, enfin, dans tous les cas les références identitaires et nationales permettent de procrastiner sur les enjeux environnementaux. Si Emmanuel Macron fait un peu plus semblant de respecter les accords de Paris que les Trump, Bolsonaro ou Kaczynski, tous, plutôt que d’essayer de préserver l’intérêt général, préfèrent utiliser la dette publique pour booster la croissance, afin de se retrouver en position favorable lors des échéances électorales.

Trump ou Johnson se sont appuyés, avec beaucoup de démagogie, sur les classes moyennes en difficulté pour prendre le pouvoir, mais ils gardent le même cap néolibéral. Présenter la politique française comme étant un combat entre les populistes et les réalistes masque les enjeux de justice sociale et de préservation de l’environnement. L’enjeu politique mondial du moment est de combattre le fantasme des classes aisées du monde entier, qui est de se retrouver dans une vaste "Arche de Noé" climatisée, pendant que le bas peuple se débrouille comme il peut.