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  Une France en guerre ?

dimanche 31 janvier 2016, par Ph. Leconte

Ces notes ont servi pour une présentation à des étudiants de classes préparatoires. L’ambition n’est pas de traiter le sujet dans sa totalité, mais plutôt dans sa globalité. Référence à Antoine Leiris : « Essayons de prendre le chemin complexe du doute et de la réflexion ».

I- LE CHOC DU 13 NOVEMBRE

1- Rappel des faits

De Charlie au 13 novembre : continuité ou nouvelle étape…

a) la longue histoire du terrorisme

Le 13 novembre au soir, une série d’attentats se déroulent à Saint Denis au Stade de France puis dans les 10e et 11e arrondissements de Paris. Ces attentats sont les plus meurtriers que la France ait connus depuis la 2e GM : 130 morts, plus de 350 blessés, beaucoup resteront handicapés à vie. Il faut ajouter à ce décompte macabre, huit terroristes tués, soit en opération kamikaze, soit au cours de l’assaut de l’immeuble situé à Saint Denis, le 18 novembre. Par ailleurs, on apprend que cette attaque devait être beaucoup plus ample…Explosions Kamikazes à l’intérieur de l’enceinte du Stade de France, mais aussi ultérieurement, un centre commercial dans le quartier de la Défense.

Ces intentions sont d’ailleurs confirmées par la revendication de ces opérations par DAECH, qui porte sur 200 tués, qui correspondent probablement aux prévisions de cette organisation terroriste.

Ces événements étaient prévisibles, au-delà de déclarations officielles et des nombreux avis d’experts (islamologues, historiens, politologues), des productions cinématographiques en disent long sur la récurrence du sujet.

• « Paradise now » Hany Abu Assad 2005…Deux amis d’enfance palestiniens, Khaled et Saïd, sont désignés pour commettre un attentat suicide à Tel Aviv. Engagés volontaires depuis plusieurs années dans une faction, ils sont liés par un contrat moral qu’ils ne peuvent ou ne veulent rompre. Ils passent une dernière soirée avec leurs familles sans pouvoir toutefois leur dire adieu. Le lendemain, munis de leurs ceintures d’explosifs, ils sont conduits à la frontière. Mais l’opération ne se déroule pas comme prévu...

• « La désintégration », Philippe Faucon 2010. « Dans une cité de l’agglomération lilloise, Ali, étudiant en maintenance des systèmes mécaniques automatisés, cherche un stage en alternance. Par l’entremise de Hamza, qui s’est converti à l’islam, Nasser, expulsé de chez sa soeur, trouve refuge auprès de Djamel. Ce dernier lui offre un toit et lui enseigne le Coran. Révolté par l’échec de ses candidatures, Ali se laisse bientôt happer à son tour par les paroles du prédicateur, qui met en mots ses frustrations et attise sa colère contre la société. Les trois jeunes hommes s’entraînent au djihad et préparent un attentat sous la houlette de leur leader... »

En même temps les attentats commis sur le territoire européen appellent plusieurs constats et des questions :

- Les attentats de Paris ne sont pas les plus meurtriers en Europe (cf celui de la gare d’Atocha à Madrid le 11/03/2014, 191 morts, pire l’explosion du vol 103 de la Pan Am au-dessus du village de Lockerbie en Ecosse a fait 270 morts).

- La revendication de ces attentats est très diverse :

• Lockerbie, la Lybie de Khadafi ;

• dans les années 90, le GIA (groupe armée islamique) algérien (bras armée du FIS, Front islamique du salut), se développe après l’invalidation par le gouvernement de la victoire du FIS aux élections législatives de 1992. Objectif : conduire le djihad en Algérie et déstabiliser l’occident.

• Al- Qaïda, revendiquent de nombreux attentats dans les années 2000, notamment l’attentat de Madrid, celui de Londres (commis le 7 juillet 2005, 56 morts et 700 blessés, par des islamistes de nationalité britannique), mais aussi celui contre Charlie (Al-Qaïda Yemen)

• Daech pour la destruction de l’appareil russe au-dessus du Sinaï de la compagnie Metrojet (31/10/2015) ayant fait 224 morts, et pour le dernier attentat de Paris.

- De nombreux Etats non européens ont été frappés. Au-delà de la destruction des twin towers à NY le 11 septembre 2001 (près de 3000 morts), plus récemment ont été frappés : le Nigéria, le Mali, le Yemen, l’Inde, la Tunisie, l’Algérie, le Liban, la Russie. Des Etats sont en situation insurrectionnelle permanente, les attentats font partie du quotidien : Irak (Bagdad 2015, une vingtaine d’attentats et plus de 500 morts), Syrie, Afghanistan. Le but n’est pas ici de banaliser la tragédie du 13 novembre, mais d’en rappeler la récurrence, ne pas céder à l’amnésie et au « jamais vu » qui confère à l’événement un caractère exceptionnel, donc des mesures exceptionnelles.

- La France est néanmoins la cible principale de ces groupes, du moins en Europe. Les raisons ont souvent été évoquées dans la presse et dans de nombreux articles. La laïcité considérée comme liberticide à l’égard de l’Islam, la ségrégation supposée dans les banlieues, l’émancipation féminine, la reconnaissance de l’homosexualité, les comportements hédonistes, le caractère démocratique de nos institutions, l’implication militaire sur plusieurs fronts : Mali, Centrafrique, Syrie, Irak, une position diplomatique proche des Etats Unis, autre pays honni. De plus la France représente un cas unique, de par la proportion des musulmans (Islam, 2e religion du pays) et une histoire complexe (donc riche) avec les pays du Maghreb et surtout l’Algérie.. Tous ces aspects sont délibérément mis en vrac, certains seront repris ensuite dans cette conférence.

b) les réactions nationales et internationales

L’ampleur de ces réactions, a pu surprendre. En fait la France incarne bien des valeurs que beaucoup de pays, et pas seulement occidentaux, considèrent comme universelles (déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), qui a inspiré la déclaration universelle des droits de l’homme (Palais de Chaillot, Paris 1948). Les réserves exprimées lors des attentats de janvier, qui furent des réserves à l’égard d’un journalisme blasphématoire, ne tiennent plus. La population touchée à Paris ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de NY, de Sydney ou de Londres, voir même de façon moins flagrante, aux nouvelles classes moyennes de Bombay, Shanghai ou Moscou… Paris est aussi la ville que tous ont visité ou rêve de visiter « J’ai deux amours, mon pays et Paris » J Baker.

2- Djihadisme et djihadistes. Etat des lieux ...

Avant d’évoquer les djihadistes, il faut comprendre les organisations auxquelles ils se référent : le djihad international, Daech, Al Qaïda...

Les attentats ont été clairement revendiqués par le groupe djihadiste Daech. Pour cerner ce qu’il est, plusieurs questions se posent :

Qu’est ce que Daech ?

C’est un acronyme arabe de « Etat islamique en Irak et au Levant », cette organisation se transforme en juin 2014 en califat. Le califat est un territoire dirigé par un Calife qui signifie « successeur », titre revendiqué par la postérité (religieuse) de Mahommet. Le dernier Califat de l’histoire fut aboli par Ataturk en 1924, lors de la dissolution de l’empire Ottoman.

Par qui est-il dirigé ?

Par des dissidents d’Al Qaïda, en désaccord avec la stratégie initiée par Ben Laden , mais aussi par les transfuges de l’armée Irakienne de Sadam Hussein ( exécuté le 30/12/2006), issu du BAAS, partie laïc qui s’est imposée en Syrie et en Irak.

• Par régions

• Par fonctions

- Quel territoire occupe t il ?

Question plus compliquée qu’il n’y paraît, le territoire étant majoritairement désertique et vide, il n’est pas facile à délimiter ; en plus les fronts occupés par des combattants divers, fluctuent sans arrêt.

Il faut néanmoins insister sur l’importance symbolique d’une région appelle le « Sham », région de la grande Syrie qui incluse la Syrie, le Liban, la Jordanie, Israël et la Palestine. Ainsi la première étape du djihad, l’édification du Califat, ne sera vraiment parachevée qu’avec la prise de Damas. Le Sham apparaît d’ailleurs dans un Hadith du Prophète, qui le définit comme le lieu de la résurrection au jour du jugement.

Quels sont les buts recherchés ?

- La première cible sont les musulmans eux mêmes, les sunnites « apostats » (celui qui renonce à une religion, ici ne pas épouser la lecture de l’islam radical de daech, c’est bien renoncer à l’Islam), qui ne respectent pas les règles imposées par une lecture salafiste de l’Islam (le salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l’Islam des origines, fondé sur une application stricte de la loi islamique), et les chiites soutenus par l’Iran et première force combattante contre DAECH, sur le territoire Irakien.

