Le Café Politique

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  Citoyens de tous les pays, unissez-vous

vendredi 13 novembre 2015, par François-Xavier Barandiaran

C’est le nouveau cri de ralliement pour stopper le changement climatique et en finir avec les trois ressorts de notre économie ultralibérale : extractivisme, productivisme, consumérisme.

Il est devenu patent que l’augmentation de la température du globe s’accélère : 14 des 15 années les plus chaudes de l’histoire se situent au XXI è siècle et les neuf premiers mois de cette année ont été les plus chauds jamais enregistrés, atteignant une augmentation générale de 1°. En ce mois de novembre nous avons des températures propres au mois de mai et les gens se baignent sur les plages du Pays Basque ! Bien plus graves sont les conséquences dans d’autres contrées de la Terre : chez les Inuits du Groenland, à cause de la fonte des glaces ; à Tuvalu, premier pays polynésien appelé à disparaître, suite à la montée du niveau de la mer ; au Niger, pour cause de sècheresse, la période des pluies étant passée de 80 à 60 jours par an. On chiffre déjà à 25 millions le nombre de « réfugiés climatiques » et, surtout en Afrique, un certain nombre de conflits n’est pas étranger au changement climatique.

Nous sommes à quelques jours de la COP21 qui réunira à Paris les 195 pays de l’ONU, six ans après la COP15 de Copenhague, qui s’était soldée par un grand fiasco, incapable de donner une suite aux accords de Kyoto. Que d’années perdues ! Personne ne doute que cette fois-ci les résultats seront moins décevants : les deux mastodontes de l’économie mondiale, les USA et la Chine, ne bouderont pas la Conférence ; de grandes multinationales ne veulent pas rester à la marge de la problématique du climat ; sous la pression publique, des banques et des fonds souverains commencent à désinvestir dans l’extraction des énergies fossiles… et, en signe d’espoir, de multiples et diverses manifestations et campagnes de désobéissance civique aux USA ont amené le Président Obama à émettre son véto contre l’oléoduc Keystone XL, qui devait traverser le pays pour l’exploitation des pétroles des sables bitumineux de l’Alberta canadien. Comme souvent, il y aura le camp de ceux qui mettront an avant les avancées – les gouvernements et le secteur industrialo-politique – et ceux qui insisteront sur l’énorme décalage à combler par rapport au souhaitable. La presse montera un scénario de dramatisation avant la signature, à la dernière minute, d’un accord qui – nous le savons déjà – sera bien en dessous des enjeux et des urgences.

Que faut-il attendre de la COP21 ? Au-delà de ses résultats pratiques immédiats, il ne faut pas négliger son effet « civilisateur » : la création d’une conscience planétaire, les interactions entre toutes les aires économiques de notre « village global », les interrogations inéluctables sur le sens du véritable progrès dans la marche de l’Humanité… La COP21 ne sera qu’une étape sur la route longue du réchauffement global, qui fait boule de neige et qui, en quelque sorte, est déjà irrattrapable. D’aucuns penseront que ce qui compte le plus – pour éviter la catastrophe – ce sont toutes les actions menées de par le monde pour modifier les mentalités, pour faire reculer la consommation des énergies carbonées et donner un élan supplémentaire à toutes les résistances de « la Blocardie », selon la dénomination de Naomi Klein.

L’une des pierres de touche de la COP21 sera le « fonds vert » de 100 milliards de dollars que les vingt pays riches contributeurs s’étaient engagés à transférer d’ici à 2020, chaque année, aux pays non développés pour faciliter leur adaptation aux changements climatiques et pour qu’ils puissent rester dans la course de la création des énergies renouvelables. C’est la question de la « justice climatique » ou de la « dette climatique » qui engage les pays industrialisés, qui ont créé le problème depuis deux siècles, à l’égard des pays non industrialisés, qui sont les premiers à souffrir de ce réchauffement global : en effet, ce sont les pays pauvres – ainsi que les couches pauvres des pays riches – qui paient et qui paieront le prix le plus cher ! La Banque Mondiale ne projette-t-elle pas l’apparition de cent millions de gens vivant dans l’extrême pauvreté ? Il s’agit, donc, d’aider ces pays, dits émergents, à sauter l’étape charbon pour passer directement aux énergies renouvelables, en particulier solaires, pour lesquelles leur géographie ne les désavantage pas. Leur permettre d’accéder « aux biens communs » en poursuivant leur développement par des moyens plus propres et durables. Nous avons une dette à leur égard, puisque 20 % de la population mondiale, c’est-à-dire nous, les pays riches, consomme 80 % des énergies produites. Les aider à créer des infrastructures qui leur permettront de faire face aux traumatismes climatiques dont on est sûr qu’ils vont se produire. D’ailleurs, lors de la dernière réunion préparatoire de la COP21, à Bonn, le groupe des 77 (qui réunit, en fait, 137 pays, sous le leadership de la Chine) a menacé d’arrêter les négociations si on ne met pas en place les mécanismes réels – ils ne croient plus aux promesses – de fonctionnement de ce « fonds vert », ainsi que les canaux de financement.