- La seconde cible, sont les démocraties occidentales en particulier celles qui hébergent de nombreux musulmans considérés comme victimes des règles mais aussi des modes de vie qui les empêchent de devenir de « bons musulmans ». C’est encore plus vrai lorsque la démocratie est laïque.

- L’objectif est l’extension du Califat, le plus loin possible. L’écrivain algérien Boualem Sansal, décrit dans son dernier roman 2084 (Gallimard, prix de l’Académie française 2015) un monde ou règne un califat érigé en régime totalitaire (cet ouvrage est écrit en référence au célèbre « 1984 » d’Orwell, sur la même question de l’avènement d’un monde totalitaire). Certains observateurs ont comparé cette stratégie à celle de l’internationale communiste développé par Staline.

Quelle différence avec Al-Qaïda ?

Abu Musab al Suri C’est l’inspirateur. A travers « l’appel à la résistance islamique mondiale » ce syrien naturalisé espagnole lance en janvier 2005, le mode d’emploi du djihad « 3G », c’est à dire de 3e génération : après la 1e étape, celle de « l’affirmation » correspondant au djihad afghan des années 80 et algérien des années 90, la 2e année celle d’Al Qaïda, modèle centralisé s’appuyant sur des actions spectaculaires mais qui impliquent peu les populations musulmanes, doit se développer une 3e étape que Gilles Kepel présente de la manière suivante : « En théorisant la 3e vague, Suri substitue à l’organisation pyramidale d’Al Qaida, dénuée d’implantation sociale, un djiadisme de proximité, selon un système réticulaire pénétrant par la base et non plus le sommet, les sociétés à abattre. L’attaque spectaculaire contre l’Amérique est le symptôme de démesure d’un Oussama Ben Laden intoxiqué par la sa propre image médiatique. Elle n’a abouti selon Suri qu’à fournir à George Bush l’opportunité de détruire l’infrastructure d’Al Qaida. Il prône à sa place la guerre civile en Europe, appuyée sur des éléments de la jeunesse musulmane immigrée mal intégrés et révoltés, c’est par ce biais que s’enclenchera la dislocation finale de l’occident. Ce djihadisme de rhizome, consistant à passer sous les radars de l’ennemi et à retourner contre lui ses propres enfants est construit en opposition avec le modèle centraliste, presque léniniste, mise en œuvre par Ben Laden. Suri résume son programme d’une formule qui fera florès dans la djiadosphére : Nizam, la Tanzim : un système et non une organisation »

L’intérêt tout particulier que Al Sury, donc Daech porte à la lutte contre et à l’intérieur des démocraties occidentales est donc à souligner, ainsi que l’idée selon laquelle « Daech connaît beaucoup mieux le fonctionnement de la société française que nous ne connaissons l’organisation de Daech »

Poches de résistances Al Qaïda (type Aqmi, branche Al-qaïda Magreb (dont le chef est Mokhtar ben Mokhtar circulant sur tout le territoire saharien). (Ainsi, l’action ciblée contre Charlie hebdo, fut revendiquée par la branche yéménite d’Al-qaïda). Mais avec une organisation pyramidale structurée et hiérarchisée. L’objectif ? « si nous agissons, les masses se lèverons », celui de DAECH est différent : « Opprimez les masses, elles obéiront », une base territoriale bien localisée, ayant vocation à devenir un Etat, permet d’amplifier les moyens d’action. L’actuelle supériorité de Daech sur son rival historique, se traduit par une allégeance de groupes autrefois Al-Qaïda, vers Daech On peut ajouter une capacité de propagande nettement plus sophistiquée, avec l’utilisation de l’internet.

« Ben Laden. Sa méthode consistait à multiplier les foyers d’insurrection afin d’amener l’ennemi à se disperser, comme il l’a fait en Tchétchénie, au Kosovo, puis en Irak, en Arabie Saoudite et au Maghreb. Daech fait le contraire en se concentrant sur un territoire, ce qui le rend plus vulnérable car plus facile à liquider. Mais cette fragilité s’arrête là. Le commandement décentralisé de l’organisation rend son fonctionnement plus souple. Il semble que sur le terrain ses éléments ont une très large liberté d’action », Henry Laurens, professeur d’histoire et membre du comité éditorial de la revue Maghreb-Machrek.

De quels moyens financiers disposent ils ?

Alors que Al Qaïda, s’appuyait sur des financements externes (impliquant des pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar), Daech s’appuie sur des moyens internes au « califat » ; Les conclusions d’une enquête commanditée par le Congrès américain, donne le chiffre de 2 milliards de dollars de revenus annuels.

Les recettes de DAECH, donne un total de 2,5 milliards d’euros. Les ressources principales sont : le pétrole brut tiré des champs pétroliers situés entre Mossoul et Raqqa la production y a été divisée par dix depuis 2011. Néanmoins entre 20000 et 40000 barils par jour sont encore extraits, ce qui représente 1 million de dollars par jour ; la 2e ressource est le pétrole raffiné, plus avantageux , mais cette ressource se tarit avec la destruction des raffineries par les bombardements américains , français et russes ; la 3e ressource est la distribution, sur les carburants, mais aussi sur les autres activités marchandes par la voie de taxations ; 4e ressource, la contrebande notamment du pétrole à des prix divisés par dix, en direction de la Turquie, essentiellement.

Est-il vraiment un Etat ?

Ce point est important, car même si la réponse « oui » est inquiétante, considérer DAECH comme un Etat permet de définir facilement qui est l’ennemi.

- OUI : DAECH dispose d’une armée (entre 30000 et 50000 combattants ,selon les estimations), d’une administration, prélève des impôts, fait fonctionner des écoles et des hôpitaux et vient même de frapper sa propre monnaie , le dinar islamique dont la fonction est aujourd’hui est plutôt symbolique, mais sert d’instrument de propagande pour lutter contre « un système financier satanique » (on notera au passage que sur une face du Dinar or, figure, la carte du monde, ce qui en dit long quant aux intentions de l’EI)

- NON : Bertrand Badie , professeur à Sc po Paris, est plutôt du côté du « Non » :

« L’entrepreneur de violence n’a rien d’un Etat : ni les institutions, ni la territorialité construite et limitée, ni les armées, ni la culture militaire, ni les réflexes de la puissance. Ses champs de bataille sont multiples, diversifiés et insaisissables. Il y a pire : les conflits qui s’ouvrent se substituent à l’Etat défaillant, font jaillir des économies de guerre lucratives, bases d’échanges de procédés entre entrepreneurs de violence et réseaux mafieux, Ils créent même du lien social, dont s’alimentent les milices de toute sorte qui mobilisent d’autant plus facilement jusqu’à embrigader des enfants soldats. Ils produisent enfin des « seigneurs de la guerre. Naissent ainsi des sociétés guerrières appelées à durer. » Le Monde 21/11/2015.

On peut enfin se poser une question qui fait transition avec le cas des djihadistes.

Les combattants de DAECH sont-ils vraiment « religieux » ?

On peut en douter, d’abord par le profil de certains de ses dirigeants issus du partie Baas, ensuite parce que l’immense majorité des salafistes sont « quiétistes », refusant l’utilisation de la terreur pour imposer leur vue. La plupart des djihadistes de DAECH ont une culture religieuse très limitée, n’ont jamais lu le Coran, pratiquent les règles religieuses occasionnellement sans en comprendre vraiment le sens. L’islam est donc bien instrumentalisé au service d’un projet totalitaire

Au delà des cas individuels, les débats sont nombreux quand il s’agit de les situer. Le profil des assassins du 13/11 semble assez homogène : nationalité belge ou française, ayant vécu un cursus plus ou moins heurtés dans nos écoles, ayant un passé de délinquant, ayant eu un contact pus ou moins régulier avec des idéologues de l’Islam salafiste. En fait la diversité est forte (niveaux d’études, régions, situation familiale, présence ou absence du père, fratrie ou non..) . La détermination du profil peut conduire à des amalgames, un converti ou une jeune femme portant le Niqab, même par provocation, ne sont pas nécessairement des djihadistes en puissance.

Le cas des convertis est intéressant : étant estimées à 4000 par an, la transposition à l’échelle du monde laisserait supposer une forte augmentation du nombre de musulmans par conversion, hormis le fait que les convertis ne sont majoritairement pas des djihadistes en puissance , ces conversions sont minimes comparée au chiffre beaucoup plus élevé obtenu par les évangélistes , 10000 par jour en Chine), autre surprise, on estime entre 14 et 30% la proportion des femmes, plus ou moins proches des milieux djihadistes et potentiellement candidates au départ vers la Syrie.

Autrement dit le casting parfait « petite frappe de banlieue, issue de milieux déshérites maghrébins et musulmans, ayant eu la révélation par les prêches d’un Imam radical illuminé », ne fonctionne pas bien . En revanche ils se retrouvent autour d’une détestation de certaines caractéristiques de l’occident : « Tout se passe comme si EI avait consciencieusement listé tout ce qui peut révulser les opinions publiques occidentales : atteintes aux droits des femmes, mariage forcé, exécution d’homosexuels, rétablissement de l’esclavage. Le terrorisme au nom d’ Allah en France vise à susciter des réactions communautaires à la chaine, voir une guerre ouverte entre musulmans et non musulmans. » Pierre Jean Luizard directeur de recherche (auteur de « Le piège de DAECH, l’Etat islamique et le retour de l’histoire », la Découverte)

Le ressort n’est donc pas une posture religieuse de défense d’un Islam attaqué, mais bien l’adhésion à un combat à mort, dont le ressort est la haine. Neanmoins l’instrumentalisation de l’Islam afin de tirer le conflit sur le champs religieux est bien là.

On retrouve ces aspects, de façon plus élaborée, sous la plume d’Olivier Roy (le Monde du 25/11/2015), Politologue, spécialiste de l’Islam, Professeur à l’Université de Florence. Dernier ouvrage « En quête de l’Orient perdu », Le Seuil 2014 :

« Le ralliement de ces jeunes à DAECH est opportuniste : hier, ils étaient avec Al-Qaïda, avant hier ils se faisaient sous traitants du GIA algérien ou pratiquaient, de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par la Tchétchénie, leur petit nomadisme du djihad individuel »

« Presque tous les djihadistes français appartiennent à deux catégories très précises : ils sont soit des « deuxième génération » nés ou venus en France, soit des convertis (qui constituaient déjà 25% des radicaux à la fin des années 1990)…..Ils se retrouvent dans l’adhésion à un Islam de rupture, rupture générationnelle ( pas question d’être musulman de la même manière que les parents), rupture culturelle et enfin rupture politique. C’est la radicalité qui les attire par définition…En rupture avec leur famille les djihadistes sont aussi en marge des communautés musulmanes : ils n’ont presque jamais un passé de piété et de pratique religieuse. Les articles des journalistes se ressemblent : après chaque attentat on enquête dans l’entourage du meurtrier on ne comprend pas, c’était un gentil garçon, il ne pratiquait pas, il fumait, il fumait des joints, ils fréquentait les filles. Une fois « born again », les jeunes exhibent alors leur nouveau moi tout-puissant, leur volonté de revanche sur une frustration rentrée, leur jouissance de la nouvelle toute puissance que leur donnent la volonté de tuer et leur fascination pour leur propre mort. La violence à laquelle ils adhérent est une violence moderne, ils tuent comme les tueurs de masse le font en Amérique ou Anders Breivik en Norvège (attentats d’Oslo en 2011 77 morts, 151 blessés), froidement et tranquillement. Nihilisme et orgueil sont profondément liés. Leur radicalisation se fait autour d’un imaginaire du héros, de la violence et de la mort, pas de la religion ou de l’utopie »

« Ils choisissent l’Islam parce qu’il n’y a que cela sur le marché de la révolte radicale (pour adhérer à l’ultra gauche, il faut avoir lu, ce qu’ils ne font pas). Rejoindre DAECH, c’est la certitude de terroriser »

Yasmina Khadra (Ecrivain algérien, auteur de « L’Attentat » 2005 Juillard) Entretien du 16/11, le Figaro : « Il faut dissocier leurs actes de la religion et les appeler par leur véritable nom : ce sont des terroristes avec une vocation dévastatrice. Je sais que ce n’est pas évident dans ces moments de forte émotion, mais il faut savoir faire la part des choses. Ce que les terroristes ont fait, leur effroyable projet, même si il est perpétré au nom de Dieu, n’a absolument rien à voir avec la vraie religion. »

Il est clair que les débats sont vifs, entre les tenants d’une sociologie de l’excuse, considérant que les facteurs socio économiques, défavorables à la population des jeunes de quartier les ont poussé vers une radicalisation dont ils ne sont pas responsables et ceux qui estiment que les actes criminels ont été proférés par des jeunes adultes et parfaitement conscients de leurs actes. On reproche aux observations de la sociologie de l’excuse, d’adopter une posture paternaliste et finalement condescendante à l’égard de la population observée. On en oublierait qu’elle sert aussi à repérer et à comprendre un mécanisme complexe et souvent souterrain de stigmatisation et d’exclusion.

Néanmoins, le débat autour du casting est aussi un débat au sein même des experts, des Islamologues, notamment entre G Kepel et O Roy.

- Pour Kepel , il y a « radicalisation de l’Islam », sur fond de destinées familiales malheureuses (« la reconnaissance des pairs, comme substitut au père absent »)

- O Roy considère qu’il y a « islamisation de la radicalité » (« les djihadistes ont islamisés leur révolte adolescente ») Des jeunes en recherche de radicalité , à partir d’une conception romantique guerrière et de comportements mortifères, ce n’est pas nouveau comme l’illustrent par exemple les « années de plomb » , bande à Baader en Allemagne, néofacisme radicalisé en Italie, les années 70 et 80 sont secoué d’actes terroristes tout aussi sanguinaires.

- Gerald Bronner (« La pensée extrême », au PUF) évoque une « frustration relative », que la démocratie avive ( cf Tocqueville)

3- Des émotions et des mots. (guerre, état d’urgence, choc de civilisation).

a) Une émotion collective pour le meilleur et pour le pire.

« Les hommages spontanés qui se sont accumulés sur les lieux des attentats, bougies, photos, fleurs, souvenirs et manifestations diverses, forment autant de monuments instantanés voués à rendre hommage et à perpétuer le souvenir des victimes. Mobiliser le symbole est tout ce que nous pouvons faire face à la disparition, mais c’est une activité essentielle pour ceux qui restent. » C’est ainsi que s’exprime André Gunthert Historien chercheur à EHESS (libé 27/11/2015).. Ce sont donc les citoyens qui en premier lieu, font le travail de deuil.

Cette réponse collective peut aussi être comprise par des vois plus sociologiques : émotions individuelles et collectives forment dés lors que Communauté et Société ne font plus qu’un. (cf la distinction proposée par Ferdinand Tönnies entre la Société (gesellshaft) et la Communauté (gemeinschaft).

On peut aussi penser à une émotion qui transcende les frontières sociales (peut être, et c’est ce qui distingue des réactions après Charlie) ou générationnelles (un rapprochement intergénérationnel entre les plus anciens qui ont connu la 2e GM mais aussi la guerre d’Algérie, et les plus jeunes), l’expression « génération bataclan », montre bien que des moments relevant du traumatisme collectif peuvent faire …génération.

L’émotion collective des premiers jours aurait pu s’exprimer par la violence, dont la cible est un bouc émissaire. Ce ne fut pas le cas, mais le besoin de simplifier, de réduire le complexe à des diagnostics simplistes est toujours là.

Le devoir des pouvoirs publics est de relayer et de mettre en scène cette émotion collective, (sans la trahir) et d’y répondre en unissant et en rassurant. La solution (de facilité ?) est parler « d’unité nationale », donc autour de la Nation et du drapeau qui la symbolise (tous les citoyens se reconnaissent ils dans cette désignation de la communauté ?). L’hommage de la Nation aux victimes de l‘attentat (qui plus est aux Invalides, cadre habituellement réservé aux victimes militaires) renforce l’idée que nous sommes en guerre, comme une évidence.

Enfin cette émotion est également savamment entretenue par les Médias ..

Le rôle des médias. Bruno Frappat, ex directeur de la Croix, résume bien la problématique des médias aujourd’hui et les invite à faire leur examen de conscience.. « Le piège de l’hystérie est le plus répandu. Les emballements dus à la concurrence exacerbée, à la course aux scoops, aux commodités de l’Internet aux nécessités émotionnelles de l’audiovisuel, tout cela concourt à l’érosion de l’intelligence critique. Comment faire vivre la supériorité du recul sur le direct, de la réflexion, voir de la méditation, par rapport aux diktats de l’audimat ou de la diffusion ? Il faudrait d’abord que les rédactions plus que de houspiller les journalistes sachent faire « poser la caméra »comme « on pose le stylo ». Savoir de quoi on parle et sur quoi l’on écrit. Aller au cœur de la société et dans ses marges pour comprendre ce qui se joue au delà du visible par delà les élites. Le journaliste ne peut s’exonérer de ses responsabilités dans une société désaxée ».