Le point faible de la réunion onusienne de Paris est d’avoir renoncé aux dispositions contraignantes : chaque pays a été invité à chiffrer les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il est prêt à réaliser. Pour le moment il n’est pas question d’évaluation, de contrôle, et encore moins de sanctions ! Comment, dès lors, pourrait-on faire confiance à un accord qui ne garantit même pas que les Etats respecteront leurs promesses ? 150 pays ont fait part de leur libre engagement (à noter qu’un bon nombre de producteurs de pétrole figurent sur la liste des absents !), alors qu’ils sont responsables de 90 % des émissions actuelles. Résultat encourageant, diront certains, surtout si on tient compte que des pays, qui s’étaient mis sur la marge des accords de Kyoto, comme la Chine, les USA, l’Inde, etc. ont, enfin, commencé à chiffrer leurs efforts consentis, qui restent, tout de même, bien en dessous de ceux des pays européens. Est-ce par conviction ou pour ne pas apparaître comme des irresponsables ?

Toujours est-il qu’on est loin des niveaux nécessaires pour ne pas dépasser les 2°, ligne rouge à ne pas franchir absolument, qui est l’objectif fixé par la COP21. Dans l’état actuel des négociations l’ONU calcule qu’on va plutôt vers les 3°, alors que les associations environnementales tablent sur 4° et même au-dessus, avant la fin du siècle ! Il y a vraiment de quoi nourrir des inquiétudes, quand on sait, d’une part, que l’objectif qui mettrait la planète à l’abri de graves catastrophes est de ne pas dépasser 1,5° et que, d’autre part, des projections réalistes annoncent que les émissions de CO2 sont en constante augmentation et continueront de croître d’ici à 2030, ce qui représenterait 45% de plus par rapport à la base de 1990. Au rythme actuel nous aurons atteint les 2° dans 20 ans ! Dans cette course contre la montre nous avons perdu déjà vingt-cinq ans, depuis que le GIEC nous a alertés. Dans nos sociétés la bataille intellectuelle n’est même pas gagnée et, après deux siècles de consommation d’énergies fossiles pas chères, nous nous trouvons devant des multinationales qui ne veulent pas perdre leurs avantages et leur capacité d’influer sur les pouvoirs politiques et des consommateurs qui rechignent à modifier leurs modes de vie et, par conséquent, à faite pression sur les gouvernements pour faire les choix qui s’imposent avant qu’il ne soit trop tard.

L’impératif absolu est de réduire l’empreinte carbone drastiquement d’ici à 2050, de ne pas dépasser la concentration de 450 parties par million (ppm) des gaz à effet de serre. Or, nous en sommes, déjà, à 400 ppm, alors que le chiffre était de 350 en 1990 ! Cela exige de diviser globalement par deux les dites émissions et par cinq pour les pays riches, si on veut que les pays en retard arrivent à jouir des « biens communs » que nous avons largement dépassés il y a longtemps (Je fais abstraction des inégalités injustes entre classes sociales, dans nos sociétés d’abondance). Cela choque de front contre la logique des marchés dérégulés dont le cadet des soucis est le bien-être des hommes, la justice sociale, l’équité entre pays riches et pauvres et la transmission d’une planète habitable aux générations futures. Nous vivons sous le mythe de la croissance, « la religion du monde moderne », selon l’expression de l’économiste Daniel Cohen. Et le mouvement ATTAC écrit : « Les oligarchies politiques pour se maintenir recherchent quelques points de croissance, croyant y trouver la légitimité perdue à force de politiques d’austérité brutales » (Le climat est notre affaire, % ATTAC, Ed L.L.L., page 33). Mais, comment pourrait-il en être autrement tant que l’ultralibéralisme économique continuera à diriger la politique des Etats ? L’écologie et la financiarisation de l’économie s’excluent réciproquement.