De plus :
- médias concurrencés voir dépassés par les réseaux sociaux, les blogs en tout genre (« Pinard et saucisson »), diffusant parfois des thèses complotistes qui finissent par alimenter le « on nous ment » pour ceux qui contestent le monde médiatique officiel assimilé à un pouvoir que l’on conteste.
- Marchandisation de l’émotion

b) Des mots ambigus, mais qui engagent (Guerre, Etat d’urgence, Terrorisme)

Guerre et état d’urgence. La cohabitation entre les deux termes ne va pas de soi. Les titres des journaux, montrent une valse-hésitation entre les deux expressions.

- La guerre

La notion de guerre est embarrassante. Dans sa définition classique, elle suppose plusieurs conditions : des armées qui s’affrontent après une déclaration officielle qui ouvre les hostilités entre des Etats bien identifiés. Dans le scénario actuel, qui est une répétition de la situation américaine, la définition classique d’une guerre n’est pas adaptée.

A la question : « Pourquoi a-t-on le sentiment que l’expression « Nous sommes en guerre » ne décrit pas vraiment la réalité ? », l’historien Alexandre Rios-Bordes répond : « Parce que nous ne sommes pas tout a fait, pas vraiment en guerre : nous sommes dans un état indéterminé. La situation, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ne répond pas à la définition classique de la guerre. Celle qui veut par exemple que la guerre soit un moment spécifique, qui se déroule dans des lieux spécifiques que l’on appelle le front et pris en charge par des institutions spécifiques que sont nos forces armées. »

Ce langage « vrai » risque de confirmer des prédictions auto réalisatrices venues de tous les bords. Utiliser les termes : « démocratie en danger » « terroristes », « guerre » ne sont pas neutres au niveau du diagnostic et donc des moyens à mobiliser. La juriste Mireille Delmas Marty (« Résister, responsabiliser, anticiper ou comment humaniser la mondialisation » au Seuil, 2013) exprime son point de vue dans les colonnes de Libération (18/1) : « Le terme criminel est à utiliser de préférence à « terroriste », compte tenu du cortège d’émotions qui se rattache à ce mot. Il faut situer la répression dans le champ pénal plutôt que dans celui d’une « guerre contre le terrorisme » L’Etat islamique n’est pas un Etat, mais une organisation criminelle avec laquelle il n’y a ni accord, ni traité de paix possibles. S’il s’agit d’une guerre, elle sera illimitée ».

Au delà du terme « guerre », certaines expressions utilisées ne manquent pas d’intérêt comme celui d’islamo fascisme, utilisé notamment par M Valls. Terme peu approprié, confusion des termes : le fascisme est propre à l’histoire de l’Italie, tout comme le nazisme est propre à l’histoire de l’Allemagne. Mais cela permet de renforcer la rhétorique de guerre.

Assurément comme le dit Marcel Gaucher (philosophe et historien), avec cette rhétorique guerrière « le Symbolique remplace l’analyse ». D’ou les interrogations que l’on peut avoir à l’égard des mesures prises au nom de ces approches émotionnelles et symbolique des événements, comme l’état d’urgence.

État d’urgence

Transfert partiel de pouvoirs entre la justice (Christiane Taubira) et la police (Bernard Cazeneuve)

Institué, pour la France, par la loi du 3 avril 1955 et motivé alors par la situation en Algérie, l’état d’urgence est un régime exceptionnel qui, certains troubles intervenant, renforce les pouvoirs de l’autorité administrative. C’est un régime intermédiaire entre l’état de siège et la situation normale. L’état d’urgence peut être déclaré sur la totalité ou sur une partie du territoire métropolitain ou des départements d’outre-mer soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et par leur gravité, le caractère de calamité publique. Déclaré, ainsi que l’indique la loi de 1955, par le seul législateur — mais une ordonnance d’avril 1960 étend ce pouvoir déclaratif et habilite le gouvernement à le prononcer par décret en Conseil des ministres —, il ne peut être prorogé au-delà d’une durée de douze jours que par une loi qui fixe sa durée définitive (aujourd’hui trois mois, décision prise par le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le lundi 16 novembre). Jean DELMAS

Une réforme de la constitution, qui sera proposée prochainement, aura pour objectif de donner à l’État d’urgence un nouveau cadre se situant entre l’article 16 (plein pouvoir au Président) et l’article 36 (l’État de siège), ces deux dispositifs ne pouvant, selon le F Hollande convenir à la situation actuelle.

Choc de civilisation

Samuel Huntington, politologue, fut professeur à Harvard et auteur d’un ouvrage retentissant et controversé : « Le choc des civilisations » 1997 0dile Jacob…considérant que les conflits à venir ne seront plus idéologiques (type guerre froide EU/URSS), mais culturelles (type occident chrétien vs orient musulman). Il préconise pour éviter ces chocs une non intervention à l’extérieur de leur « zone civilisationelle », autrement dit le replis sur soi… Deux auteurs ont fortement influencé le camp des « néocons » de la période Bush : Huntington et Francis Fukuyama, « fin de l’histoire »… James Woolsey « vision or world war IV » considère que depuis 1979, les EU sont concernés par une 4e guerre mondiale contre les Etats islamistes mais aussi contre les Etats dirigés par le Baas. Samuel Hungtington « Le choc des civilisations ».

Un scénario géopolitique est élaboré par Samuel Huntington dans son livre de 1996 Le choc des civilisations et la refonte de l’ordre mondial, où l’on peut lire : « Il est probable que les premières années du XXIème siècle voient une résurgence de la puissance et de la culture non-occidentales, ainsi que le choc des peuples de civilisations non-occidentales avec l’Ouest et entre eux. « Le choc des civilisations, ce sont des conflits tribaux à l’échelle globale », écrit Huntington. Les guerres futures seront menées entre les civilisations islamique, bouddho-confucéenne et occidentale » (autres géopoliticiens : Kissinger, Brzezinski)

Transition : Les conflits sont un puissant accélérateur d’histoire, ou celui-ci peut-il nous conduire ?

II- UNE RADICALISATION EN MARCHE ? éviter les erreurs fatales

1- Aspects historiques et géopolitiques. « Les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font » (Marx repris par R Aron). Le grand virage libéral des années 80.

a) Les erreurs des stratèges occidentaux, russes et américains.

Ouvrage de PJ Luizard « Le piège DAECH. L’Etat islamique ou le retour de l’histoire » et en particulier le chapitre 3, titré « De Sykes Picot à Yaaroubiya » Les accords Sykes Picot sont signés en 1916, ils portent sur un partage du moyen Orient entre la France qui obtiendra le « Levant » (Syrie et Liban) et Mossoul. Pour les britanniques, la Mésopotamie (territoire irakien), la Transjordannie et la Palestine. Yaaroubiya est le lieu frontière entre Syrie et Jordanie que DAECH a choisi pour supprimer symboliquement la frontière entre Syrie et Jordannie, c’est ainsi qu’en juin 2014, L’Etat islamique en Irak et au Levant, devient Etat islamique, c’est à dire un nouvel Etat, qui solde l’héritage du partage colonial.

Entre 1916 et 2014, de nombreuses interventions occidentales ont tentés de modeler la géographie politique du Moyen Orient, et au delà, jusqu’en Afghanistan.

- 1917. La déclaration Balfour Ministre des affaires étrangères du RU, qui promet à Lord Lionel Rothschild, représentant la communauté juive du RU, d’un foyer national juif sur le territoire de la Palestine. Cette promesse sera renouvelée à la conférence de Paris de 1919 et de San Rémo en 1920. Première étape d’une situation inextricable, le conflit israélo palestinien constituant un abcès de fixation important au Moyen Orient.

- 1979/ 1989. Les troupes soviétiques s’embourbent en Afghanistan. Cette situation donne à l’administration Reagan , l’occasion de frapper l’URSS en armant la guérilla afghane, donc l’une de ses composantes, les Talibans (mouvement né en 1994) qui occupent Kaboul en 1996 et s’y maintiennent jusqu’en 2001. Le pouvoir mis en place par la coalition dirigée par les EU, reste fragile. Les Talibans, dont la figure emblématique est le Mollah Omar (décédé en 2013) . Ils refont parler d’eux en octobre 2015 au cours d’une tentative de conquête de la ville de Kunduz, l’une des principales villes d’Afghanistan. Bien qu’opposer à DAECH, les talibans constituent néanmoins une composante importante du djiadisme.

- 1980/1988 La guerre Iran/ Irak (400 000 morts) directement consécutive à l’arrivée de Khomeiny au pouvoir : la laïcité irakienne contre le régime des ayatollahs. L’occident voit en l’Irak un régime protecteur contre un risque de contamination : occasion pour la France d’établir un partenariat économique et commercial, pour les EU, de mettre en place une politique de « containment » à l’égard de l’Irak (prise d’otage à l’ambassade des EU à Téhéran.

- 1991 Opération « Tempête du désert » en 1991, 1e guerre du Golfe, après la tentative se Sadam Hussein de conquête du Koweït. Mené par les EU de George H Bush. Le conflit est suivi de la répression des Chiites du sud de l’Irak.

- 11 septembre 2001. Le retentissement est aussi fort que Pearl Harbour, mais l’ennemi n’est pas nettement identifiable.

L’analyse de l’administration Bush, considère qu’il existe des forces transnationales terroristes, le terrorisme de demain ressemble a des métastases malignes : al Qaeda est partout et nulle part. Le seul moyen de l’éradiquer c’est la démocratie, (l’idéologie démocratique contre l’idéologie totalitaire qu’incarne le terrorisme). D’ou le schéma de l’expansion de la démocratie en commençant par le maillon faible , l’Irak par effet de diffusion vers la Syrie, l’Iran et l’Arabie Saoudite (Constitution du Grand Moyen Orient), et l’adhésion au « Choc des civilisations ». Les justifications idéologiques sont tenaces.

b) l’héritage de la vague libérale depuis les années 80

Plus largement on peut s’interroger sur l’inflexion historique radicale qu’ont pu représenter les choix politiques anglo-saxons (EU, RU) des années 80. En procédant à une récupération hâtive et limitée des grands penseurs libéraux du 18eS et du 19e S (en particulier A Smith et JB Say) qui relève d’une instrumentalisation, on a favorisé le développement d’une société qui incarne l’individualisme triomphant.

La lutte pour les positions sociales et économiques est devenue acharnée, les récompenses pour les gagnants, l’aisance, la fortune, le pouvoir confirment une perte de sens. Certes le corps social « en quête de sens » réagit (cf la vigueur des mouvements associatifs, en France, plus encore en Espagne, en Amérique latine), mais les laisser pour compte en déficit de sentiment d’appartenance et de moyens d’accomplissement personnel peuvent contester violemment la société et adhérer à une vision apocalyptique de l’histoire. Pour résumer les conséquences de cette dérive, sous la plume de Daniel Cohen : « La société de consommation, c’est la consommation de la société ». L’ordre économique et financier et les conséquences sociales qui en découlent, offre à la critique un boulevard que les radicaux de l’Islam empruntent , une société individualiste, matérialiste et jouisseuse, dénuée de solidarité et qui sacralise l’argent. Cela ouvre aussi la voie à des théories complotistes, telles que le lobby américano sioniste, ennemi déclaré de l’Islam et des musulmans. DAECH a d’ailleurs bien identifié cette faiblesse, en qualifiant l’économie occidentale qui s’imposer au reste du monde d’ « ordre financier satanique »

2- Forte et fragile, « Une société française en quête de sens ». L’Islam, objet de tous les phantasmes. L’identité nationale en question.

• Islam, Islams

a) La diversité de l’Islam

- L’Islam en France, sortir des stéréotypes et des représentations

Si on s’en tient aux chiffres, il y aurait 5 à 6 millions de musulmans en France, soit 8% à 9% de la population.

1e commentaire C’est peu, néanmoins l’Islam est bien la 2e religion de France après le catholicisme et devant le protestantisme et le judaïsme. Voir Diapo, source anglo saxonne (stat relatifs à la religion, interdites en France) 2e commentaire : Pourquoi ignore-t-on le nombre précis de musulmans en France ?

La loi française interdit depuis 1872 de poser la question de la religion lors des recensements effectués par les organismes publics. Un principe réaffirmé dans la loi du 6 janvier 1978 (article 8) : « Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses... »

« Aujourd’hui, on estime qu’il y a à peu près 5 ou 6 millions de musulmans en France », Claude Guéant (alors Ministre de l’intérieur), reprenant des chiffres délivrés par la place Beauvau en juin 2010. Mais pour donner cette estimation, le gouvernement, qui n’a pas le droit de poser la question de l’appartenance religieuse, utilise le biais de l’origine géographique des personnes. C’est en comptabilisant le nombre de personnes venant d’un pays à dominante musulmane, ou ayant des parents qui en viennent, qu’il parvient à établir ce chiffre. Or, de l’aveu même du ministère, seuls 33% de ces 5 à 6 millions se déclarent croyants et pratiquants. Soit deux millions, l’équivalent du chiffre de l’enquête Insee/Ined d’octobre 2010. Cela n’empêche pas Cl Guéan de confirmer en 2011 (il est ministre de l’intérieur) en considérant que la hausse du nombre de musulmans pose problème.

Donc un premier amalgame provient de la façon même de comptabiliser les supposés musulmans. Dans la réalité dés que l’on a tenté de repérer par un chiffre les populations présupposés musulmanes , tout est possible : soit peu pratiquantes, soit non pratiquantes , soit en récupération de principes supposées justifiées par le coran ( comme le port du voile). L’appellation « musulman » est donc une boite noire, et toues les interprétations sont possibles.

Ahmed Benchemsi, universitaire enseignant à Stanford : « Il y a un certain paradoxe, dans un pays laïc à vouloir qualifier une partie de sa population par une appellation religieuse. Beaucoup se pensent musulman, car c’est l’image qu’on leur envoie d’eux même .La majorité ne vont pas, ou peu à la mosquée, fête l’ Aïd , et mange de la dinde à Noël, sur les plateaux de TV on convoque néanmoins des Imans qui sont censés parler en leur nom » On a vu effectivement des journalistes sommer leurs invités supposés représentatifs d’une pseudo communauté, d’exprimer leurs désapprobation pour incarner le bon islam ».

Raphaël Liogier, Directeur de l’observatoire des Religions, Professeur à l’Université Aix Marseille auteur de « Le mythe de l’islamisation, essaie sur une obsession » paru au Seuil en 2012, procédé a une approche historique des rapports conflictuels entre la société française et plus largement européenne et l’Islam :

- Le regard « fasciné », caractéristique du second 19e S (cf P Loti, auteur du « Roman d’un Spahi 1881)

- Le regard méprisant, celui du 20e siècle

- Le regard effrayé à partir des années 1980 (1983 : échec de la marche des beurs, tentative pour les enfants de l’immigration de passer du statut de minorité passive à celui de minorité active.)

- Le regard paranoïaque aujourd’hui

b) Le risque d’une identité nationale « à contre » ? la vigueur des thèses complotistes et des mythes qui en découlent..

Le complotisme saisit les « deux extrêmes » ennemis : détestation à l’égard de l’Islam , détestation à l’égard de l’occident …

1e « Récit » complotiste, emblématique de la détestation de l’Islam :

Voilà ce que R Liogier écrit dans un article publié par le Monde diplomatique de mai 2014, à propos du livre « Eurabia »,publié aux EU en 2005, puis traduit en hébreu, italien, néerlandais et français (Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2006). Le sous-titre, L’axe euro-arabe, renvoyant aux « forces de l’Axe » coalisées autour de l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale.

- « Après avoir « gangrené » le Vieux Continent, affirme-t-elle, la« civilisation arabo-musulmane » en fera la conquête. D’après Bat Ye’or, citée en référence dans le manifeste du tueur norvégien d’extrême droite Anders Behring Breivik, un monde arabo-musulman conquérant serait en passe de submerger une Europe décadente et cynique. Celle-ci aurait marchandé, en échange d’une pluie de pétrodollars, son soutien indéfectible à la Palestine, l’ouverture béante de ses frontières méditerranéennes et l’acceptation, in fine, de l’islamisation. »

Au delà du succès d’Eurabia, puis de celui « La rage et l’orgueil » (sortie en 2002 en réaction aux attentats de 2001) d’Oriana Fallaci, Liogier remarque que la banalisation de ce type de discours se diffuse dans le corps social, les médias de droite comme de gauche, allant visiblement dans le même sens …

« On ne compte plus les « unes » de magazines consacrées à la « menace » musulmane. Quand L’Express met en scène le combat de « L’Occident face à l’islam » (6 octobre 2010) ou assène « Les vérités qui dérangent » sur l’islam (11 juin 2008), Le Point répond en agitant « Le spectre islamiste » (3 février 2011), promet de révéler « Ce qu’on ne dit pas sur la burqa » (21 janvier 2011) ou s’emporte face à « Cet islam sans gêne » (1er novembre 2012). Le Figaro Magazine, Valeurs actuelles, mais parfois aussi Marianne ou Le Nouvel Observateur n’ont pas des lignes très différentes. »

Inévitablement selon Liogier, cette diffusion s’observe sur le champs politique…

« L’ombre du complot musulman alimente une nouvelle logique de défense culturelle : défense des « valeurs » et du « mode de vie » des peuples européens « de souche » menacés par l’ensemble des minorités ethnoculturelles dont les musulmans représentent la quintessence idéale et terrifiante. Grâce au mythe d’Eurabia, des partis européens objectivement situés à l’extrême droite peuvent prétendre dépasser la distinction droite-gauche. Et se présenter, en falsifiant ces valeurs, comme des défenseurs du progrès, de la liberté, de la démocratie, de l’indépendance, de la tolérance, de la laïcité, séduisant ainsi au-delà de leur périmètre électoral habituel. C’est dans cette mise en scène de l’ennemi, projection de notre propre faiblesse, de notre incapacité à voir où sont le juste et l’injuste, ou nous finissons par dévoyer nos propres principes à force de dire n’importe quoi, qu’on arrive à constituer un désir de vengeance dans notre propre société » .