A la fin de la COP21, la France pays hôte, les autres Etats et les grands medias n’auront de cesse de se féliciter pour le succès des négociations. Mais, comme l’écrit l’artiste-activiste J.Jordan, dans Crime climatique, Stop ! (Le Seuil, page 284) : « Tout le monde sait que l’accord signé ménagera les marchés, les multinationales des combustibles fossiles qui font des profits et le système capitaliste redynamisé derrière le vernis de développement durable ». La techno-économie s’infiltre de plus en plus dans les négociations nationales et internationales pour la transition climatique. Déjà, le Gouvernement français a invité ENGIE, SUEZ, BNP, VEOLIA, etc. à participer au financement de la rencontre de Paris : 20% des 170 millions d’euros que coûtera la COP21 seront apportés par des entreprises privées. Des sponsors qui sont les premiers pollueurs ! Les multinationales et les grandes banques françaises –super agents du dérèglement climatique- associés au financement de la Conférence de Paris, alors qu’on n’a pas exigé d’eux le moindre engagement pour décarboner leurs activités, en garantie de leur sincérité dans la lutte contre le réchauffement global ! Il est vrai qu’ils commencent à investir timidement dans les énergies renouvelables, pour ne pas rester en dehors de la course. Encore plus dangereux : beaucoup de participants à la COP21 mettent leurs espoirs dans des solutions technologico-financières. On entend parler d’ « économie verte », de « géo ingénierie » capable de séquestrer le carbone dans le sous-sol terrestre ou dans les océans, de « marché du carbone », solution introduite par les accords de Kyoto et qui soulève tant de critiques de la part des associations climatiques qui n’hésitent pas à parler de fiasco des marchés du carbone. Parfaitement inefficace, à ce jour, et source de spéculations financières, on ne peut pas laisser le marché déterminer le prix du carbone. Il ne pourrait jouer un rôle de régulateur que si le prix de la tonne de carbone était fixé à un niveau suffisamment élevé et strictement contrôlé. Un autre exemple récent qui doit nous prémunir contre ces pseudo-solutions qui trahissent les connivences entre le pouvoir industrialo-financier et les politiques, c’est le scandale du logiciel trompeur de VW. Cette histoire est une parabole des rapports entre l’économie libérale et les dégâts irréparables que nous sommes en train d’infliger à notre planète.

Tout autres sont les solutions proposées par les mouvements écologistes de toute nature qui, de par le monde, militent contre le réchauffement climatique. Contre ces pseudo-solutions qu’ils taxent de fuites en avant et de « délire techniciste » ils proclament qu’ « un autre monde est possible » où l’on peut envisager l’avenir sans croissance énergétique, une société de « Prospérité sans croissance », pour reprendre le titre du livre de l’auteur anglais Tim Jackson, édité par De Boeck, en 2010. Pas étonnant que les diverses réunions gouvernementales de préparation de la COP21 les aient maintenus éloignés des débats et que le gouvernement français ait annoncé un contrôle des frontières pour empêcher qu’ils ne se retrouvent à Paris en même temps que les 100 Chefs d’Etat annoncés et les délégations gouvernementales, surtout le 12 décembre, jour de la grande marche organisée au Bourget par la société civile. Quelles que soient les avancées de la COP21, ils savent que le combat ne fait que commencer, qu’il faudra continuer à bousculer les opinions publiques et les gouvernements, que – comme le disait N.Hulot interviewé par France-Inter – « le temps est à l’action et à l’audace », par des gestes individuels dans la vie quotidienne et collectifs en faisant pression sur les politiques pour changer le modèle de notre société. Ils croient à la puissance des mouvements sociaux. Nous vivons une époque charnière ! Dans son encyclique « Laudato si’ » le Pape François a écrit : « Comme jamais auparavant dans l’Histoire notre destin commun nous incite à chercher un nouveau commencement (par. 207)… Quand nous sommes capables de dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer et un changement important devient possible dans la société » (par.208).

Nota : Répondant à une déclaration de J.Kerry faite le 12 novembre : « ce ne sera pas un traité, il n’y aura pas d’objectifs juridiquement contraignants, comme cela avait été le cas à Kyoto », F.Hollande a répondu depuis Malte, aujourd’hui : « nous devons donner à l’accord de Paris, si accord il y a, un caractère contraignant… ». C’est de la « com » ? Jouent-ils avec les mots « accord » et « traité » ? Plus que jamais, cette question sera au centre des débats.