2e Récit complotiste 19HH

Dans le registre des phantasmes orchestrés, les radicaux de l’Islam ne sont pas en reste. Pour preuve, la contribution de celui qui est ,selon Gilles Kepel, le principal recruteur par vidéo des djihadistes pour la Syrie. Omar Omsen, mort au combat en Syrie au mois de juillet 2015, présente dans une série de vidéos de son cru, titrée « 19 HH, l’histoire de l’humanité », sa conception de la création du Monde et la dénonciation des ennemis l’Islam. En voici la présentation par G Kepel :

« Les informations télévisées sont présentées comme un tissu de mensonges délibérées destinées à asservir l’humanité à l’empire (star war !) américano sioniste, assimilé à Ibliss (Satan), dans cette approche manichéenne, le djihad pourchasse le mal pour atteindre le bien » Dans ces vidéos, les musulmans français sont présentés comme les principales victimes du système frappé d’islamophobie, en s’appuyant sur des citations coraniques et sur les hadiths du Prophète sortis de leur contexte, on voit bien une instrumentalisation de la religion, dans l’objectif d’inventer un récit dont les musulmans des pays européens (et notamment la France) sont les victimes

- Conclusion de R Liogier, sur le danger des « récits » qui font « mythes »…

« On assiste à une intensification de la mise en scène de la guerre des identités, avec des locuteurs qui surfent sur les frayeurs d’Européens mal à l’aise avec la globalisation » Afin d’être vécu, le mythe doit d’abord être cru. Chacun, dans ce théâtre tragique de l’islamisation - tragique et non pas seulement dramatique, parce que c’est bien la mort de l’Etre européen qui est projetée sur scène - doit pouvoir tenir sérieusement son rôle… De ce point de vue, ceux qui y adhérent ne sont pas des mythomanes- ils ne sont pas de simples affabulateurs, ni des phobiques, ils ne fuient pas l’objet de leur peur irraisonnée. Ils ressemblent bien davantage, pour continuer à filer la métaphore clinique, aux paranoïaques qui cherchent sans cesse à confirmer objectivement leur interprétation du réel, à nourrir le mythe qui donne sens à leur paranoïa »

D’où la tentation du replis identitaire …

L’arrivée massive des migrants venus de Syrie vers l’Europe a relancé les débats sur l’espace Schengen et plus largement la nécessité de refermer les frontières. Les amalgames vont bon train sur l’amplification du risque terroriste liée à cette migration, sur fond de priorité absolue à la sécurité. Pour l’ensemble européen (508 millions d’habitants) avec 1 million d’arrivants (chiffres probables pour 2014/2015) la proportion est 0,2%, soit un chiffre infiniment moins élevé que pour les pays limitrophes de la Syrie : Turquie, Jordanie, Liban (20% pour ce dernier).

Les réactions identitaires se manifestent depuis plusieurs années en Europe, comme le confirment les résultats électoraux lors des élections européennes UE. La position très radicalisée du pouvoir polonais aujourd’hui (victoire du parti « Droit et justice de Jaroslaw Kaczinski, à la présidence : Andrej Duda , puis aux législatives d’octobre dernier, 1e ministre Beata Szydlo) sur les questions relevant du contrôle des médias et de la politique migratoire, proche des conceptions de Viktor Orban, en Hongrie.

Cette recherche identitaire, a toutes les apparences d’un retour aux valeurs et aux repères que nous aurions perdu, condition pour restructurer nos sociétés fragilisées.

Ainsi le rapport entre l’Islam et l’occident sera le résultat d’une confrontation par représentations et mythes interposés, la radicalisation et les actes de guerre ne faisant que les conforter selon le mécanisme de la « prophétie auto-réalisatrice »

III- QUE FAIRE ? DECIDER ? AGIR ? PREPARER UN MONDE NOUVEAU

1-Réponses nationales

a) Sécuritaires.

Au cours d’une séance solennel à Versailles le lundi 16/11, François Hollande annonce le prolongement de l’Etat d’urgence , pour une durée de trois mois. Dans le cadre de l’Etat d’urgence, d’une durée de trois mois, quelles sont les principales mesures et sont-elles adaptées ?

- Les assignations à résidence sont élargies : Toute personne suspectée de « menacer la sécurité et l’ordre publics » pourra être maintenue chez elle « 12 heures sur 24 » et certaines même placées sous bracelet électronique. Problème : de telles mesures ont été appliquées à l’égard de militants écologistes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, au motif d’éviter tout trouble à l’ordre public, dans le cadre de la COP 21.

- La déchéance de nationalité pour les binationaux : François Hollande souhaite qu’il y ait plus de facilité à déchoir de leur nationalité les binationaux nés en France et condamné pour atteinte aux intérêts de la Nation ou pour acte de terrorisme.

L’article 25 du code civil limite cette mesure aux binationaux car la déchéance rendrait apatride les autres, ce qui incompatible avec les engagements internationaux de la France.

Problème : « Cela renforce ceux qui veulent remettre en cause le droit du sol, demain, si un autre gouvernement arrive au pouvoir quelle interprétation en fera t il ? » Michel Tubiana (Ex-Président de la ligue des droits de l’homme, cité dans l’humanité le 21/11).Remise en cause du principe de citoyenneté une et indivisible, inscrit dans la Constitution.

- Perquisitions administratives confortées, sur la seule initiative de l’autorité administrative (préfet et police).

Problème : ces mesures échappent au contrôle des juges. La ligue des droits de l’homme a réagi vivement par ce communiqué : « Pendant trois mois, pour des motifs les plus divers et sans contrôle préalable de la justice, 66 millions de personnes pourront voir la police rentrer chez elles de jour comme de nuit »

- Forces de l’ordre armées en permanence, y compris en dehors du service (mesure appliquée par voie réglementaire)

problème : cette mesure ne semble pas faire d’objection majeure, dans une période ou la cote de popularité de la police est élevée (sauf dans les banlieues évidemment). Demeure cependant des problèmes pratiques : dans les transports en commun, comment la personne armée pourra t elle effectivement identifiée comme faisant partie des forces de l’ordre ? quid de l’état psychologique du policier agissant sans ordre, isolement et tenu d’apprécier seul la situation ?

- Une nouvelle structure pour « jeune radicalisés », mesure présentée par M Valls le 19/11.

Problème : 11000 personnes sont actuellement fichés S (posant potentiellement un risque de radicalisation) comment les trier, sachant qu’une telle structure d’accueil ne pourrait recevoir une telle population. Alain Chouet, ex chef du renseignement à la DGSE et spécialiste du Moyen Orient, exprime ainsi son scepticisme « Il faudra des moyens immenses, des milliers de personnes, formées et compétentes, un centre de déradicalisation ne peut être une alternative à l’enfermement carcéral »

- Fermer les mosquées radicales, dissoudre les associations culturelles occupant des lieux de culte radicalisés et faisant l’apologie de la violence. 40 expulsions ont déjà été effectuées depuis 2012, mais les mesures ne concernaient que des étrangers. Il s’agit donc de sanctionner par d’autres moyens, les nationaux.

Problème : fermer des mosquées peut être considéré comme le début d’une stigmatisation touchant la population musulmane. De plus le principal vecteur du terrorisme, ce n’est pas principalement le salifisme ou les mosquées radicales, mais l’internet et le milieu carcéral .

- Contrôle de l’Internet, filtrage systématique et interdiction des sites faisant l’apologie du djihad.

Problèmes : le blocage des sites est facilement contournable et pousse les djihadistes, experts en la matière, à se doter d’outils encore plus sophistiqués. Le contrôle des réseaux sociaux ne peut se faire sans la collaboration d’opérateurs qui échappent à toute législation nationale (Facebook..). Cette action est susceptible d’être mieux mené par le groupe de Hackers Anonymous, qui a lancé des attaques contre DAECH.

Toutes ces mesures sont sans doute utiles mais suppose, au delà du cadre juridique, une conscience démocratique de la part de tous les acteurs concernés par l’application de ces mesures.

b) Socio-économiques (Education, action sociale et économique).

- L’action des travailleurs sociaux, des Associations sur le terrain est indispensable et difficile. Faute moyen elles évitent une dégradation de la situation pour éviter la rupture, avec plus de moyens elles pourraient développer une stratégie d’amélioration des conditions de vie quotidienne

- Le moyen incontournable reste l’amélioration sensible du niveau d’employabilité des populations concernées, c’est à dire la socialisation par le travail. Encore faut-il de la croissance, mais celle qui génère de la production et des emplois, et non celle qui est nourrie par des stratégies et des valorisations financières.

- Les fondamentaux de la sociologie, rappellent l’importance des agents de socialisation, que représentent successivement la famille, l’école, le monde du travail (l’entreprise) encore faut-il qu’il y ait homogénéité de valeurs, de moyens et d’objectifs entre ces agents. Tout télescopage entre eux, se traduit inévitablement par des risques de désocialisation.

- La politique de ville doit impérativement déployer des moyens de réhabilitation et de reconnexion des banlieues avec le reste du territoire.

- Enfin dans une société toute à la fois marquée par l’individualisme et le besoin de faire collectif, la déficience de corps intermédiaires aujourd’hui en crise (comme les syndicats, partis politiques, associations).

- L’action de l’école est fondamentale, mais ne peut se mesurer qu’à long terme et l’analyse de ce qu’il faudrait mettre en œuvre supposerait une intervention à part entière. A la question Comment retrouver un sens fondateur pour l’école, Régis Debray (Philosophe et écrivain), répond : « Il passe par une refonte de l’école, le retour à ses principes. Qu’elle redevienne un lieu d’instruction et non un lieu d’animation. Non pas adapter les consciences à l’état de la société actuelle mais apprendre à penser par soi même. Pour apprendre à se passer de maître, il faut des maîtres. Des maîtres correctement payés et respectés dans leur dignité. Quand l’échelle de valeurs est indexée sur l’échelle des revenus, la tâche est difficile »

Renouer avec la mobilité sociale et la méritocratie, voilà l’enjeu.

2- Réponses internationales.

a) situation et perspectives militaires

- Un ensemble peu coordonné (Russie/Iran VS EU/France et RU)
- Des « Alliés » parfois troubles (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar)
- Des troupes au sol disparates (voir en conflit entre eux et n’ayant pas le même objectif) : Milices Chiites en Irak et Hezbollah (Liban), soutenues par l’Iran. Armée Irakienne soutenue par les EU. Armée Syrienne de Bachar el Assad, soutenue par la Russie. Al Nostra, composante d’Al Qaïda que l’on peut supposer soutenu par l’Arabie Saoudite. La rébellion démocratique, opposée à Bahar, soutenue par la coalition occidentale. On notera de plus en plus souvent l’absence de concertation et d’autorisation venu du conseil de sécurité de l’ONU, et donc la répétition, coté français de la réplique américaine de 2001.

b) Situation et perspectives diplomatiques

- Absence de positionnements clairs. La détermination américaine n’est pas toujours bien perceptible, et que la Russie, au contraire renoue avec une volonté de puissance.

- Aléas permanents L’action diplomatique évolue sous la pression des faits, notamment les actes terroristes. Il peut s’agir d’une mobilisation à éclipses, court-termiste en fonction des phases de tensions et d’apaisement. (exemple du bombardier russe détruit par la Turquie). Donc une recomposition géopolitique très importante mais totalement aléatoire dans son processus. Le danger est là, une mécanique non maitrisée qui peut conduire à des tensions déclenchant un conflit généralisé, sans que personne ne l’ait souhaité.

- Une diplomatie, otage de l’idéologie (a l’opposé de la « réal politik » des années 70) C’est ainsi que resurgit le thème du choc des civilisations, sur lequel, par exemple et en-dehors de DAECH ou des néocons américains (cf les arguments électoraux d’un D Trump), s’appuie V Poutine, contre l’islam radical, mais aussi contre l’Europe décadente , dont il faut limiter l’influence surtout continentale (cf annexion de la Crimée et soutien de l’opposition ukrainienne slavophile, contre l’Ukraine européaniste) Le discours de Poutine rejoint donc paradoxalement celui de DAECH s’agissant du « ventre mou » que représente l’Europe (cela explique d’ailleurs une différence de stratégie entre Al Qaïda, dont la cible principale fut les EU, alors que pour DAECH, les cibles sont aujourd’hui principalement européennes).

- Une UE indigente Il est vrai que l’UE est encore une fois singulièrement absente du jeu diplomatique. Il n’y a donc que des positions exprimées par les deux puissances, disposant de deux atouts, une armée forte et la position de membre permanent au Conseil de sécurité, la France et la GB. L’Allemagne ne jouant qu’un rôle d’auxiliaire dans ce jeu diplomatique.

Même si les lignes bougent sur le plan de la sécurité (PNR fichier des données de passagers aériens, entorses plus concertées sur l’espace Schengen), nous restons très en retard sur le front diplomatique. Dommage car les premiers moyens (sécuritaires), peut être nécessaires, sont faciles mais ne règlent nullement le problème de fond, et les seconds restent à inventer. (Question : qui est le Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères ? Fédérica Moghérini , ex Ministre des affaires étrangères italienne, nommée à son nouveau poste le 30/08/2014).

- Un abcès de fixation. Il ne faut pas oublier qu’un point de fixation continue de constituer un enjeu fondamental dans ce jeu diplomatique : le conflit israélo palestinien. Pour preuve, sur l’une des nouvelles pièces de monnaie émise par DAECH, le Dinar islamique, figure la Mosquée Al Aqsar au cœur de Jérusalem

3- Réponses citoyennes et politiques

a) Un corps social qui résiste est un corps social vivant, ouvert et flexible

Lionel Naccache, dans un ouvrage qui a pour sous titre « Du microcosme cérébral au macrocosme social »

« Une société inconsciente correspondrait à une société « éveillée », c’est à dire toujours capable de réagir de d’interagir avec l’écosystème auquel elle appartient, avec les autres sociétés qui l’entourent, ainsi qu’avec des individus qui la composent et ceux qui lui sont extérieurs. Une société « éveillée » et agissante donc, mais devenue incapable de produire autre chose que ces actes. Une société qui agirait tout en étant aveugle à ses propres actions. Une société dépourvue de tout sens critique sur elle même, et donc aussi dépourvue de toute alternative stratégique à ce qui est en train de se passer. Une société sans recul sur le cours des choses et sur celui de ses actions. Une société dont la marche une fois lancée deviendrait prévisible, inexorable, inflexible. Une locomotive lancée sur le rail de ses actions, qui n’en finirait pas d’engendrer des chaînes de causalité en boucle, sans disposer de cette faculté autorisant l’exploration d’alternatives et donc la création d’autres futurs possibles. Une société perdant la possibilité de générer des actions spontanées, de modifier ses stratégies et de réviser ses objectifs ». Voilà donc ce qu’il faut craindre. Une société qui après l’émotion, zapperait sur autre chose, comme un automate, sans réaction autonome, et déléguant au sommet du pouvoir, l’exclusivité de la résolution de nos problèmes, bref un glissement en douceur vers un ordre totalitaire. Les observations de Naccache ne sont pas ni un constat, ni une prédiction, mais une possibilité qui s’affirme, alors même que notre monde dispose d’un potentiel de conscience jamais atteint auparavant.

Mathieu Ricard répond aux questions du Point (19 novembre 2015)

Dans une société en état de choc, comment résister à la haine ?

« Evidemment, la tentation de la violence est forte. Mais comme le disait Gandhi, si on applique la loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent »), le monde sera bientôt aveugle et édenté. La meilleure réponse à ces actes c’est la solidarité. Cette situation est le sous-produit d’inégalités qui ne cessent de croître entre les Continents, Les Etats et au sein de chaque société. Les inégalités dans le monde sont les principales causes de l’insécurité »

Devrons-nous ensemble faire preuve de résilience ?

« La résilience est une bonne chose parce qu’elle évite de sombrer. Nous avons à faire face à des déviations de la nature humaine, nous pouvons donc y remédier. La résilience ce n’est pas la résignation, au contraire, c’est une force d’âme qui permet de faire face aux hauts et aux bas de la société, avec sagesse. On peut affronter la peur, par solidarité et altruisme, qui sont des valeurs pragmatiques dans une société en crise. La coopération entre les individus s’impose d’autant plus quand on fait face à l’adversité ».

Au delà de diagnostic et de propositions générales, voici plus précisément trois piliers sur lesquelles une réaction sociale peut s’adosser…

b) Citoyenneté, laïcité, contrat social.

- Citoyenneté et laïcité.

Au delà du triptyque, « Liberté égalité fraternité » notre contrat social est fondé sur la laïcité et la citoyenneté…

La citoyenneté confère à tout français des droits et des devoirs, elle s’adosse sur un contrat social assurant à tout citoyen la sécurité et la protection. Elle est constitutive d’un sentiment d’appartenance, quand tout va bien, cad dés lors qu’il n’y a pas de distorsion entre les valeurs qui fondent la citoyenneté (liberté, égalité, fraternité) et la réalité. Pour une partie des citoyens qui se reconnaissent implicitement ou explicitement dans ces valeurs, tout ce qui peut les atteindre provoque une forte réaction. Pour ceux qui estiment qu’il y a distorsion, et qui s’estiment duper, il y a rejet. Le fond de ce rejet sont les conditions de vie quotidiennes.

Comme l’exprime F Chéréque (ex secrétaire de la CFDT), « Il n’y a jamais eu autant de pauvres chez les moins de 18 ans (20%) Comment dans ces conditions inculquer un devoir de citoyenneté ? ».. Il propose une généralisation du service civique. Au delà, voici quelques pistes :

L’armée.

Intéressant de constater qu’une institution en France fait mieux que les autres sur cette question, c’est l’armée. Comme le souligne Olivier Roy (politologue, spécialiste de l’Islam directeur de recherche au CNRS, auteur de « La laïcité face à l’Islam » Stock 2005) elle propose tout à la fois un cadre très structuré, une possibilité d’expression d’un engagement (parfois héroïque) et une prise en compte du religieux (le système des aumôneries militaires inclus des représentants de l’Islam).

Une laïcité ouverte et inclusive.

La loi de 1905 portant sur la laïcité, assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes, sous la seule réserve de l’ordre public. Contrairement aux idées reçues la laïcité n’est pas l’ennemi de la religion, mais son protecteur. C’est ce que rappelle Jean Baudérot (Historien et Sociologue, auteur de « La laïcité falsifiée »). « Il faut que la laïcité soit la plus inclusive possible plutôt que de l’invoquer pour justifier une méfiance à l’égard de l’Islam. Il faut aussi distinguer laïcité et sécularisation. La sécularisation est une prise de distance à l’égard des normes religieuses, alors que la laïcité permet aux individus qui ont des rapports différents à la sécularisation de pouvoir vivre ensemble. »

Aumôniers musulmans dans les prisons et les établissements scolaires.

Il existe un Observatoire de la laïcité qui a formulé des propositions, par exemple, recruter des aumôniers musulmans dans les prisons, développer l’enseignement religieux dans les établissements scolaires.

La démocratie française est conforme aux principes qui fondent toute démocratie (rappel : une monarchie constitutionnelle est une démocratie), le pouvoir est l’émanation du peuple.

Mais elle est spécifique en cela que le contrat social parachevé au lendemain de la 2e GM, notamment avec une protection sociale très ambitieuse, s’appuie sur la laïcité, l’un des principaux piliers de nos règles républicaines. Il y a une certaine unanimité à sauvegarder ce qui fait contrat social, mais les évolutions socio économiques induisent un débat quant à la manière de le sauvegarder.

Multiculturalisme « tempéré »

Le débat reste vif sur la question de l’identité nationale :

- la France se fonde-t-elle sur des caractéristiques propres et immuables qui font identité à la quelle tous les français quel que soit leurs convictions (notamment religieuses) et leurs origines, doivent se rallier. (La France tu l’aimes ou tu la quittes)

- La France est le produit d’une évolution continue, au fur et à mesure des apports culturels, religieux, sociaux de populations qui cohabitent et plus encore se mélangent. Bref une approche en terme de multiculturalisme. Le but de cette présentation n’est pas de trancher. Mais on peut formuler une alternative : C’est la voie suggérée par Alain Renaut, professeur de philosophie politique à Paris Sorbonne.

« Ainsi il n’existe en France aucune forme de multiculturalisme de jure, alors même que de facto, le caractère multiculturel de la population est l’une des données collectives de notre vie. Ce décalage entre le fait et le droit ne peut qu’apparaître profondément conflictogéne. » Chez cet auteur, ce multiculturalisme tempéré, se distingue du multiculturalisme anglo-saxon, en y introduisant de l’inter culturalisme, cad en établissant des passerelles de compréhension entre ces cultures (identité ouverte vs identité fermée). Comment ? Avec tous les moyens précédemment cités et notamment l’école.

Un Islam « ouvert »

« Le monde musulman a-t-il besoin d’un aggiornamento à l’intérieur de l’Islam ? bien sûr. Ce n’est pas parce que je dis que le fondamentalisme actuel n’est pas le chemin vers de djihadisme que pour autant le fondamentalisme est souhaitable. Mais la réforme de l’Islam ne relève pas du domaine de la répression et de l’ordre public. » R Liogier.

Le conseil Français du Culte Musulman, doit sans doute se trouver une légitimité et des moyens d’action qui lui sont propres. Mais les bonnes volontés de manquent pas..A titre d’exemple, deux figures emblématiques sont évoquées à juste titre sur les médias, deux portraits qui font réponses à ceux des assassins tout à l’heure…Ce sont des femmes de confession musulmane. Dounia Bouzar est la Responsable du centre de prévention des dérives sectaires.Latifa Ibn Ziaten, mère de l’une des victimes des crimes commis par M Mehra (militaire français et musulman), qui se consacre pleinement à l’association qu’elle a fondée, Association pour la jeunesse et la Paix.

Le retour du politique :

- Rénover la vie politique : Barak Obama discours de l’Union (12/01/2016) « C’est l’un des rares regrets de ma présidence, que la rancœur et la suspicion entre les partis se soient aggravées au lieu de s’améliorer ». En France, les intentions de Xavier Bertrand ou de Gérald Darmanin, relative à la région Nord Pas de Calais (Président et vice président) : rapprochement vers le terrain.

- Rénover nos Institutions politiques..Un régime présidentiel fort est il compatible avec une démocratie active et responsable ?

- Reconsidérer « l’offre politique », les canaux d’expression politiques sont-ils encore en phase avec la « demande politique » de la société actuelle ?

CONCLUSION - une approche globale et apaisée !

- E. Morin, en référence à la thématique de la « fin de l’histoire » (Francis Fukuyama « La fin de l’histoire et le dernier homme » Flammarion 1992). « Selon ce principe, l’histoire humaine n’a plus rien à inventer parce que, avec la démocratie représentative, elle a trouvé la meilleure forme de politique pour la société, et parce que, avec l’économie libérale elle a trouvé la meilleure forme économique. Cette idée occulte tout progrès qui pourrait surgir du futur : il n’y aura pas de nouvelle vérité sociologique, politique ou humaine…. C’est ainsi que le présent peut hypothéquer le futur…Selon moi, il est très souhaitable que l’idée de fin de l’histoire puisse signifier la fin d’une histoire faite de guerres entre les nations, parce que c’est une histoire très mortifère, pour faire place à une métahistoire, non pas du tout immobilité, mais à un autre devenir, qui j’espère sera une autre voie, vers une métamorphose. Nous sommes à mon avis, dans la préhistoire de l’esprit humain et non pas à sa fin : il y a encore à découvrir, à créer. Nous sommes encore dans l’âge barbare des relations entre les humains, entre les peuples, entre les Nations. Des phénomènes d’apaisement coexistent avec des phénomènes d’antagonisme. Là ou s’implante al-Qaida ou Daech là où ils imposent une application bornée et sectaire de la charia, il y a une opposition conflictuelle non seulement à la civilisation occidentale mais à l’Islam paisible d’innombrables populations. »

« L’optimisme nous aveugle sur les périls ; le pessimisme nous paralyse et contribue au pire. Il faut penser au delà de l’optimisme et du pessimisme » E Morin. « Penser global », l’humain et son univers. R Laffont 2015. « La plus grande leçon de l’histoire est que les humains ne tirent pas les leçons de l’histoire » Aldous Huxley (« Le meilleur des mondes » 1932)

Khaled Bentounès Dirigeant d’une importante confrérie soufiste, fondateur des scouts musulmans de France, répond à la question : Quelles sont les valeurs du futur selon vous ? « La plus essentielle est l’humanité. Il faut absolument réapprendre où est la ligne rouge entre humain et inhumain. Et enseigner à nos enfants la sacralité de la vie. Tout être humain, quel qu’il soit, croyant ou non, musulman ou non, quelque soient sa religion, sa philosophie, son peuple, son sexe et sa race, doit être respecté »

Pour finir une dernière référence : le texte d’Antoine Leiris « vous n’aurez pas ma haine » écrit au lendemain de la mort de son épouse dans les attentats du 13 novembre.